Éric Bougelet : sportif piégé ou fraudeur impénitent ?
Un ancien pilote de supermoto anhétois, son ex-femme, et ses sponsors, sont poursuivis pour fraude fiscale. Il risque 18 mois de prison et 200 000€ d’amende.
Publié le 28-09-2017 à 06h55
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Les Namurois amateurs de sports moteurs connaissent certainement Éric Bougelet. Le quadra, mordu de supermoto, a battu le bitume pendant plus de vingt ans, participant à des courses aux quatre coins de l’Europe et enchaînant les Superbiker de Mettet, notamment.
L’Anhétois a connu une carrière riche en émotions. Et comme beaucoup de sportifs avant et après lui, une carrière faite de hauts et de bas. Ses dernières années passées au pays – il réside en Espagne depuis 2006 – font certainement partie des moments à oublier. Ce qui explique peut-être son absence à l’audience correctionnelle du tribunal de Namur, ce mercredi matin. Car la Justice, elle, n’a pas oublié la fraude fiscale dont Éric Bougelet est le pivot présumé. Les faits se sont déroulés entre février 2001 et août 2006. On lui reproche d’avoir «surfacturé» certains de ses sponsors.
Concrètement, ces derniers ne lui reversaient qu’une partie de la somme inscrite sur le papier. La manœuvre arrangeait tout le monde. Les entreprises qui parrainaient Bougelet pouvaient déduire le montant initial de leurs frais. L’argent qui leur revenait ensuite du fisc était partagé entre les deux parties. Du 50-50, le plus souvent. Parfois une répartition 60-40 en faveur du sportif qui, bien sûr, ne déclarait rien.
«Les enveloppes étaient bien épaisses», précise le ministère public qui réclame une lourde peine à l'encontre d'Éric Bougelet: 18 mois de prison et 200 000€ d'amende.
Embrigadée dans cette histoire de sous, Delphine, l'ex-compagne d'Éric Bougelet, risque, quant à elle, 6 mois d'emprisonnement et une amende de 50 000€. Pour le substitut du procureur du roi, M. De Smedt, la prévenue aurait aidé son mari de l'époque à mener à bien ses malversations financières. «J'étais amoureuse, jeune et aveuglée par sa présence. Il me cachait la vérité. Il m'envoyait par-ci par-là réceptionner un chèque, déposer une facture», a raconté Delphine à l'audience.
Impossible que la jeune femme n'ait pas remarqué que les montants présents dans les enveloppes ne correspondaient pas à ceux indiqués sur les factures, dit le parquet. «Vous réceptionniez des payements et vous ne vérifiiez pas?» a demandé le substitut du procureur du roi.
Fraudeur mais aussi victime
Me Koning, qui défend les intérêts de Delphine, a débuté sa plaidoirie en dressant le portrait d'Éric Bougelet. «Un passionné qui a tout englouti dans la moto», a-t-il déclaré. Et quand il s'agit d'éplucher sa comptabilité, le motard se montre intransigeant. «Son beau-père, ainsi qu'un ancien colonel de l'armée, tous deux à la tête de son ASBL, ont essuyé des refus lorsqu'ils ont demandé à voir les comptes, a expliqué l'avocat du barreau de Bruxelles. Quelle force de persuasion aurait pu avoir une gamine de 18 ans?» Et Me Koning d'évoquer les rares fois où sa cliente s'est risquée à évoquer les finances de son mari: «Cela s'est terminé en coups. Mais ce que l'on refuse à son beau-père, à un colonel de l'armée ou à son épouse, on ne peut pas le refuser à l'ISI.» C'est en effet l'Inspection Spéciale des Impôts qui a découvert le dessous des cartes.
Mais pour l'avocat, si Éric Bougelet a bel et bien tenté de gruger le fisc, il est avant tout une victime d'un système qui existait avant lui. «Il n'en est pas l'inventeur, a-t-il dit. Ce sont les entreprises malveillantes qui proposent des sponsorings à des sportifs ayant perdu de leur aura et qui s'accrochent à leur rêve.»
Justement, certaines sociétés qui ont sponsorisé Éric Bougelet figurent, elles aussi, sur la liste des prévenus. Mais un seul patron, Gaëtan était présent mercredi matin devant le tribunal correctionnel. L'homme n'a pas vraiment le profil du PDG véreux. Avant de tremper dans la fraude, il était à la tête d'une société florissante dans le milieu de l'informatique. Mais du jour au lendemain, il a rencontré d'importantes difficultés financières. Et c'est en parrainant le pilote originaire d'Anhée qu'il a voulu se refaire. «L'argent que j'ai reçu de la fraude (NDLR: 53 000€) a servi à payer les heures supplémentaires de mon personnel», a-t-il expliqué, penaud. Il risque une amende s'élevant à 10% de la somme perçue à l'époque, soit 5 300€.
Les avocats de tous les prévenus invoquent la prescription et sollicitent l’irrecevabilité des poursuites en raison d’un vice de procédure. Le tribunal tranchera le 15 novembre.
Le fisc a-t-il mené l'enquête à la place du juge d'instruction ?
« Cette enquête a pris l'eau de toute part ! » Me Koning ne mâche pas ses mots vis-à-vis du juge d'instruction et du ministère public. Avec l'ensemble de ses confrères de la défense, il plaide pour l'irrecevabilité des poursuites. Explications.
– Prescription La fin de la période infractionnelle remonte à 2006. Pour les avocats, les faits sont donc prescrits. Pas tant que le dossier n'est pas clôturé auprès de l'administration fiscale, répond le ministère public.
– Qualification Me Koning relève que, dans son réquisitoire, le substitut a évoqué l'usage de faux fiscaux. « Or nous sommes en présence de faux de droit commun, dit-il Cela implique des faits différents. Le ministère public dénature donc les faits. »
– Instruction Le gros point de discorde entre les parties concerne l'enquête et la manière dont cette dernière a été menée. À charge, martèle la défense. Pour elle, l'administration qui dénonce les faits, l'ISI, a également conduit l'instruction.
Et Me Koning d'invoquer un article datant de 1986 et qui stipule : « Le juge a l'obligation de recourir à des experts extérieurs ou à la police judiciaire. » Le ministère public lui répond que l'administration fiscale a joué le rôle de simple témoin dans cette affaire.
Du constat de la défense découle un autre vice de procédure visant directement le juge d'instruction : il aurait délégué son enquête. « Entre les derniers faits et les premiers PV, il y a un trou noir de 3 ans », dit l'avocat de l'ex-femme d'Éric Bougelet. Il appuie ses dires des apostilles que le juge d'instruction a mentionnées durant ce laps de temps : « "Où en est l'enquête ?" a-t-il demandé à plusieurs reprises. » Une posture qui prouve, toujours selon la défense, que le magistrat a délégué l'instruction. Une analyse qui, si elle est partagée par la présidente, Manuela Cadelli, aboutira à l'irrecevabilité des poursuites.