Claude Eerdekens, le révolté: 75 printemps dont 51 ans de mayorat (vidéo)
Ce samedi 13 mai, Claude Eerdekens, bourgmestre d’Andenne depuis 51 ans (le plus ancien de Wallonie), souffle sa 75e bougie. C’est peut-être avec une petite coupe de champagne (son péché mignon, de son propre aveu) qu’il le célébrera. Boulimique de travail, il s’est accordé quelques jours de vacances mais jamais sans un dossier à portée de main. "L’appétit d’apprendre", dit-il. Confidences de ce révolté, inspiré dès son plus jeune âge par de Gaulle, Churchill et Kennedy, dont la devise est "Persévérer".
Publié le 12-05-2023 à 19h51 - Mis à jour le 13-05-2023 à 09h07
Quand il était gamin, Claude Eerdekens a reçu de sa maman l’ouvrage Profiles in Courage, qui a valu à John Kennedy l’éminent prix Pulitzer en 1957. Il n’a jamais oublié le message qu’il véhiculait: "À certains moments, il faut oser ramer à contre-courant de la pensée dominante si celle-ci s’avère négative pour l’intérêt général et la population, se souvient-il. Le courage en politique est une vertu."
Lorsqu’il est devenu bourgmestre de Seilles en 1972 (avant la fusion des communes), alors qu’il n’était encore qu’étudiant à l’université de Liège, il s’est attelé à garder cet adage dans son viseur. Il l’a appliqué tout au long de sa carrière politique et aussi dans son job d’avocat, qu’il exerce encore. "J’ai toujours voulu garder un métier extérieur à la politique, pour ne pas en dépendre matériellement et rester indépendant", dit-il.
"Je reste poli"
Claude Eerdekens se bat bec et ongles lorsqu’il considère que ses combats sont légitimes, avec un franc-parler et des punchlines qui n’appartiennent qu’à lui. "Je ne cherche pas à choquer, tempère-t-il. J’exprime ce que je pense être juste et je m’indigne. L’âge ne doit pas altérer la capacité de révolte que l’on a en soi par rapport à des situations inadmissibles. Je suis un révolté !"
Il reconnaît facilement qu’il peut être abrupt quand on vient titiller ses convictions et ses valeurs. "Parfois, je ne suis pas facile à vivre, je suis irritable. C’est mon grand défaut, confesse-t-il. Je m’en veux de l’être et je m’en excuse. Mais je reste poli malgré tout."
On se souvient de quelques coups de sang, comme en 2011, où il s’était fait remonter les bretelles par le ministre des Pouvoirs locaux (feu Paul Furlan) après s’en être pris à l’opposition de façon très virulente, ou en 2014, quand il s’était clashé avec des pompiers sur la mise en place de la zone de secours NAGE. "Il faut que je sois plus zen, c’est ce que tout le monde me dit", sourit-il.
Claude Eerdekens estime toutefois être plus modéré qu’à ses débuts. "Il y a un demi-siècle de décalage mais surtout, il y a l’expérience. La vie a fait que j’ai appris beaucoup, j’ai reçu des coups et je suis plus sage !"
Trois clés à sa longévité
Ce caractère d’ours mal léché ne l’a pas empêché de diriger la cité des Ours pendant plus de 50 ans. Une longévité qu’il attribue d’abord à son labeur. "Je travaille environ 100 heures par semaine. Je me lève vers 4h30-5h du matin. J’adore travailler, s’enthousiasme-t-il. Le week-end, je reprends des dossiers avec moi et quand je pars en vacances aussi. J’ai toujours l’appétit d’apprendre. Je me nourris aussi d’ouvrages historiques, juridiques et philosophiques."
La deuxième clé pour durer est, d’après lui, la lucidité. Viennent ensuite le sens de l’analyse et la compréhension. "Si vous parlez de choses que vous ne comprenez pas, comment voulez-vous gérer ? Une de mes qualités, c’est d’avoir une formation de juriste. Dans ce monde à ce point manichéen, tortueux et complexe, l’étude du droit m’a fort aidé."
