Photos & vidéo | Retour sur la tornade de Beauraing: "13 ans de travaux balayés en 10 minutes"
Le soir de la tornade (le 19 juin dernier), Raphaël Goosse a été prié par la police de quitter son habitation située rue de Rochefort. Depuis 6 mois, il réside à Gozin, en attendant. Il est occupé à reconstruire sa maison de fond en comble. Car tout est à refaire.
Publié le 04-01-2022 à 03h00
Le déshumidificateur tourne à plein régime depuis des semaines. À l'intérieur de l'habitation, tout est à nu. À la suite de la tornade qui a ravagé sa maison le 19 juin dernier, une "drache carabinée" s'est abattue. "Lorsque je suis arrivé le lundi, c'était la cascade de Coo dans l'escalier. J'ai donné des coups de téléphone à Pierre, Paul et Jacques pour avoir de l'aide. À 30, on a déménagé la maison en quatre heures. Ce n'était pas rien." Chance dans son malheur, il a pu stocker des affaires sur son lieu de travail, à la base de Baronville. Mais l'eau avait fait son œuvre. Le propriétaire a été contraint d'arracher mur et plancher, pour éviter la moisissure, la mérule, vu le gîtage en bois.
Plus le bienvenu chez toi…
Le soir du 19 juin, Raphaël était à un concert à Namur. Loin de se douter de ce qui allait se produire. "À Namur, il y avait des orages violents. J'étais avec des gens de Beauraing qui disaient qu'il y avait eu une catastrophe, que le pignon d'une maison était tombé rue de l'Aubépine…" Un quart d'heure plus tard, il recevait un coup de fil de ses voisins… "J'avais compris…"
Il se met en route immédiatement. Il arrive chez lui vers 23h30. "Il faisait noir, mais on voyait déjà l'étendue des dégâts. C'était un no man's land, juste inimaginable. Ça faisait 13 ans que je rénovais la maison. En 10 minutes, tout a été balayé."
Rapidement, il est prié de quitter les lieux par la police qui fait évacuer les habitations. " C'est violent. Tu pars à un concert, tu ne te dis pas qu'en rentrant tu ne pourras plus mettre les pieds chez toi. On te demande de partir… et démerdez-vous. D'ailleurs des voisins n'ont rien voulu savoir et sont restés là."
Le lendemain, vers 6 h, il revient sur place. "C'était Beyrouth. Si on avait lâché une bombe, c'était pareil. J'avais chez moi des déchets d'autres voisins, les tôles du hall de l'école des sœurs, etc. Tout a été soufflé comme un château de cartes."
Tout de suite, il a fallu réagir et entamer le déblaiement. "Sur le coup, on est perdu, démuni. Mais on n'a pas le temps de s'apitoyer, il faut foncer, faire abstraction de ce qui s'est passé et prendre des décisions. C'était beaucoup de choses à gérer en peu de temps. Avec la petite (6 ans), j'avais un peu peur. Mais elle a bien réagi. C'est plus elle qui me réconfortait alors que ça aurait dû être l'inverse. Elle a pris beaucoup de maturité d'un coup." Spontanément, de nombreux amis se sont manifestés. "Tu ne réalises pas tout de suite car tu es complètement dans une bulle, mais à un moment donné, je me suis rendu compte à quel point cet élan de solidarité avait fait du bien."
La priorité au niveau des travaux: refermer la maison et remonter les deux pignons et le mur porteur qui s'étaient écroulés. "Tout un étage avait disparu. Il a fallu remaçonner, puis poser une toiture." Les travaux ont été lancés une fois qu'un accord sur les indemnisations a pu être trouvé, après un chassé-croisé d'experts et contre-experts, notamment pour la stabilité du bâtiment. "Heureusement que j'étais bien assuré…", souffle Raphaël qui aurait préféré abattre et repartir de zéro. "Finalement, je refais tout à neuf. Mais je ne compte plus y travailler 13 ans. À un moment donné, tu as juste envie de rentrer chez toi et te poser."
S’il le faut, il campera chez lui
Vu l'augmentation récente du coût des matériaux, il a multiplié les demandes de devis chez divers fournisseurs et comparé minutieusement les offres. "Sinon, c'est invivable. On te donne un certain montant pour refaire ta maison, c'est bien beau. Mais il faut tout calculer."
Installé à Gozin depuis six mois, il lui reste le même temps pour faire aboutir le chantier. "Une année de location est prise en charge par l'assurance. Le 1er juillet, je rentrerai chez moi quoi qu'il arrive. Car, en parallèle, je continue à payer mon crédit hypothécaire. Si ce n'est pas fini, tant pis, je camperai dans ma maison." Positif, battant, il se dit toujours aujourd'hui dans cette "bulle" de laquelle il ne faut pas sortir pour continuer à avancer sans se décourager.
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Il est 2h du matin lorsque nous arrivons sur place la nuit du 19 au 20 juin dernier. Il fait noir. Par chance nous tombons sur un habitant muni d’une lampe torche de chantier. On fait le tour de la rue de l’Aubépine, et d’un bout de la rue de Rochefort. C’est la désolation. Toitures arrachées, poteaux électriques par terre, arbres déracinés, etc. C’est le choc. Surtout lorsqu’on visualise bien les lieux avant le carnage. Le plus violent encore c’est de découvrir le hall omnisports de l’INDSC explosé. Il n’est plus qu’un tas de débris. Les habitants qui errent dans les rues à moitié désertes sont un peu perdus. Ils ne peuvent que constater le désastre.
