Portes ouvertes au foyer Saint-François à Namur: "Pas un mouroir mais un lieu de vie" (vidéo)
Le foyer Saint-François à Salzinnes, institution de soins palliatifs du CHU UCL de Namur, accueille depuis plus de 30 ans des patients en fin de vie dès l’âge de 18 ans. Pour balayer certains préjugés, il organise ses premières portes ouvertes le 1er avril.
Publié le 24-03-2023 à 16h50 - Mis à jour le 24-03-2023 à 19h15
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Lorsque nous pénétrons dans les couloirs du foyer Saint-François, il y a de la vie, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Les bénévoles s’activent pour distribuer les repas aux résidents, les soignants discutent ensemble des soins qu’ils vont dispenser aux patients, il y a des sourires, de la bonne humeur et même des blagues parfois !
Laurie, jeune infirmière, entre dans la chambre d’une patiente pour lui prodiguer un massage des jambes. Un petit rituel fort apprécié. Nul besoin de mot, le sourire de cette patiente traduit la plénitude qu’elle ressent. "Je suis venue travailler ici juste après mes études. J’aime ces instants privilégiés que l’on offre aux patients, confie Laurie. Ce n’est pas comme à l’hôpital où tout va plus vite. C’est un moment d’échange où on est pleinement là pour eux pour contribuer à leur bien-être." C’est un des objectifs des portes ouvertes: montrer que Saint-François n’est pas un mouroir. "C’est vrai que des personnes meurent ici, on ne va pas le nier, concède Kathelyne Hargot, psychologue et responsable des bénévoles. Mais on essaie d’y mettre de la vie."
Le foyer veut aussi tordre le cou à d’autres idées reçues: "On croit que c’est cher mais c’est le même prix qu’un hôpital avec les mêmes remboursements et avec la spécificité qu’un patient paie une chambre privée au tarif d’une chambre double, révèle Kathelyne. On entend souvent dire aussi que c’est “catho” mais non, on accueille toutes les confessions religieuses."
Célébrer avant de partir
C’est ainsi que le foyer organise des ateliers aquarelles et d’autres activités créatives ou conviviales comme un goûter crêpes pour la dizaine de personnes qui y résident. "Bénévoles et familles se rassemblent avec les patients, on discute ensemble et c’est agréable, souligne Kathelyne. Parfois, on organise des anniversaires, il y a même déjà eu des mariages et des baptêmes !"
Elle se souvient notamment d’une patiente qui tenait à sceller son union avec l’amour de sa vie avant que la maladie ne l’emporte. "Sa chambre avait été décorée avec des petits cœurs partout. Souvent, les gens règlent des choses essentielles avant de partir et on essaie vraiment de rendre ça possible, poursuit-elle. Évidemment, la peine de savoir que ce sont leurs derniers instants heureux est là mais en même temps, on les aide à vivre le moment présent."
Le foyer s’occupe des soins palliatifs terminaux. "La mission de notre centre n’est pas le long séjour. On se bat d’ailleurs pour qu’il en existe, relève Kathelyne. Une admission se décide toujours entre les médecins, traitant et spécialistes. Il arrive qu’on se trompe car on n’a pas de boule de cristal mais en général, on a des indices qui montrent que c’est bientôt la fin."
D’autres types d’admissions existent: une personne malade peut y venir en répit, le temps que sa famille puisse souffler ou parce qu’il faut traiter des douleurs difficiles à gérer à domicile. "On accueille des personnes qui traversent des moments de crise. Leur famille croit qu’elles basculent et le fait de recevoir les soins adéquats ici les stabilise, expose Kathelyne . Elles peuvent alors rentrer chez elles ou en maison de repos." On ne meurt donc pas forcément en soins palliatifs…
Ne pas rester seul
Le foyer fonctionne avec quatre médecins qui se relaient 7j/7, rappelables la nuit et spécialisés en soins palliatifs. À cela s’ajoutent 25 équivalents temps plein, du personnel soignant et infirmier formé à la fin de vie, l’écoute et l’accompagnement tant du patient que de ses proches. "Une assistante sociale nous aide également à penser le départ du patient avec la famille."
