Assesse: un bassin agricole illégal menace un site géologique classé
Un bassin agricole entraîne des risques de détérioration du trou d’Haquin, site géologique classé. C’est le cri d’alerte de spéléologues et de la Commission wallonne d’étude et de protection des sites souterrains.
Publié le 21-12-2021 à 07h04
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L’hydrologie est une science complexe et la société Algimo Agrobos risque de l’apprendre à ses dépens. Cette entreprise gantoise a construit en 2020 un bassin agricole sans permis d’urbanisme dans les campagnes assessoises. Le tout à la méthode cow-boy, faisant fi des procédures judiciaires d’interdiction des travaux, de la réglementation communale et régionale et des éventuels impacts sur l’environnement local. Soit, la stratégie du fait accompli: construire un bassin, tenter de le régulariser et jouer sur le fait que la marche arrière est désormais compromise. Mais plus d’un an plus tard, les effets non désirés de la construction sauvage sur son environnement risquent d’avoir raison de son existence.
Crue et sécheresse
Des spéléologues namurois et la CWEPSS veulent en effet sensibiliser les autorités communales et régionales à l’impact que pourrait avoir ce bassin sur le site géologique et classé du trou d’Haquin. En juin et juillet, la grotte a été inondée à deux reprises lors des fortes pluies qu’a connues la Wallonie.
Sur base d'une technologie d'imagerie tridimensionnelle, La CWEPSS a analysé le relief de la doline du trou d'Haquin avant et après les inondations. Elle a conclu que 213 mètres cubes de sédiments, soit environ 500 tonnes, ont envahi le pas d'entrée de la grotte. "Ce sont des pierres anguleuses que nous avons dû dégager, pas des galets lisses. Il y a eu une vague, un phénomène de raz-de-marée qui ne pourrait être expliqué que par une forme de rupture de la digue du bassin, en amont de la grotte. Ce fut une mauvaise surprise que nous avons constatée sur le tard, nous n'avions rien suspecté car il n'a pas plu à Assesse comme sur l'Est du pays", constate Loran Haesen, directeur de la Maison de la spéléologie à Namur.
Du côté de la CWEPSS, le cartographe Georges Michel s’inquiète de l’influence du bassin sur le milieu protégé et souterrain en cas de crue et de sécheresse.
D'une part, dans un scénario de sécheresse, le bassin pourrait assécher la grotte par la simple privation de l'eau pour l'irrigation des 70 hectares de cultures alentour. Et d'autre part, lors des orages et phénomènes de fortes pluies, la digue du bassin risque (à nouveau?) d'être trop fragile et entraîner une vague de sédiments vers l'entrée du trou. "Le trou d'Haquin est un site classé et dans le cahier des charges, il n'est pas permis de modifier son alimentation en eau. Le constructeur de ce bassin a créé un barrage avec une évacuation trop faible" constate Georges Michel (CWEPSS).
Un océan de tensions
Le dossier du bassin remonte à 2019 et une réponse communale positive pour le forage d'un puits dans le cadre strict d'un test de captage. La société Algimo Agrobos a ensuite entamé des discussions officieuses auprès de l'administration communale assessoise pour l'exploitation de ce puits et la construction d'un bassin attenant. "Il n'y a pas eu de feu vert, lors de ces discussions, mais pas de holà non plus, explique Julien Bouillard, avocat mandaté par la société Algimo Agrobos, c'est certes une erreur d'avoir construit ce bassin sans permis, ma cliente a fauté. Mais maintenant, le fait est qu'il est là et qu'il faut réfléchir à des solutions pour débloquer la situation actuelle."
Le bassin a été construit en deux épisodes, séparés par une interdiction communale de continuer les travaux sans permis préalable. Cette interdiction a été outrepassée par la société agricole qui a préféré d'abord construire de manière illégale et ensuite demander une régularisation à la commune. Qui a refusé, évidemment. Le mépris pour l'avis communal de la part du demandeur a en effet abouti sur une guerre des tranchées entre la commune d'Assesse et l'entreprise demanderesse. "Nous avons l'impression que ma cliente peut proposer n'importe quelle solution pour contribuer aux besoins environnementaux, la commune nous dira non. C'est le rôle du ministère public de punir, pas de l'autorité administrative, celle-ci doit réfléchir à comment améliorer l'environnement" commente Julien Bouillard.
Du côté communal, l'échevine de l'urbanisme Nadia Marcolini décrit un esprit de non-collaboration de la part de l'entreprise: "Nous leur avions demandé le plan d'irrigation des cultures, ils n'ont jamais voulu le donner. Nous leur avons proposé des pistes pour respecter la biodiversité malgré tout, ils ont à peine répondu."
Le trou absent du dossier
Le dossier est maintenant dans les mains de la Région avec un recours d’Algimo Agrobos contre le refus communal d’accéder à la demande de régularisation du bassin. Ce seront donc aux ministres Céline Tellier (Environnement) et Willy Borsus (Aménagement du territoire) de s’exprimer. Avant un éventuel passage au Conseil d’État. Si la Direction des Eaux Souterraines a rendu un avis positif, mais conditionné, pour le bassin, ce n’est pas le cas du Département de la Nature et des Forêts. Celui-ci est totalement opposé à la régularisation de l’ouvrage.
Fait étonnant, l’influence possible du bassin sur le trou d’Haquin est à peine mentionnée dans le dossier à l’instruction, sinon de manière très succincte. D’où le cri d’alerte des spéléologues et défenseurs du milieu souterrain, qui craignent que le trou passe… au trou.