Namur: les magasins D’ici, une "formidable aventure humaine" depuis 10 ans
Dix ans déjà que le magasin D’ici s’est implanté dans le Namurois. Retour sur ce concept qui se définit plus comme un "super marché" privilégiant les agriculteurs, artisans et petites entreprises du coin plutôt qu’un supermarché.
Publié le 24-05-2023 à 18h29 - Mis à jour le 25-05-2023 à 07h29
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C’est le 25 mai 2013 que D’ici prend ses quartiers à Naninne dans un bâtiment de 400 m2. Au début de l’aventure, on retrouve Frank Mestdagh, dont la célèbre famille s’est fait sa place dans le secteur de la grande distribution dès le début du XXe siècle, et Florence Trokay, son associée.
Le rêve de Florence et Frank est pourtant bien différent de la stratégie marketing d’un hyper ou d'un supermarché: privilégier une consommation plus locale et responsable. "Nous n’étions pas pionniers car il y avait déjà des initiatives du genre. Mais à l’époque, il n’y avait pas un magasin aussi structuré que le nôtre et avec une offre aussi importante, estime Frank Mestdagh. On a démarré avec 70 producteurs et aujourd’hui, ce nombre a triplé. Je pense qu’actuellement, on est toujours le plus grand magasin de produits locaux de Belgique."
Le circuit court, pas qu’une question de distance
Dès son ouverture, D’ici fait une promesse: 50% des produits du magasin parcourent moins de 50 km. "C’est toujours le cas, assure Frank Mestdagh. Sur une saison, on travaille avec 270 producteurs et au quotidien, on propose en magasin les produits de 200 producteurs en moyenne."
Quant aux autres 50%, d’où proviennent-ils ? "On est dans une philosophie locale et on travaille avec des gens que l’on connaît. On essaie de faire au plus court au mieux", affirme Frank Mestdagh pour qui le circuit court n’est pas qu’une question de distance. Il s’en explique: "Depuis 2017 par exemple, on a noué un partenariat avec un producteur de plants et de semences à Perpignan. Par la suite, il a décidé de rassembler les produits de producteurs qu’il connaissait et de les vendre à Cru (enseigne de Colruyt Group) ainsi qu’à nous, expose Frank Mestdagh. Ces producteurs partagent la même philosophie que ceux qui travaillent avec nous ici en Wallonie, c’est important."
C’est ainsi que D’ici peut proposer en avance des tomates du sud de la France, où les fruits et légumes profitent plus tôt des rayons du soleil (et éviter une production sous serres chauffées, extrêmement énergivores). Même chose pour les pêches, nectarines, abricots ou pastèques qui ont bien du mal à pousser sous la grisaille belge.
Le circuit court, c’est aussi la rencontre entre les producteurs et les clients. "Chaque année, on organise 150 à 200 animations dans nos magasins avec les producteurs de la région, relève Frank Mestdagh. Tout cela est possible car on les connaît. Ce sont là les bienfaits de la proximité. Au-delà des magasins, il y a tout le relationnel, les liens qu’on tisse avec les producteurs et les projets qu’on développe avec eux afin que leur travail soit reconnu."
Un jeune duo aux manettes
Si au fil du temps, l’enseigne a séduit une clientèle namuroise, elle a aussi dû traverser des épisodes plus houleux comme la faillite de son magasin de Hannut, ouvert en 2016. "Il a dû fermer un an plus tard car il n’y avait pas assez d’intérêt là-bas pour ce que nous proposions, se souvient Frank Mestdagh, Namurois d’adoption. Notre concept s’adresse à un public plus urbain et n’était pas adapté à une ville plus petite que Namur."
Un coup dur surmonté avec l’aide d’une équipe de collaborateurs dynamiques. Cinq ans après ce flop, D’ici choisit à nouveau la capitale wallonne pour son deuxième magasin de 220 m. Il s’installe à Wépion en juin 2021.
C’est tout récemment, en mars, que Florence Trokay, l’associée de Frank, s’est retirée de la gestion pour se lancer dans d’autres projets sur ses terres liégeoises. Le choix du fondateur pour prendre la relève s’est alors porté sur deux jeunes collaborateurs remplis d’idées: Élisabeth Bois d’Enghien et Jérôme Bette. Ensemble, ils forment le nouveau binôme qui mène la danse en perpétuant l’âme D’ici, ses projets et sa responsabilité sociétale.
S’il n’est plus dans la gestion opérationnelle, Frank Mestdagh n’est jamais loin. Il reste actionnaire et est impliqué dans trois volets: le sourcing (choix des producteurs et des produits), l’expansion (trouver des nouveaux sites et projets) et la collaboration avec deux entreprises approvisionnant des collectivités (crèches, homes, cuisines d’entreprises, etc.) en jouant l’intermédiaire entre elles et les producteurs.