Victoires et défaites
Sa pugnacité et son travail acharné l’ont amené à concrétiser des réalisations dont il est fier. "Comme député, j’ai obtenu un vote unanime à la Chambre pour que soient condamnés en correctionnelle les gens qui nient l’holocauste commis par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, indique-t-il. Au niveau local, ma plus grande satisfaction, c’est la transformation et la modernisation d’Andenne. C’était une ville très en déclin, qui a souffert d’une paupérisation accélérée liée à la désindustrialisation. Après les golden sixties, ça s’est dégradé en 70-80. J’ai insufflé une politique dynamique d’accueil d’entreprises."
Apporter de l’emploi et limiter le chômage ont toujours été ses obsessions. Il avait été frappé par deux visites inspirantes. "À Courtrai, zone prospère, j’ai découvert ce qu’était l’industrie flamande des années 70. En Wallonie, nous étions à des années-lumière de ce développement, se remémore-t-il. Puis, je suis allé en Italie. J’adore la Toscane ! C’est un endroit merveilleux. Le génie italien a créé des PME extraordinaires, devenues des leaders mondiaux dans un environnement artistique et bucolique. Le modèle italien est très efficace, contrairement à ce qu’on peut dire."
Le bourgmestre a aussi dû traverser et gérer des épisodes plus pénibles, comme la mise en liquidation des papeteries Intermills il y a 40 ans. Avec 260 travailleurs restés sur le carreau, ce fut un séisme pour Andenne qui avait déjà perdu près de 1 500 emplois dans les années 70 et 80.
"Je l’ai appris par Jean-Maurice Dehousse, le ministre de l’Économie (mort en février 2023, NDLR). Il m’a appelé au milieu de la nuit. On s’est un peu engueulés, relate-t-il. C’était une mauvaise nouvelle mais on s’est dit “tant pis, on va reconvertir le site !” et la Ville l’a acheté à la curatelle. Désormais, il y a des activités et du logement. Par la suite, une série de nouvelles entreprises est apparue dans des lieux moins proches du cœur de ville." Transformer l’adversité en opportunité, telle est la philosophie du mayeur.
Coiffé de son fidèle Stetson, il aime se promener dans sa commune dont il ne tarit pas d’éloges. "Il y a forcément des gens qui râlent et qui s’y trouvent mal mais, globalement, on a un indice de satisfaction bien réel. La Meuse est un fabuleux atout. C’est vallonné, il y a de la verdure, des champs, des forêts…, assure-t-il, enjoué. On a de formidables avantages sans avoir les inconvénients des grandes villes. Il y fait bon vivre !"
«Je suis un homme bon»
On le sait moins mais Claude Eerdekens se plaît à découvrir de nouvelles contrées. La plus récente? La Martinique. C’est aussi un grimpeur qui a gravi le Machu Picchu, le mont Rose, le mont Blanc ou encore le Kilimandjaro, en Tanzanie, qui culmine à 5895 mètres. Amoureux de la vie, il nous livre ses petits bonheurs simples.
Que faites-vous pour décompresser hors de la vie politique?
J’apprécie particulièrement les déplacements culturels. Visiter un musée, c’est passionnant. J’adore voir des chefs-d’œuvre de l’humanité comme les tableaux de Botticelli à Florence, William Turner à Londres, Rembrandt à Amsterdam et j’en passe! La culture est essentielle à l’être humain et à la réflexion. En Belgique, on a des lieux fabuleux et souvent méconnus. Je suis très heureux d’avoir pu amener le Phare à Andenne, avec ce musée extraordinaire financé par l’Europe, qui nous fait découvrir l’enfant de Néandertal, une petite fille qui est la plus vieille Andennaise (plus de 40000 ans)! Ça montre aussi qu’on est peu de chose. Nous sommes très éphémères dans l’éternité de la vie, alors profitons-en!
Comment aimeriez-vous qu’on se souvienne de vous?
Qu’on retienne mon côté bon vivant! J’adore les plaisirs de la table et prendre un bon verre. J’aime l’amusement collectif, me retrouver dans une soirée positive. Qu’on retienne également que j’ai essayé de faire le bien. Je l’ai fait à ma façon, sûrement avec beaucoup d’erreurs et de maladresses, mais j’ai voulu bien faire les choses. J’aimerais qu’on dise que je suis un homme bon.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite?
Garder une bonne santé! Je vois des gens qui s’en vont ou qui ont un handicap et je trouve que j’ai eu beaucoup de chance malgré une hygiène de vie qui ne fut pas parfaite et un volume de travail tout à fait anormal. J’ai eu une veine extraordinaire de passer entre les mailles de la maladie et de la souffrance.