Namur : rassemblés pour le droit de mendier sans restriction (vidéo)
Plusieurs sans-abri de Namur, Bruxelles, Liège et Charleroi ont mené lundi une action près de la gare, au pied du Grand hôtel de Flandre pour dénoncer l’ordonnance anti-mendicité prise par le bourgmestre jusqu’au 7 novembre.
- Publié le 21-08-2023 à 11h38
- Mis à jour le 21-08-2023 à 20h22
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"Déplacer la misère ne la fera pas disparaître", ont scandé lundi des sans-abri, anciens sans-abri, membres d’associations et sympathisants venus de grandes villes wallonnes et de Bruxelles. Réunis devant la gare de Namur en "front commun de personnes sans-chez-soi", ils s’insurgeaient contre l’ordonnance prise par Maxime Prévot le 7 juillet pour interdire la mendicité dans et à proximité des galeries commerçantes sur l’ensemble du territoire jusqu’au 7 novembre. Une période jugée "adéquate pour réguler le phénomène" par le mayeur.
"Ce n’est pas un hasard si la mesure s’arrête après la période estivale: on privilégie les gens qui boivent un verre en terrasse au préjudice de ceux qui sont assis par terre. Encore une fois, le bourgmestre a décidé unilatéralement de mettre ce règlement en place, déplore Ludwig Simon, porte-parole des mendiants de Namur. En 2015 et 2017, il avait fait la même chose. L’affaire était passée au tribunal et la justice nous avait donné raison en déclarant que c’était illégal. En 2015, le conseil d’État avait suspendu le règlement anti-mendicité et en 2017, c’est moi qui avais gagné." Maxime Prévot juge la réaction de Ludwig Simon surprenante: "Je l’ai rencontré il y a peu et il m’a dit que j’avais eu raison de prendre des mesures ciblées car il constatait aussi des excès."
Des bâtons dans les roues
Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté soutenait aussi cette action. Pour sa présidente, Christine Mahy, une telle ordonnance n’a pas sa place, même si elle est temporaire. "C’est grave dans tous les cas, estime-t-elle. C’est d’autant plus mal vécu que ça donne l’impression qu’il faut rendre les centres-villes “propres”, que les sans-abri dérangent et ne sont pas assez bien pour le standing de la ville. Est-ce cela la société que l’on veut ? Cacher les SDF car ils ont une vie différente et ne correspondent pas à l’image de la beauté et du confort ?" Pour elle, les sans-abri ne sont pas des objets à déplacer comme des pions mais des humains avec une histoire, une famille et des accidents de la vie.
Personne ne se lève en se disant: "Ce matin, je me fous dans la merde", disent les SDF. Pour eux, vivre dans la rue n’est pas un choix. Certains le sont depuis longtemps et ne parviennent pas à sortir de l’engrenage, d’autres s’en sont sortis à l’image de Benoît Lecocq, président de l’ASBL liégeoise Benoît et Michel. "J’ai vécu dans la rue en 2007. J’étais indépendant, j’ai eu des problèmes familiaux, j’ai perdu mon habitation… De là, ça a été la catastrophe." Sur une affiche accrochée autour du cou, il a écrit "Je suis le fils de Simone" pour montrer que ceux qui sont à la rue ont des liens familiaux et sociaux comme tout être humain. "La précarité peut toucher tout le monde, du jour au lendemain, à cause d’une perte d’emploi, d’une maladie, d’une séparation… Au sein de notre ASBL, on s’occupe notamment de Roger qui, à 70 ans, dort sur un trottoir. Un ancien médecin et un ex-banquier nous ont aussi demandé de l’aide. En outre, de plus en plus de femmes et de gens très jeunes nous sollicitent."
Nikita, lui, vit dans à la rue depuis plus de cinq ans. Le Namurois de 32 ans porte une pancarte "Acteur de ma vie". "C’est pour montrer que si je veux m’en sortir, je peux. En tout cas, la volonté est là. Mais on a toujours des bâtons dans les roues. J’ai fait des demandes pour avoir un logement social. Mais je n’ai pas de travail. Or, pour avoir un job, il faut un domicile fixe… C’est le serpent qui se mord la queue, regrette-t-il. C’est simpliste de dire à un SDF “Tu n’as qu’à travailler” car en vrai, ce n’est pas si simple."
Davantage de logements
Le maintien de l’ordre, de la sécurité et la salubrité publiques faisaient partie des arguments du bourgmestre. D’après Nikita, la violence est générée par la pression et l’abandon que ressentent les mendiants à Namur.
De son côté, Ludwig Simon ne nie pas les problèmes d’addiction à l’alcool et aux stupéfiants qui règnent au sein du public précarisé. Mais là aussi, il dénonce des aberrations. "À la galerie Wérenne, la police passe cinq à six fois par jour même si on ne fait pas la manche et elle nous chasse ! Du coup, le personnel du Relais social urbain namurois ne retrouve pas les SDF dont il s’occupe et le climat de confiance est rompu, explique-t-il. Il arrive aussi que des personnes traitées pour des addictions fassent un passage à l’hôpital ou au Centre neuropsychiatrique de Dave et retournent ensuite à la rue, livrées à elles-mêmes. Alors, elles replongent. Tant qu’il n’y aura pas plus de logements et plus de places pour ces gens souffrant d’addictions (qui sont de véritables maladies), on ne s’en sortira pas !"
Comme les autres manifestants, Olivier Vangoethem, ancien SDF et membre du Syndicat autonome liégeois des sans-abri, à l’initiative de l’action de lundi, réclame des solutions pérennes. Parmi celles-ci: que le statut de cohabitant (qui fait baisser l’allocation sociale des personnes vivant sous le même toit) soit supprimé. "Faire la manche ne concerne pas que les sans-abri mais les mal logés aussi, souligne-t-il. Avoir 600 € par mois avec le revenu d’intégration sociale, ça ne permet pas de vivre dignement à l’heure actuelle." Pour lui, une telle ordonnance ne fait que stigmatiser les sans-abri alors qu’ils/elles ont besoin qu’on leur tende la main. "Il ne suffit pas de mettre la “poussière” sous le tapis !"