La mendicité à Namur: harcèlement pour les uns, fléau pour les autres
D’un côté, des sans-abri qui estiment être harcelés par des policiers. De l’autre, des commerçants qui se sentent oppressés par le nombre de mendiants qui augmente, accentuant le sentiment d’insécurité dans le secteur de la gare. Témoignages croisés.
- Publié le 06-06-2023 à 20h07
- Mis à jour le 06-06-2023 à 21h48
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Sébastien en a ras le bol. À la rue depuis une bonne dizaine d’années, plus particulièrement dans le haut de Namur, à la galerie Wérenne, l’homme de 40 ans a le sentiment d’être victime d’une chasse aux sorcières. "C’est du harcèlement voire de l’acharnement. Les policiers viennent quotidiennement, parfois plusieurs fois par jour, pour nous dégager."
Selon lui, les policiers (sauf à de rares exceptions près) le persécutent sans prendre le temps d’écouter son histoire ou ses arguments. "Pour moi, faire la manche, c’est tirer sur le bras de quelqu’un pour lui réclamer de l’argent. Or, je ne suis pas comme ça, affirme-t-il. Je suis assis par terre avec mon chien, je lis des bouquins et je n’ai même pas de gobelet devant moi pour récolter des pièces. Les gens donnent des sous s’ils ont envie ou pas."
Malgré le fait qu’il semble se tenir à carreau, il estime être devenu la bête noire des agents de la police locale. "Ils connaissent mon nom mais malgré cela, ils me réclament ma carte d’identité alors qu’ils savent que je n’en ai plus, raconte-t-il. Ils m’encerclent à cinq ou six et m’obligent à partir alors qu’ils n’ont aucun prétexte pour le faire. C’est arrivé qu’ils m’embarquent tout de suite, sans sommation, sans que je puisse avoir le temps de dire un mot, et que je finisse en cellule alors que je n’ai rien fait. Ils me reprochent d’être ivre sur la voie publique même quand je n’ai rien bu !"
"Ça ne m’amuse pas d’être SDF"
Sébastien admet s’être déjà emporté lorsqu’il a abusé de l’alcool. "Oui, parfois, je craque. On dirait qu’ils n’attendent que ça. Mais je ne suis pas de nature agressive. En général, quand j’ai bu, je m’endors et je n’emmerde personne !", assure-t-il. Lorsqu’il est embarqué manu militari, les policiers n’y vont pas de main morte pour le menotter. "J’ai des marques aux poignets", nous montre-t-il, affirmant même avoir été une fois victime de violences de leur part en cellule. "Un policier m’a dit un jour qu’il fallait nettoyer le haut de la ville de ses clochards. On nous prend pour des déchets, se désole-t-il. Ça ne m’amuse pas d’être SDF. J’aimerais m’en sortir mais c’est compliqué."
Ce qu’il regrette le plus, c’est d’être mis dans le même sac que les individus qui commettent des délits (vols, vandalisme, violences, etc). Sébastien se dit lui-même victime de la violence des autres. "Ça arrive de plus en plus souvent. Je suis agressé ou volé en rue. C’est le cas aussi à l’abri de nuit, voilà pourquoi je n’y vais pas. En un an, on m’a dérobé sept guitares. Par contre, quand c’est moi qui ai des problèmes, la police n’est pas là pour m’aider."
Max, son compagnon d’infortune, mendie en général dans le bas de la ville. Avec lui, les policiers sont respectueux, dit-il, mais il reproche aussi à ces derniers de mettre tous les sans-abri dans le même panier. "Ils font un gros amalgame. Il nous arrive de boire mais il y a aussi des jeunes et moins jeunes qui boivent sur les places d’Armes ou Maurice Servais. À eux, on ne dit rien, on ne les embarque pas. Il y a deux poids deux mesures."Comme lui et d’autres, Sébastien souhaite qu’on arrête de stigmatiser et persécuter les SDF qui sont "tranquilles". "Je comprends l’envie du bourgmestre d’embellir la ville et d’interdire la manche agressive. Mais je ne fais de mal à personne. J’aimerais juste avoir la paix", conclut-il.
«Ils s’agglutinent, crient et racolent les passants»
Pour les commerçants et les horécaïstes autour de la galerie Wérenne, la mendicité et l’agressivité se sont aggravées, d’autant plus depuis les travaux devant la gare.
Régulièrement, la patronne de l’Isola di Pasta, rue de l’Inquiétude, voit ses poubelles retournées devant son restaurant. «C’est depuis que je ne donne plus de la nourriture aux sans-abri, dit-elle. Avant, je donnais tous les jours. Mais ils se sont passé le mot et ce n’était plus possible.» Elle déplore l’agressivité, toujours plus prégnante, et même le vol de ses pourboires, quand elle et ses collègues ont le dos tourné. «Ils sont en bande et ils traînent. La police passe mais pas assez.»
