Le Gembloutois Thomas Legrain publie l’horrifique et puissant Latah : survivre à l’enfer sur... guerre (vidéo)
Avec Latah, dans la prestigieuse collection Signé des Éditions Le Lombard, l’auteur de BD Thomas Legrain retourne à sa source: le récit de survie.
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Publié le 03-05-2023 à 14h42 - Mis à jour le 03-05-2023 à 14h47
Pour la première fois – et peut-être la dernière –, c’est en solo, au scénario comme au dessin, que Thomas Legrain s’est retrouvé à signer Latah. Ce n’était pas le plan mais, sorti de sa bulle de confort, comme ses héros à la fois sur- et dés-armés dans une jungle vietnamienne de tous les dangers, le Gembloutois originaire de Sambreville signe un album de BD ample de 124 pages, à la fois cauchemardesque et fascinant, qui fait date.
Sorti le 24 février dernier, Latah s’est installé parmi les meilleures ventes du milieu, tenant le choc face à des Thorgal, Alix et autres. Best – et sans doute long-seller, c’est ce qu’a prédit à Thomas un libraire. Il faut dire que la collection légendaire Signé du Lombard regroupe depuis des décennies la crème de la crème du 9 Art. Rencontre avec ce dessinateur passionné de genre. Et ça se sent.
Bonjour Thomas. Enfant, vous dessiniez déjà de la sf, de l’aventure, pour le plaisir. Vous reconnecteriez-vous à ses territoires insouciants ?
Latah, c’est un retour aux sources, à la volonté de faire un survival comme au cinéma. Mes influences viennent de là: Predator, L’échelle de Jacob, Le territoire des loups… Pour l’instant, ce n’est plus la mode de ces films horrifiques, il doit y en avoir un bon tous les dix ans. Mais, le genre traverse les décennies.
Après avoir consacré la trilogie The Regiment à la naissance historique du SAS en Afrique, vous vous aventurez toujours en zone de guerre, en 1965, au… Vietnam. Ça ne fait pas partie de notre culture.
C’est un conflit dégueulasse, sans héroïsme tel qu’on peut se le représenter… et finalement peu exploité en BD et dans la culture européenne, en effet. Le terrain parfait pour m’amuser à partir dans un récit guerrier et mieux virer dans autre chose.
Le Latah n’est pas étranger.
C’est un concept présent dans le folklore du sud-est asiatique, lié à un état de stress post-traumatique. Je m’en suis servi et éloigné.
Pour mieux faire plonger votre escouade, qui s’amenuise au fil des pages, en enfer.
Je devais définir leur personnalité de manière claire, rapide. Avec l’avantage que les soldats du Vietnam s’habillaient comme ils le voulaient, personnalisaient leurs casques, portaient des bandanas ou des manches plus ou moins courtes. Chacun son style, que je pouvais imprimer.
Après que votre scénariste ait jeté l’éponge, vous vous êtes retrouvé seul aux commandes.
J’avais fini ma série phare Sisco (12 tomes), je n’avais ni le temps ni le luxe de reprendre à zéro. Je me suis retrouvé scénariste contraint et forcé. Ce n’était pas mon métier, ça ne l’est toujours pas. Mais j’avais l’impression de maîtriser les codes, donc je me suis lancé. J’avais fait mes preuves au dessin mais j’avais tout à prouver en tant que scénariste. Seul, j’étais aussi mon propre critique, plus exigeant sur le graphisme que ce qu’aurait pu l’être un autre scénariste. L’histoire, je voulais qu’elle soit carrée, elle a maturé longtemps.
Le survival, c’est quoi ?
J’ai repris les codes du genre, tout en m’amusant avec. C’est très codifié. L’arrivée de la menace change la donne, tout est axé sur la réaction d’un groupe qui peut paraître solidaire mais est déjà en tension. Même si la menace est déjà présente sur la couverture, le but est de ne pas trop la montrer, de jouer avec.
La rendre gore aussi ?
Elle doit foutre les boules, les soldats sont censés avoir peur et la force brute américaine tomber sur plus forte qu’elle. L’effet miroir est aussi important dans ce type de récit, renvoyant à la conscience, à la culpabilité. Puis, les personnages, ici, vont se définir à la toute fin, sur un dernier coup de poing, "Tiens, lecteur, prends ça dans les dents." J’adore ça. De quoi peut-être demander une deuxième lecture.
Le lieu de l’action n’est pas anodin.
Un bon survival, c’est un décor qui l’est aussi. Dans une jungle, la menace est partout, conférant très peu de maîtrise sur les éléments. Le décor est déjà une menace. Je ne voulais plus faire du thriller contemporain, j’ai pris goût aux décors naturels, vivants.
Et cette lumière, ce climat changeant.
On passe de la pluie dense, drue, à un soleil hyper-brillant, tranchant. Je ne suis jamais parti là-bas mais j’ai pu compter sur les amis qui y étaient allés. Sur internet, je me suis imprégné de la végétation.
Cet album, outre une version classique avec les couleurs de Mikl, a bénéficié d’un tirage en noir et blanc, plus grand et plus classieux.
Une proposition de l’éditeur. Sans que j’y pense. Mais cet album s’y prêtait. Je le faisais seul, je voulais qu’il soit viable en noir et blanc, pousser mon trait, comme quand j’étais plus jeune. Après 20 ans d’expérience, c’était le moment. Je suis peut-être à un tournant de ma carrière. Je ne sais pas vers quoi la BD m’emmène mais mon prochain album sera de la science-fiction.
En tout cas, votre éditeur croit beaucoup à Latah.
C’est vrai, il y a eu des cartons, des affiches, un gros travail de promotion et une belle tournée de dédicaces. Je n’ai jamais eu autant de visibilité sur un album. Ça fait du bien de voir son travail défendu.
Latah, récit complet de Thomas Legrain, coll. Signé chez Le Lombard, 128p., 23,5€ (35€ pour la version limitée N&B).
1re expo-vente de Thomas Legrain, du 1er au 24/06, à la Galerie de la bande dessinée, chaussée de Wavre, 237, à Bruxelles.