PHOTOS| Floreffe: du haut de cette abbaye, neuf siècles nous contemplent
Pour les 900 ans de l’abbaye, l’ASBL Floreffe, Histoire, Culture et Tourisme et les Éditions namuroises publient un livre monumental qui met de l’humain dans le patrimoine architectural.
Publié le 12-10-2021 à 07h00
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En page de garde, une mosaïque de 80 visages (et un paon) vous regarde, incitant à faire un bond dans le temps avec un précieux allié: un nouveau livre qui fait date. Floreffe, neuf siècles d'histoire, c'est un peu l'autre bible (lire ci-contre) de Floreffe, 368 grandes pages, 19 auteurs et quelque 700 illustrations.

À la coordination de ce travail de fouilles, de recherches et d'écriture, on retrouve Jean-François Pacco, journaliste et chef d'édition fraîchement pensionné du journal que vous tenez dans les mains (et dont il avait œuvré à la célébration du centenaire). « Ce livre, nous l'avons d'ailleurs réalisé comme un journal. Il y eut de la mise en page, de nombreuses relectures mais, avant tout, nous sommes partis d'un tableau blanc avant d'élaborer la table des matières et de distribuer les sujets aux différents auteurs, historiens universitaires ou locaux, avec la volonté que des jeunes amènent aussi leur point de vue. »
Pêle-mêle, on trouve les signatures bien connues de Ghislaine Lomba, Jean Bodson, Jacques Guissard, Mathilde Macaux, etc.
Le plus bel ensemble architectural de la province
Mis devant l'impossibilité d'être exhaustif – «il aurait fallu au moins 800 pages», mais y tendant, ce beau livre voulu grand public, aéré et riche mais sans notes de bas de page rébarbatives, a pris la vie et le mouvement comme principe fondateur. «Qui a habité cette abbaye, au fil des époques? Quelle vie y menait-on? Il nous semblait important d'insister sur l'humain, sur la vie religieuse, artistique, économique. Quotidienne, en fait. Il ne fallait pas uniquement regarder les façades ou les grandes œuvres d'art, mais aussi voir les choses par le petit bout de la lorgnette, avec des anecdotes qui racontent tout autant les lieux.» De quoi faire vibrer les vieilles pierres de ce qui s'affirme comme le plus bel ensemble architectural de la province.

« C'est incontestable, tout est réuni: de la silhouette d'ampleur de l'abbaye à sa richesse intérieure – les marbres, les cheminées, les stalles. Quand saint Norbert a circulé dans la région pour établir son ordre, en même temps que la construction de l'abbaye de Prémontré en France, il avait la volonté de marquer son territoire et de fonder son monastère dans un lieu stratégique, entre les deux abbayes concurrentes qu'étaient Malonne et Fosses. Sur son promontoire, l'abbaye de Floreffe était remarquable et protégée.»
Une petite citadelle avec vue sur le petit grognon formé par le Wéry et la Sambre. «Avec son armée, le comte du Hainaut eut à faire sept semaines de siège pour mettre la main sur les lieux. »
La «Forêt» de Floreffe
Sur les fondations d’un château cédé par le comte de Namur qui espérait ainsi gagner sa place au paradis, l’abbaye floreffoise est une lasagne de styles (médiéval, roman, néoclassique, baroque) qui a subi une mutation permanente sans jamais perdre son identité, pas à l’abri des affres du temps (de grands travaux doivent encore avoir lieu) mais préservée des guerres et des incendies.
«Il n'y eut pas de ravages fondamentaux. La toiture boisée, intacte et exceptionnelle, est plus ancienne que la charpente de Notre-Dame de Paris qu'on a surnommée la "Forêt". On peut aussi parler de la "Forêt" de Floreffe.»

En 1121, les cisterciens sont majoritaires et fonctionnent en vase clos, entre travail et prière. Les prémontrés, eux, recrutent ruralement et ont un autre profil. Ils se consacrent à des missions extérieures, la prédication, et n’ont pas besoin de travailler. Notamment parce qu’ils recevaient beaucoup de donations: il n’était pas rare que des propriétaires terriens, soucieux de leur avenir dans le trépas, fassent don dans leur testament de terrains, de bois, de fermes… L’abbaye a possédé jusqu’à 5 000 ha de terres et eut un rayonnement considérable.
Dans le Namurois (Leffe, le refuge du 2, rue Gravière, dans le centre de Namur), dans le Limbourg ou la Campine, en bord de Rhin et même une mystérieuse fondation en terre sainte.



Il faut dire que de 1819 aux années 1960, l'abbaye était un internat de garçons qui devaient, dès l'âge de 12 ans, s'orienter vers la prêtrise. «Beaucoup se réorienteront ensuite. L'autarcie voulue par le séminaire de Namur visait à distraire les élèves de toutes tentations. Les sorties étaient réglementées et ils ne rentraient généralement chez leurs parents que deux fois par an.
Après ces vacances, les élèves devaient rentrer un billet de leur curé attestant qu'ils avaient bien suivi la messe tous les dimanches. Le suivi s'opérait jusque dans la vie familiale. Et, à l'école, la religion imprégnait les horaires des journées commencées à 5 h 55 pour que tout le monde soit prêt pour la prière et la messe de 6 h 15.»

Pendant cette période où le séminaire se referme sur lui (avec une économie propre: potager, brasserie, servantes, domestiques, prêtres-professeurs…), le village se développe en lui tournant le dos. L’arrivée de la gare de Floreffe en 1843 permettra un peu plus l’industrialisation de la cité souriante.
Au début des années 70, l’abbaye reprend son ouverture en intégrant tour à tour un externat, une école primaire, des professeurs laïques qui n’habitent plus l’école. Dans les années 90, de plus en plus de filles sont inscrites pour suivre l’enseignement. Les lieux n’ont plus de séminaire que le nom. Mais une sacrée histoire.

Le polyptyque-reliquaire de la Vraie-Croix (celle sur laquelle Jésus aurait été crucifié), lui, passé de main en main, a pris la direction du Louvre. La relique, quant à elle, est restée à l’église de Bois-Seigneur-Isaac. La finesse de l’orfèvrerie de cette pièce témoigne de la concurrence des lieux de culte. Plus les œuvres étaient riches, plus cela attirait les pèlerins.