La vérité n’est jamais cachée. "On ne va pas asséner à un patient “vous allez mourir” mais s‘il pose des questions, on lui dira clairement ce qu’il en est avec les bons mots, explique la psychologue. D’autres savent qu’ils veulent venir passer leur fin de vie ici."
Kathelyne déplore toutefois que certaines familles attendent d’être épuisées, à bout, avant de contacter le foyer. Elle se rappelle d’une femme qui a accompagné son mari malade, seule, très longtemps. "En solo, c’est extrêmement compliqué et angoissant. Les patients en fin de vie ont des besoins énormes. Ici, les proches accompagnent le patient autant qu’à la maison mais en se sentant plus détendus." Ils peuvent même y loger grâce à un lit d’accompagnement auprès du patient et trois chambres s’ils souhaitent être présents à un moment critique.
Les patients viennent à Saint-François quand ils traversent une phase avancée de leur maladie, alors qu’ils éprouvent parfois beaucoup de souffrances. "Mais quand ils arrivent, ils soufflent et semblent soulagés. Certains nous disent même que s’ils avaient su, ils seraient venus plus tôt !"
Les bénévoles, «petits plus» qui font toute la différence
132 bénévoles spécialement formés donnent de leur temps aux patients.
Certains y travaillent depuis plus de 20 ans comme Béatrix : «On vient ici avec bonheur. Des liens se créent et on reçoit beaucoup en retour. Quelle joie lorsqu’on voit des sourires sur les visages des patients! »
Deux bénévoles se relaient par plage horaire jusqu’à 23h30. «Ils assistent l’infirmière qui fait une toilette, aident un patient à manger, veillent à ce que son assiette soit bien mise ou qu’il soit confortablement installé… Ça peut paraître anodin mais c’est essentiel, estime Kathelyne Hargot, psychologue et responsable des bénévoles. Il y a aussi une bénévole à l’accueil, cinq qui entretiennent le jardin, une équipe qui aide en cuisine, d’autres qui veillent à proposer un café lors d’un moment crucial ou après un temps d’au revoir pour permettre aux proches de souffler. Tous les vendredis, ils préparent des bouquets de fleurs, un par chambre et un autre dans chaque lieu de vie.»
Les bénévoles constituent le chaînon indispensable qui permet aux patients d’avoir cette qualité de vie, le petit plus qui fait toute la différence! Ils vivent aussi des moments forts «qui ne sont pas forcément tristes», affirme Irmy, bénévole depuis 4 ans. Elle se souvient notamment d’une maman fan de musique avec qui toute l’équipe a dansé dans la chambre. «Il y a aussi ce monsieur à qui j’apportais tout le temps de la glace car il adorait ça, dit-elle. On est là pour leur offrir ce genre de petits plaisirs.»

Volontariat pas banal
Les aspirants bénévoles ont une formation de 40 heures. «On les informe sur ce que sont les soins palliatifs et les questions éthiques, indique Kathelyne. On ne leur dit pas les pathologies dont les patients souffrent, secret médical oblige, mais ils apprennent que s’ils observent tel ou tel symptôme, ils doivent prévenir une infirmière.» Ils sont aussi sensibilisés à la relation d’aide et au deuil. Pour devenir bénévole, il faut écrire une lettre de motivation, rencontrer l’équipe et réfléchir aux raisons de son engagement. «Ce n’est pas banal comme volontariat. Ils/Elles ont aussi un jour d’observation pour voir si ça leur plaît vraiment», signale Kathelyne. Le foyer cherche plutôt des bénévoles sur le long terme car c’est primordial pour qu’ils tissent des liens entre eux et avec les soignants. «Il faut bien se connaître pour réfléchir ensemble, dans la même dynamique, avec bienveillance et écoute.»
