Pesticides et cancers à Fernelmont: les surprises du professeur
Le professeur Schiffers a posé des capteurs de pesticides aux abords de l’école de Cortil. Même des molécules interdites ont été relevées.
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Publié le 29-09-2017 à 18h55
Les écoliers de Cortil-Wodon, un public plus «fragile», sont-ils surexposés aux pesticides, herbicides et autres produits phytosanitaires pulvérisés sur les deux champs voisins? C’est, en filigrane, la question que se posent de nombreux observateurs mais aussi Bruno Schiffers, chercheur et professeur à l’université de Liège (Fac de Gembloux).
Pour entamer une étude, il faut des données. C'est ainsi que des panneaux avec capteurs ont été disposés aux abords de l'école Saint-Martin, entre le début du mois d'avril et le 6 juin. «L'un en bordure d'un champ de froments et l'autre d'un champ de betteraves», précise le scientifique. Entre les premiers végétaux et les panneaux, il y avait déjà une zone de retrait, allant de 6 à 12 mètres. Mais le but était aussi de capter les gouttelettes et autres substances volatiles en «dérive». En clair, quand un agriculteur pulvérise son champ, certaines substances s'écartent des zones visées et, par l'effet du vent, de la pluie… finissent par aboutir dans les zones voisines. Avec une exposition indésirable pour les voisins directs. Une école, en l'occurrence.
Début septembre déjà, le professeur avait fait part de premiers résultats. «En tout, on a retrouvé les traces de 24 substances actives différentes», a rappelé Bruno Schiffers, jeudi soir au conseil communal de Fernelmont. « Si on cumule le tout, cela donne des quantités non négligeables.»
Mais face aux élus fernelmontois, le chercheur a aussi livré ses trois «surprises».
1. Volatilité«Sur les panneaux disposés le long des champs de betteraves, on retrouve aussi les produits pulvérisés sur les champs de froments. Et vis versa. Alors que ces capteurs se situent à 90 degrés l'un par rapport à l'autre.» Bruno Schiffers fait ainsi comprendre que ces substances, pulvérisées sur les cultures voisines, ça voyage pas mal.
2. Des invités surprises L'agriculteur qui cultive les champs voisins de l'école avait communiqué son calendrier de traitement et les produits utilisés. «Il a fait cinq à six traitements sur un mois», précise le professeur. «Il a utilisé, selon les passages, de trois à cinq produits différents.» Un seul produit peut aussi contenir parfois trois substances différentes. «Mais au final, on a aussi retrouvé beaucoup d'autres produits différents que ceux pulvérisés par l'agriculteur.» 24 substances différentes captées: voilà déjà un fameux pannel… «On retrouve beaucoup de produits utilisés pour d'autres cultures, comme le maïs ou la pomme de terre.» Et en faisant son petit tour, le chercheur a relevé ces deux types de culture à 400 et 600 mètres. Fameuse distance.
3. Des interdits Plus surprenant et surtout plus inquiétant, les analyses ont aussi révélé «trois molécules qui ne sont plus du tout autorisées», s'étonne Bruno Schiffers qui cite notamment le «Linuron» et le «Chlordon».
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«Et la pollution du zoning?»
Applaudissements de toutes les couleurs politiques, en fin d'exposé, pour le professeur Schiffers. Ce qui n'empêche pas quelques commentaires ou interrogations. «Vous avez fait ce que les autorités régionales wallonnes n'ont pas pu faire en 19 mois: descendre sur le terrain», épingle Étienne Piette. L'Écolo se demande aussi si, parmi les produits relevés à Cortil, certains sont-ils des perturbateurs endocriniens. «Oui», répond le scientifique. «Mais il faut savoir que sur les 330 produits autorisés, 105 pesticides produisent ce genre d'effets.» Se pose bien évidemment la question de l'exposition à ce genre de produits. Quel est le seuil tolérable? «Et que connaît-on des effets combinés?», interroge aussi le docteur Colemonts, généraliste à Hingeon. «Peut-on effectuer des tests in vitro, composer ce genre de soupe et voir quels sont les effets produits?»
Bruno Scheffers signalera que l'«on connaît les effets des combinaisons de ces produits. Ou aussi les effets que ces substances peuvent produire une fois combinées avec des médicaments que prennent les personnes exposées.»
Agriculteur et élu EPF, Louis Houbotte intervient. «Vous avez posé vos capteurs en mai et en juin. Il faut aussi savoir que c'est la période où se concentrent 65% des pulvérisations», rappelle le conseiller de l'opposition. «Nous avons aussi parfois l'impression que nous, agriculteurs, nous sommes particulièrement ciblés par ces critiques. On met en évidence la pollution de l'air. Mais on ne doit pas oublier qu'il y a aussi un zoning à proximité.» Louis Houbotte, comme tous ces collègues autour de la table, convient que «beaucoup de choses vont dans le bon sens». La tendance est positive. Encore faudra-t-il la maintenir.
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La haie? Une première bonne idée
Voilà pour le constat. Et maintenant, que fait-on? C’est en résumé la question lancée par plusieurs conseillers, dont Laurent Henquet pour EPF. «Supprimer les pesticides», répond de manière radicale le professeur Schiffers qui a rappelé, au passage, que 12% des fermes travaillent déjà en bio. Oui mais, entre rentabilité, santé et volumes garantis de production alimentaire, le modèle économique idéal n’est pas encore en place.
Les premiers résultats mettent aussi en évidence un problème plus global de pollution de l'air. «Et là, cela dépasse clairement le cadre de Cortil ou de Fernelmont», insiste le professeur. «Cette question doit être traitée, à minima, au niveau de la Région wallonne.» Est-ce pour autant qu'il n'y a rien à faire au niveau local? Ce n'est pas l'avis du scientifique. «La haie, c'est déjà une première bonne idée», estime Bruno Schiffers. «Les végétaux sont de très bons capteurs de produits.» Ils assurent déjà un premier filtrage. Pas parfait mais c'est efficace. Dans le public présent au conseil communal, certains ne sont pas trop convaincus par le miscanthus (une haie a été plantée au printemps dernier aux abords de l'école de Cortil). On le récolte en effet au mois de mai. L'écran vert est donc diminué au moment où les pulvérisations sont les plus nombreuses. Au niveau local encore, le bourgmestre Jean-Claude Nihoul a assuré un soutien financier, si nécessaire, pour permettre au professeur Schiffer de poursuivre ses recherches. Et donc de réitérer son expérience de «captage» en 2018. Du côté du ministre régional Di Antonio, des fonds seraient également débloqués.