Paloma Sermon-Daï: «J’ai réappris à connaître mon frère»
Dans «Petit Samedi», Paloma Sermon-Daï pose, par le biais de son frère, un autre regard sur la toxicomanie.
Publié le 10-06-2021 à 06h00
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C'est l'un de ces films dont les ailes avaient été coupées, brutalement, par la refermeture des salles de cinéma, à l'automne dernier. À la différence près que Petit Samedi n'est pas Godzilla, et que le documentaire de Paloma Sermon-Daï est une œuvre fragile, qui aurait pu ne pas s'en remettre: «On était déçus, se souvient la jeune réalisatrice. On avait connu un beau début de… vague avec ce film, puis tout s'est arrêté, et on était tristes de ne pas pouvoir partager cette expérience alors que tant de rencontres étaient déjà prévues. »
Pas que de sa faute
Mais Petit Samedi n'avait pas pour rien été couronné du Bayard d'Or du meilleur film lors du dernier Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF). Il fait donc partie de la cohorte de films qui ont fait, ce mercredi, l'objet d'une «ressortie». Logique tant son sujet est universel. Un peu tabou aussi puisqu'il s'agit de la toxicomanie et de ses conséquences, tant pour celui qui en est atteint que pour son entourage.
Ce long-métrage documentaire relève d'ailleurs, dit Paloma Sermon-Daï, d'une forme de «ping-pong» entre son frère Damien, son principal protagoniste, et sa mère. Un film de famille, en somme, grâce auquel certains ponts, pas loin d'être coupés, ont pu être restaurés: «Il y a une grande différence d'âge entre mon frère et moi, constate la cinéaste, mais déjà à l'enfance, j'avais le sentiment que si mon frère était toxicomane, ce n'était pas que de sa faute, mais que c'était une maladie, tout simplement.»
On a tous un toxicomane ou un alcoolique dans la famille: en parler, c’est le premier pas vers la guérison
Son film s'intéresse donc autant à l'homme, apprécié de la communauté locale – Sclayn, un petit village du Namurois – qu'au drogué. Car les deux ne font qu'un. Et que doit cesser, un jour, toute forme de culpabilité: «L'histoire de mon frère, souligne Paloma Sermon-Daï, est celle de nombreux jeunes un peu paumés des campagnes. Celle d'un gamin qui veut vivre, s'amuser, franchit des limites quand il n'est encore qu'un ado ou un jeune adulte, puis loupe une marche et en paie les conséquences tout le reste de sa vie.»
L'addiction sera entretenue par une situation familiale compliquée, qui obligera Damien à endosser, sans doute trop vite, certaines responsabilités. Un parcours de vie sur lequel il revient dans Petit Samedi, un film grâce auquel il a entamé une thérapie qui porte ses fruits aujourd'hui: « Il va mieux, et a très envie de témoigner. Mais la dépendance est un problème complexe, qu'il s'agisse de drogue ou d'alcool. Si on enlève l'addiction, on ne résout pas forcément le problème, c'est une toile d'araignée et l'entourage d'un toxicomane ne doit, en général, pas attendre de réponses précises qui expliqueraient ses difficultés. Le chemin a été long, donc, mais grâce à ce film, j'ai réappris à connaître mon frère, à rouvrir le dialogue et à briser les tabous avec l'entourage, notamment les gens du village, qui viennent spontanément nous en parler, désormais. Ce film est un socle. » Un socle qui doit permettre d'ouvrir un dialogue plus large, au-delà de la famille Samedi.
Essuyez vos pieds avant d’entrer
«En faisant et en sortant ce film, j'ouvre l'intimité de ma famille, témoigne Paloma Sermon-Daï. Et pour l'instant, les retours sont bienveillants, et j'espère qu'ils le resteront: on ouvre notre porte, j'attends donc que les gens essuient leurs pieds avant d'entrer (elle sourit). Mais au-delà de notre cas, j'espère que ce film servira à d'autres familles, car elles ont toutes leurs petits fardeaux: on a tous un toxicomane ou un alcoolique dans notre cercle familial, ou pas loin. Et il n'y a rien de pire que le poids du secret et de la honte. Il est très sous-estimé et fait des ravages. Le film le montre: la première étape doit être d'en parler. C'est le premier pas vers la guérison.»
«Petit Samedi», documentaire de Paloma Sermont-Daï. Durée: 1 h 15. Sorti le 9/6.