Les ossements d’un reliquaire oublié passés au scanner
La Maison du patrimoine médiéval mosan mène une étude sur un reliquaire détenu dans la sacristie de l’église de Celles. La méthode de travail et les résultats sont étonnants.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/b67785b9-c2fa-4944-8e39-0d7e270a27c3.png)
Publié le 13-08-2020 à 06h00
Cette «espèce d'enquête» a démarré à l'automne 2017. «On préparait une exposition sur les reliquaires, raconte Aurélie Stuckens, collaboratrice scientifique à la Maison du patrimoine médiéval mosan de Bouvignes. Dans le cadre de cette expo, au-delà des panneaux explicatifs, on souhaitait montrer des pièces un peu oubliées dans les églises. C'est comme ça que tout a commencé.»
De fil en aiguille, après avoir découvert des photos des années 40 sur le site de L'IRPA (Institut royal du patrimoine artistique), une châsse en bois de l'église Saint-Hadelin de Celles attire l'attention. «C'est une châsse de 1594 contenant des ossements, précise la collaboratrice scientifique. Le fait qu'elle soit en bois était intéressant. J'ai demandé s'il était possible de l'emprunter pour l'expo.»
Elle se met alors à la recherche du fameux coffret, avec Pierre Besombe, président de la fabrique d'église de Celles. «Sur les photos de l'IRPA, on voyait le coffret dans une espèce de niche. En réalité, le reliquaire était dans la sacristie de l'église. Mais personne n'y faisait plus attention et personne ne l'avait bougé de longue date.»
Dans un premier temps, la châsse est juste sortie. «On s'est limité à prendre des photos de l'extérieur. On ne pouvait pas l'ouvrir, mais ça me turlupinait. J'ai demandé si je pouvais revenir avec une petite caméra à glisser. Et j'ai vu des ossements. De quoi donner l'envie à l'équipe du musée d'aller plus loin.»
Un petit tour à l’hôpital
Une radio et un scanner de la châsse sont finalement programmés… au CHR de Namur. «Nous sommes allés le soir, dans le service d'imagerie médicale. L'idée était de voir, sans ouvrir la boîte. Car pour cela, il faut passer par les autorités de l'église.» Une expérience atypique, tant pour la collaboratrice scientifique que pour le personnel de l'hôpital. «Nous avons eu les résultats assez rapidement. La radio reste assez imprécise, mais au scanner, on voit mieux. On voyait des fragments de crânes, des os assez longs, mais qui n'avaient pas été mis en vrac. Tout était bien rangé.»
La curiosité d'Aurélie Stuckens grandit. «J'ai contacté les autorités diocésaines pour pouvoir ouvrir la châsse. Elles ont accepté, pour autant qu'on traite les ossements avec respect.»
Hélène Déom, une antropologue-archéologue est alors sollicitée. « La boîte a été facile à ouvrir. C'est elle qui a touché et étudié les ossements.»
Cette dernière émet une hypothèse: les ossements proviennent de quatre corps différents. Un doute subsiste toutefois sur les sexes des individus. «Par contre, un des tibias comportait une écriture: OS SS Thebeorum Martyrum. SS est l'abréviation de Sanctorum. Traduction: ossement des martyrs thébains. Cette inscription réfère au martyr de saint Maurice et de la légion thébaine, aux alentours de 285-306. À cette époque, les soldats auraient été tués en raison de leur fidélité à la foi chrétienne et de leur refus de tuer des Chrétiens.»
L'enquête se poursuit. Pour dater les os de ces quatre corps. Une étude au carbone 14 est menée à l'IRPA. «On ne pouvait pas financer l'étude de tous les ossements. On a donc choisi trois tibias droits et un morceau de hanche.» Les résultats sont interpellants. Les os proviendraient de corps du Xe siècle, du XIe siècle, mais également du IIIe siècle et du VIIe siècle… époque à laquelle serait mort saint Hadelin, patron du village de Celles.
Le souhait d'Aurélie à l'avenir: comparer les reliques du VIIe siècle avec les reliques officielles de saint Hadelin détenues à Visé (lire par ailleurs), mais surtout valoriser ces ossements, expliquer l'enquête menée, de A à Z. «Cela plaît au public. C'est toujours intrigant. Et il ne faut jamais oublier qu'il y a des personnes derrière ces os. C'est ça qui est touchant.»