« La vie est trop courte »
Soignants et bénévoles sont animés d’une même motivation : accompagner les patients au mieux, jusqu’au bout, et leur permettre d’être le plus sereins possible.
Pour tous, côtoyer la mort donne un sens à leur vie. « On valorise encore plus l’instant présent, on prend plus conscience de notre chance, souligne-t-elle. On apprend aussi beaucoup des patients qui nous disent parfois “Si j’avais su, j’aurais moins travaillé, pris plus de temps avec mes enfants ou voyagé davantage”. Du coup, dès qu’on a une envie, on se dit qu’il faut l’assouvir maintenant car la vie est trop courte. En tout cas, on essaie, car le quotidien nous rattrape la plupart du temps.»
Être à l'écoute des peurs
En parallèle à son volet purement médical, le foyer a aussi une équipe dédiée à l’accompagnement psychologique et spirituel.
Que vais-je trouver après la mort? Vais-je sentir quand ce sera le moment? Qu’est-ce qui est important pour moi quand ça arrivera? Autant de questions qu’un patient mourant peut se poser. Pas de réponses toutes faites mais des oreilles attentives pour les entendre et en discuter. «On ne peut pas rassurer car la mort, ça reste angoissant. Des personnes partent très inquiètes car elles ont peur du vide, n’ont pas envie de lâcher leur famille, etc. On fait d’abord en sorte qu’elles ne soient plus envahies par la douleur afin qu’elles soient plus sereines, dit Kathelyne Hargot, psychologue. Puis, on leur permet de verbaliser. Ils ont le droit d’avoir peur, d’être tristes ou en colère. On les écoute et on les accompagne dans ce tourbillon d’émotions.»
Trouver les mots adaptés aux enfants
L’équipe a aussi pour mandat d’accompagner la famille. «Quand la personne bascule de l’autre côté, la famille a la possibilité de rester un moment avec elle. Ensuite, on ôte tout ce qui est médical, explique Kathelyne. On fait la toilette du patient et on arrange la chambre. On l’habille avec ce qu’il aime, on installe ses photos préférées, une petite lampe… Ensuite, on organise un temps d’au revoir avec la famille proche et les soignants qui le veulent. C’est l’occasion de remercier le patient pour sa confiance.» Les enfants aussi ont le droit de savoir. «Parfois, on dit et on ne montre rien sous prétexte de les protéger. Mais protéger, c’est informer, estime Kathelyne. Bien sûr, il y aura de l’émotion, de la peine, des peurs. Mais après, on peut l’accueillir, lui expliquer avec les mots adaptés à son âge et l’inviter à s’exprimer.» Les termes utilisés sont importants. « Mieux vaut ne pas dire “Grand-père dort pour toujours” sinon l’enfant n’osera plus dormir ou dire “Il est mort parce qu’il est malade” mais préciser qu’il était gravement malade sinon il aura peur dès qu’il aura un rhume! »

En pratique
Les portes ouvertes se feront en trois temps : le jeudi 30 mars accueillera les médecins, généralistes et spécialistes. Le vendredi 31 mars, place aux responsables de homes, maisons d’accueil, équipes mobiles et politiques. Le samedi 1er avril est destiné au grand public, de 9 à 18h. « C’est ouvert à tous même aux plus jeunes. Il y aura des stands d’infos, des visites du foyer et des livres sur les émotions, la fin de vie, etc. C’est l’occasion d’ouvrir le débat car la mort fait partie de nos vies. Parlons-en! », lance Kathelyne Hargot, psychologue
Depuis ses débuts, le foyer a créé une ASBL pour récolter des fonds. « On a besoin de 250000 € en plus par an pour permettre la qualité de vie qu’on offre. On s’investit tous dans des brocantes, concerts, joggings, pièces de théâtre, etc, pour gagner de l’argent et faire connaître le foyer. Ça prend du temps et de l’énergie mais c’est aussi une force de la maison. »