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Vers 3 h du matin, nous croisons le bourgmestre, Marc Lejeune. On marche avec lui, on discute. En pleine crise Covid, c'est une nouvelle tuile à gérer. Il se rappelle: "C'était impressionnant lorsque les sirènes sont parties. J'étais tout seul dans la rue à me demander: Et demain, on fait quoi ?"
Le lendemain, l'entraide s'est rapidement mise en place. "Les indépendants sont venus avec leurs outils, ça fourmillait de partout. C'étaient des journées fort intenses et à la fois, c'était encourageant de voir que tout avançait. On sentait qu'on s'en sortait."
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Après coup, Marc Lejeune se dit: "fier de la façon dont ça s'est organisé, de cet élan de solidarité. Je suis content des décisions qui ont été prises sans délai. Mais le plus important, c'est qu'il n'y ait pas eu de tué. C'est incroyable. Tout était aligné pour qu'il n'y ait rien." Depuis ce soir-là, certains Beaurinois n'ont toujours pas regagné leur domicile (près de cent bâtiments avaient été touchés). Ils sont relogés dans l'entité ou à Wellin. Si les habitants ont dû se tourner vers leur assureur, la Commune "essaie d'accélérer les procédures, de conseiller les gens lorsque cela est possible, de traiter les dossiers en priorité." En tout, les dégâts sur la commune sont estimés à plus de 1,2 million€ (dont 1 million€ rien qu'au parc communal). Peu après la tornade, le ministre-président du gouvernement wallon Elio Di Rupo s'était rendu à Beauraing. Depuis, les victimes constatent que rien ne bouge. "Soi-disant qu'on allait nous indemniser", rappelle ce sinistré. Depuis, c'est le silence radio. "J'ai écrit fin octobre au ministre Collignon (NDLR: ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville) pour qu'il nous aide, notamment au niveau des déchets, confie le bourgmestre. J'attends sa réponse…". Marc Lejeune insiste sur l'importance de ce soutien financier car "pour la Commune, la tornade a eu, outre les dégâts colossaux au castel, un coût humain lié au travail des ouvriers, mais aussi un coût au niveau du tri des déchets, de la gestion de l'amiante et du paiement de la mise en décharge."
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Depuis plusieurs jours, elle est dans l'attente du permis qui lui permettra d'aller de l'avant. " Ça peut durer jusqu'à 115 jours, précise Jacqueline Jacquemart, sinistrée par le tourbillon de juin dernier. Tant que je n'ai pas ça, je ne sais plus avancer."
Le soir de la tornade, le toit de son habitation en ossature bois s'est soulevé, avant de retomber. Ce qui a tordu la charpente. "Le bois ne se casse pas comme du métal. Et il continue à travailler. Il y a des distorsions un peu partout."
Par chance, Jacqueline était chez des amis le soir de la tornade. "Sinon, je pense que j'aurais été lourdement blessée car le divan était criblé de verre." Avec la violence du vent, les portes à l'intérieur de la maison ont été retournées et éventrées. À l'avant, les châssis sont carrément tombés. Chose étonnante, tous les animaux ont survécu. " Même les poules…"
À la suite de la tornade, Jacqueline a été hébergée une quinzaine de jours chez une voisine, avant de retourner vivre chez elle. " On a essayé d'aménager une pièce de vie, une chambre, une salle de bains. Je suis restée là le temps de tout vider. Ce n'était pas très gai, avec de grandes planches aux fenêtres…" Elle confie: "C'est incroyable ce qu'on peut emmagasiner de la cave au grenier en 35 ans. Par contre, ça a été l'occasion de vider mon bureau d'école… après 45 ans d'enseignement, je ne vous dis pas le bazar (rire). Depuis que la maison est vide, par contre, j'ai du mal à y retourner."
Depuis le 1er septembre, elle est installée à Feschaux. Elle a dû quitter son habitation, question de sécurité. "J'ai réussi à trouver une location qui acceptait mes animaux, avec un bout de jardin. J'ai pu y mettre une partie de mes meubles. Les autres sont à gauche et à droite." Après analyse par différents experts, il s'est avéré que l'habitation n'était pas réparable. La propriétaire a été en partie indemnisée. Le reste sera remboursé sur facture. "On va reconstruire sur les fondations en béton qui, elles, n'ont pas bougé."
La future maison sera semblable, mais mieux isolée, mieux finie. "Je suis obligée de reconstruire une maison proche de l'ancienne au niveau des extérieurs, de refaire un plain-pied, de remettre des briques. À l'intérieur, je peux aménager comme je veux. J'aurai une maison quasi passive, toute moderne pour mes vieux jours (rire)." Des moments meilleurs se profilent en 2022. "Quand on va recommencer, qu'il faudra choisir les matériaux, etc. ce sera plus positif."
Aujourd'hui, après quelques mois très intenses, elle sent le contrecoup. "Tant qu'on est dans le mouvement, ça va. Mais je sens maintenant, depuis que j'ai déménagé, que je suis fort fatiguée." Ce qui la réjouit: la solidarité renforcée entre voisins. "On s'est dit que quand tout le monde serait revenu, on ferait une grande fête des voisins."