L’agressivité et l’insistance de certains sans-abri qui quémandent de l’argent, les patrons de la brasserie L’Entre-Nous, l’observent aussi. «Avant, ils étaient plus respectueux mais ce n’est plus le cas. Et ils sont plus nombreux. Le phénomène de bande s’est accentué avec les travaux près de la gare. Ils s’agglutinent dans la partie plus étroite de la galerie, jouxtant le magasin de chaussures Pronti, indique le fils des gérants. Ils crient, racolent les passants, si bien que ces derniers changent d’itinéraire et n’osent plus passer.»

Quant au couple qui gère le YouWok, place de la Station, il n’en peut plus. Depuis huit mois qu’il est là, Isabelle et Michaël ont tous deux été agressés verbalement. «Je suis de Bruxelles et j’avais vendu du rêve à mon mari en disant que Namur était une chouette ville pour s’installer. Je le regrette amèrement, confie Isabelle. Contrairement au bas de la ville, ce quartier n’est pas sûr ni attrayant. La fréquentation de notre établissement en pâtit.» D’après elle et son époux, des sans-abri viennent souvent demander à manger gratuitement et quand ils n’ont pas ce qu’ils souhaitent, ils se montrent belliqueux. «Des clients sont choqués de l’ambiance qui règne ici (non seulement près de la gare mais également rue Rogier, etc). Nous aussi.»
Plus de patrouilles réclamées les soirs et les week-ends
S’il ne s’agissait «que» de mendiant(e)s isolé(e)s, ça passerait encore mais leur nombre et leurs habitudes illicites posent question. «Ils boivent sur la voie publique. On les voit se piquer à l’héroïne, rue de l’Inquiétude. Ils ne mendient pas pour manger mais pour acheter de la drogue», s’insurge Sandrina, la patronne.
D’après les gérants de l’Entre-Nous, la clientèle avait déjà diminué à cause des travaux de rénovation de la galerie. Une galerie dépeuplée qui, il faut bien le dire, n’incite pas à la flânerie avec la plupart de ses vitrines occultées. À présent, ils subissent les répercussions du chantier de la place de la Station qui se mêlent à ces problèmes d’insécurité. «Certains clients n’osent plus réserver en terrasse!»
Pour les horécaïstes gravitant autour de la galerie, il faut donc prendre la problématique à bras-le-corps. «Il ne s’agit pas de chasser ces sans-abri du quartier et de les déplacer ailleurs mais de trouver de réelles solutions. Rien n’a bougé à la suite des promesses faites par le bourgmestre il y a trois ans pour endiguer le phénomène», regrette Sandrina, en visionnant une vidéo de 2020. Ce mercredi, ces commerçants rencontrent Maxime Prévot et le chef de corps de la police pour en discuter, une nouvelle fois.
Pour Isabelle, de YouWok, il faut absolument plus de patrouilles les soirs et les week-ends car ce sont là les moments les plus critiques. «La police fait des rondes en combi mais elle ne voit pas ce qui se passe réellement, souffle-t-elle.Il faut que ça change car au quotidien, c’est fatigant!»
Maxime Prévot : «Le quartier de la gare doit être assaini»
Sébastien, le sans-abri (lire ci-contre), est plutôt satisfait des aides mises en place par la Ville pour les démunis (comme celles du relais social urbain namurois, du CPAS et de diverses associations), estimant que les travailleurs sociaux font du bon boulot.
Pour le mayeur, cette panoplie de services est en effet bénéfique mais a aussi un effet pervers : «Ça se sait ailleurs. Dès lors, des mendiants d’autres villes convergent vers Namur. Le fait que le Namurois soit réputé généreux agit aussi comme un appel d’air.»
Il évoque une mendicité excessive qui a tendance à devenir agressive. Il a donc clairement demandé à la police de durcir le ton. «Le but est d’éviter les abus et de ne pas inciter les sans-abri à considérer Namur comme une destination privilégiée pour mendier, dit-il. D’autant plus qu’on constate une recrudescence des groupes agressifs ou insultants. Être précarisé ne donne pas le droit d’avoir des comportements inciviques ou violents.»

«Pas une chasse aux pauvres»
Maxime Prévot comprend que certains, comme Sébastien, se sentent pris en grippe par la police. «C’est le syndrome de la classe qui est punie pour quelques élèves turbulents», répond-il, rappelant qu’il y a plusieurs années, il a voulu interdire et cadrer la mendicité. «Le PS est allé en recours et la plupart des dispositions ont subi un impact. Aujourd’hui, les moyens d’action sont donc très limités.»
Pour lui, le quartier de la gare doit être assaini et rendu plus convivial. Tant sur le plan urbanistique (d’où le projet du square Léopold) que sur le plan du vivre-ensemble dans l’espace public. «Car trop de gens sont alcoolisés, toxicomanes, agressifs ou mendient de façon insécurisante. Je soutiens donc la police pour traquer les comportements problématiques.»
À ne pas confondre, selon lui, avec une «chasse aux pauvres», un argument qui serait infondé au vu des dispositifs sociaux déployés par la Ville pour venir en aide aux personnes défavorisées.