"Même si tout n’a pas toujours été rose, c’est une formidable aventure humaine que nous vivons depuis dix ans. On a la chance d’avoir des collègues extraordinaires, très impliqués, qui savent pourquoi ils se lèvent chaque matin. Notre projet fait sens plus que jamais", conclut Frank Mestdagh, espérant que D’ici fasse des petits endéans les dix années à venir. D’autres projets sont dans les cartons mais pour l’heure, il reste discret.
"Ce sont les consommateurs qui ont les clés de ce changement"
Frank Mestdagh, comment D’ici se démarque d’autres magasins dans la même veine comme Paysans-Artisans par exemple?
Eux sont plus actifs dans la sensibilisation et le militantisme et ils le font mieux que nous. Au niveau des magasins, les nôtres sont plus grands et proposent plus de choix. Sans être présomptueux, on maîtrise mieux le métier du magasin notamment car on ne collabore qu’avec des salariés (une trentaine) qui sont formés quand ils arrivent. Eux travaillent plus avec des bénévoles qui connaissent parfois moins bien les produits.
Comment assurez-vous un prix juste aux producteurs?
Quand un producteur vient nous présenter un produit, on essaie d’abord de comprendre qui il est et ce qui l’anime. Une fois qu’on a cerné la personne et qu’on constate qu’il travaille dans la même philosophie que nous, on peut collaborer. Le producteur nous propose son prix et on applique des coefficients de marge.
On vise deux choses : la belle histoire derrière le produit et le bon prix, qui convient à la fois au producteur, au client et à nous. Si tout le monde est content, c’est facile. Si on pense que c’est trop cher, on en discute avec le producteur. Soit il accepte de revoir son prix, soit on rabote notre marge si le produit est vraiment génial.
Que dites-vous aux personnes qui estiment qu’acheter local, de saison, bio et de qualité est plus cher?
Pour moi, il faut parler d’une notion de valeur plutôt que d’une notion de prix. Derrière le produit que l’on propose, il y a plein d’autres choses ainsi que des bienfaits que l’on ne retrouve pas dans l’alimentation agro-industrielle. On propose toujours des produits gustativement intéressants avec des infos claires et transparentes. Si les clients acceptent de payer plus cher, c’est parce qu’ils y trouvent leur compte et que les produits sont bons et bien meilleurs pour leur santé. On veille à la composition des produits, à leur emballage, etc.
Comment voyez-vous les prochaines années? L’avenir de D’ici et du local?
Si on m’avait posé la question avant le Covid et la crise énergétique, j’aurais répondu que plus de gens seraient des convaincus dans dix ans. Mais depuis juin 2021, et surtout depuis la guerre en Ukraine, ça a été la descente aux enfers. L’an passé, on a perdu entre 25 et 30 % de volume d’activité, du jamais vu!
Heureusement, c’est relativement bien géré et on a eu de belles années avant ça. On n’est donc pas en danger. Par contre, beaucoup de producteurs le sont ou ont déjà carrément arrêté. Le secteur est clairement fragilisé.
Ma conviction, c’est que l’alimentation est un formidable levier de transformation de la société. On a besoin de se nourrir et on fait des choix alimentaires plusieurs fois par jour. Au final, ce sont les consommateurs qui ont en main les clés de ce changement.

D’ici a aussi ses jardins
Pour célébrer sa première décennie, D’ici organise deux événements durant ce week-end.
Ce samedi 27 mai, dès 10h, les Jardins D’ici seront à découvrir lors de leur inauguration. «Il s’agit d’un terrain d’1,5 ha autour du bâtiment du magasin de Naninne, indique le co-fondateur de l’enseigne, Frank Mestdagh. On avait une collaboration avec des maraîchers qui venaient cultiver leurs légumes mais on a eu du mal à la pérenniser. On a donc décidé d’y développer un autre projet.»
Ce tout nouveau jardin est né d’une collaboration avec Natagora et Semisto (un collectif rassemblant des concepteurs, des formateurs et des spécialistes des forêts et de la permaculture). En collaboration avec l’ASBL Relocalise, D’ici a imaginé un jardin où petits et grands pourront se divertir, s’émerveiller et interagir grâce à des partenaires qui co-animent ce jardin et ses activités, à savoir la régionale namuroise des bénévoles de Natagora, et Michael Hulet, spécialiste de la forêt nourricière, amenée à se développer dans le futur. Le projet propose également une plaine de jeux, un poulailler mobile, un potager didactique et d’autres aménagements pour petits et grands.
À l’occasion de cette journée d’anniversaire, les associations Nature & Progrès, Cuisine Sauvage et la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux animeront également divers stands et activités.
Pour Frank Mestdagh, ce projet est plus que jamais en phase avec les valeurs de l’enseigne. «Notre raison d’être est d’inspirer nos équipes, les producteurs, les consommateurs et les commerçants pour tendre vers une consommation encore plus locale et responsable et créer du lien entre tous ces acteurs.» Le lendemain, D’ici organise aussi sa première marche gourmande à travers le village de Naninne. Un menu 100 % local en 6 étapes mais elle est déjà complète.