Esperanzah! 2019: «Des artistes impeccables aux cachets raisonnables»
Le directeur d’Esperanzah! (du 2 au 4 août à Floreffe) explique comment le festival se recentre sur ses fondamentaux musicaux.
Publié le 31-07-2019 à 17h57
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Jean-Yves Laffineur, le premier bilan de l’édition précédente vous faisait craindre une perte financière. Qu’en a-t-il été?
On a en effet terminé 2018 sur un léger déficit, mais rien d’inhabituel. D’année en année, on est toujours soit un peu en dessous soit un peu au-dessus de l’équilibre. C’est dû à la capacité d’accueil limitée du site de l’abbaye et aux charges qui augmentent plus vite que les recettes. On est chaque fois obligés d’être créatifs pour tenter de s’en tirer.
Cette année encore, donc.
Oui. Chaque département a été invité à réduire ses charges, en veillant à n’affecter ni confort des festivaliers ni les conditions de travail des bénévoles. C’était la ligne rouge. Les mesures ont aussi concerné les cachets artistiques. Là, on retourne à l’essence du festival quant à l’esthétique de programmation. On se recentre sur une offre internationale, avec vingt nationalités représentées, et avec moins de grosses têtes d’affiche coûteuses.
C’est-à-dire?
On a eu ces dernières années des artistes rassembleurs – comme Jain par exemple – mais ces artistes ont un coût qui a vraiment explosé. On propose donc cette année des artistes aux cachets raisonnables mais qualitativement impeccables. Il y a encore des têtes d’affiche, mais qui correspondent mieux à notre logique internationale. Et puis on a ces groupes découverte qu’on se plaît à programmer avant qu’ils n’éclatent partout ailleurs.
Comment se manifeste l’intérêt du public, à la billetterie?
Il ne reste que 500 pass «trois jours» (l’interview a été réalisée ce lundi après-midi, NDLR). C’est très réjouissant de voir que la confiance des festivaliers se manifeste encore et toujours, même si on propose moins de grandes têtes d’affiche. Les tickets pour le samedi et pour le dimanche partent bien, mais là tout se joue habituellement dans la dernière semaine.
Quels sont vos coups de cœur ultimes, dans la programmation?
J’aime tout ce que je programme, mais je pointerai plus particulièrement Muthoni Drummer Queen, qui joue dimanche. C’est une chanteuse kenyane profondément féministe, on dit que c’est la MIA africaine. Je pointerai aussi Blick Bassy, samedi, et Delgres, vendredi. Et puis je suis super-content d’avoir Michaël Kiwanuka, que je voulais depuis plusieurs années. Idem pour Dub FX, un beat boxer qui fait du reggae dub. Quand tu sors de son concert, tu te sens meilleur!
En juin, le festival admettait penser à une possible délocalisation, en raison d’un usage de plus en plus contraignant du site de l’abbaye. Avez-vous affiné la réflexion?
Il y aura une évaluation début septembre, avec autour de la table la police, les pompiers, la Commune et le gestionnaire du site. J’ai demandé à avoir à ce moment-là une vision de ce qu’on sera autorisé à faire sur le site en 2020. En fonction de la réponse, nous prendrons une décision. Si nous devions déménager, ce sera pour un autre lieu remarquable, si possible dans les environs de Namur.
Des mesures de sécurité supplémentaires vous ont déjà été demandées pour cette édition.
Et nous répondons aux demandes des autorités, qui ne sont pas mauvaises en soi. Pour cette année, on ne perd rien en termes de convivialité et de confort pour les festivaliers. On a réévalué la circulation du public et identifié les moyens d’évacuation en cas de problème. On aura aussi la présence d’un camion autopompe et d’une ambulance dans la partie haute du site, comme souhaité par les pompiers. Et puis il y a la zone derrière l’église qui est désormais inaccessible puisque des éléments de la façade risquent de tomber.
Ici, c’est plus l’inertie du propriétaire de l’édifice que la décision des pompiers qui est cause.
Tout à fait. La façade aurait dû faire l’objet de travaux mais rien n’a été fait par l’évêché. Je ne peux dès lors qu’adhérer au point de vue du colonel Gilbert. Il avait prévenu que, faute de travaux, il interdirait l’accès à cet espace.
Les festivals de l’été ont alimenté la rubrique des faits divers: une mort à Tomorrowland probablement liée à la drogue, trois plaintes pour viol à Dour. Esperanzah! donne l’impression d’être une bulle peu concernée par ces dérives, mais n’est-ce pas une fausse impression?
Non, je ne pense pas. On réalise depuis très longtemps un énorme travail de prévention sur les drogues, l’alcool et la sexualité, tant sur le festival que sur les campings. Dans les campings par exemple, des éducateurs circulent 24 heures sur 24 pour s’assurer que tout le monde va bien. Depuis l’année dernière, on a aussi le plan de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles «SACHA» (Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions en festival). C’est tellement avant-gardiste qu’Isabelle Simonis, la ministre de la jeunesse et de l’égalité des chances, a souhaité que nous élargissions le plan à d’autres festivals. Ce sera le cas cette année aux Solidarités et aux 24 Heures de Louvain-la-Neuve.
Comment de personnes se consacrent à la prévention sur le festival, cette année?
Si on comptabilise nos équipes et le personnel des différentes associations, cela représente 200 personnes, sur les trois jours. Le chiffre m’a étonné moi-même quand on a fait le total. On va encore un pas plus loin cette année en désignant un responsable «prévention santé» chargé de coordonner l’action de tout le monde… On se met donc en situation de prévenir les problèmes, on en fait beaucoup pour que chacun se sente bien et en sécurité. Mais un accident est bien sûr toujours possible. Il ne faut pas faire l’autruche et se dire qu’il ne peut rien arriver.

La façade arrière de l’église abbatiale menace ruine. Pour éviter que les festivaliers ne prennent un morceau du vénérable édifice sur le coin du crâne, toute la zone en contrebas a été interdite d’accès. Cela a imposé de redistribuer les espaces: là se trouvaient principalement le «Comptoir des saveurs» (des stands de restauration) et la scène «Alpha», dédicacée «aux sons issus de la tradition et aux musiques “ de la terre ”.»
«Les gens de la logistique se sont livrés à un vrai jeu de chaises musicales et ils ont réalisé un excellent travail, considère le patron du festival, Jean-Yves Laffineur. Au final, les festivaliers ne perdent rien: ils auront toujours les trois scènes, autant de restaurateurs et autant d'artisans.»
La scène «Alpha» s’implantera sur le ballodrome tandis que le «Comptoir des saveurs» déménagera tout en bas, sous les peupliers, repoussant le «Baz’art» (le marché des artisans) dans la cour basse, près de l’entrée principale.
Aux peupliers, l’espace sera complètement revu, avec la création du «KiosQ», un nouveau lieu qui accueillera des DJ’s electro-world dans un esprit chill l’après-midi et plus festif en after. Aux manettes, les collectifs Global Hybrid crew, Rebel Up et Giraffes & Penguin, ainsi que, le dimanche, Radio Bistrot. L’endroit sera visuellement animé par du vidéo mapping.
L'autre nouveauté, c'est l'espace «Tout va bien», implanté dans la grange qui accueillait jusqu'ici uniquement des séances de cinéma. «Il y aura toujours des films mais aussi désormais des débats, des spectacles, du théâtre où s'exprimera la conscience citoyenne du festival», note Jean-Yves Laffineur.