Participer à la mission B-Fast en Turquie, une évidence pour Marie
Pharmacienne sur le site godinnois du CHU UCL de Namur, Marie Deffense, Carolo de 41 ans, a pris part à la mission B-Fast en Turquie pour venir en aide aux victimes du séisme du 6 février. Elle revient sur cette expérience qui fait relativiser beaucoup de choses.
Publié le 08-03-2023 à 18h18 - Mis à jour le 08-03-2023 à 22h38
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On la retrouve souriante et détendue mais il y a peu, Marie était encore à Kirikhan (sud de la Turquie) "en mode robot". À quelques kilomètres de l’épicentre du séisme qui a fait des milliers de victimes, elle a apporté son aide et son expertise dans un hôpital de campagne. "Je dis mode robot car je pense que toute l’équipe était dans cet état d’esprit: il fallait avancer et être efficace pour aider tous ces gens sans réfléchir au superflu."
La quadragénaire partage sa vie professionnelle entre une officine de Charleroi et le département pharmacie du CHU. "Ici, à l’hôpital, je délivre des médicaments pour les patients au jour le jour, je m’occupe entre autres du suivi, du réapprovisionnement et quand il y a des ruptures de stock, je trouve des solutions", résume-t-elle.
Prête en moins de deux
Depuis plus de dix ans, elle fait partie des volontaires de B-Fast susceptibles de partir lors de catastrophes. "J’aime aider et être utile. J’ai suivi plusieurs formations à Anvers. C’est essentiellement néerlandophone, mais ils cherchent aussi des francophones. J’ai alors été intégrée dans une base de données, indique-t-elle. J’avais été appelée lors du séisme en Haïti mais au final, je ne suis pas partie."
Cette fois, c’était la bonne. "J’ai reçu un sms me demandant si j’étais disponible. C’était le cas et on m’a annoncé que je partais en mission, relate-t-elle. Tout va très vite et les infos dont on dispose sont laconiques car ça leur demanderait trop de temps et de logistique d’appeler tout le monde. On reçoit juste des e-mails nous disant d’être prêts à tel endroit à telle heure."
Après une réunion en visio le 13 février avec les membres de l’équipe leur exposant la situation sur place et leur mission dans les grandes lignes, elle est partie trois jours plus tard. Elle n’a eu que peu de temps pour se préparer et s’organiser mais partir "à l’arrache" ne la tracasse pas. "J’ai l’habitude de voyager en sac à dos, sourit-elle. Je savais qu’il faisait froid donc j’ai surtout pris des vêtements chauds."
De Melsbroek à Kirikhan
La mission de B-Fast était menée en partenariat avec la Défense. Un premier groupe d’environ 50 bénévoles (gynécologues, urgentistes, intensivistes, pédiatres…) est parti le 14 février. Marie a décollé le 16 avec un deuxième groupe d’une vingtaine de volontaires (surtout du personnel infirmier).
Rendez-vous était donné à la caserne militaire de Peutie (nord de Bruxelles). "Là, on vérifie l’administratif. J’ai un passeport diplomatique valable uniquement lors des missions, précise-t-elle. On voit aussi un médecin qui vérifie si on est apte à partir. Quand tout est validé, on se rend sur la base militaire de Melsbroek pour prendre notre vol."
L’atterrissage s’opère à Adana, où l’équipe dort une nuit. "Le lendemain, on prend un bus vers Kirikhan où un hôpital est dressé à l’entrée de la ville, poursuit-elle. Une équipe logistique est partie plus tôt que nous, lorsque le président Recep Tayyip Erdogan a approuvé la proposition d’aide belge, pour repérer un lieu. Une fois que ça a été accepté par les autorités, l’hôpital de campagne a été installé en 36 heures seulement !"
Un véritable mini-hôpital se structure ainsi sous les tentes avec tous les services nécessaires: bloc opératoire, salles de gynécologie et de radiologie, soins intensifs, hospitalisations (femmes et hommes séparés puisque c’est un pays musulman) et consultations. "L’idée était de mettre en place des dotations de médicaments dans chaque service pour être vite opérationnel et de réorganiser une pharmacie dans les tentes avec toutes les caisses de médicaments reçues, explique Marie. On avait aussi un rôle de triage médical à l’entrée de l’hôpital."
Elle et ses collègues orientaient les patients soit vers la consultation générale, soit vers les urgences, éventuellement pour une opération. "Ça arrivait parfois que des médecins ou infirmiers débarquent en demandant tel ou tel médicament. S’il n’y avait pas, il fallait trouver un plan B. On devait avoir en mémoire le stock de l’hôpital et savoir le répartir selon les besoins."
Aussi de bonnes nouvelles
L’équipe se rassemblait tous les jours à 6h pour un briefing. "Entre Flamands et francophones, on parlait anglais, on mixait les trois langues. Je comprends le néerlandais mais je ne le parlais plus depuis longtemps alors un soir, je me suis amusée à revoir tout le vocabulaire de la pharmacie ", plaisante Marie.
Elle a eu affaire tant à des "basiques" comme des sécheresses extrêmes du corps et des mains, des rhumes ou des grosses toux qu'à des pathologies plus lourdes comme des fractures ouvertes. "Pour la toux, on n’avait pas de sirop alors on se débrouillait avec les moyens du bord en prenant du miel ! On accueillait parfois des gens qui avaient marché durant des heures en étant blessés, dit-elle. On a dû notamment procéder à des réductions de fractures, à beaucoup d’amputations et à des césariennes. Dans ce chaos, les naissances étaient de bonnes nouvelles !"
Vivre ce genre d’expérience, ça remet certaines choses en perspective. "On se dit qu’on a de la chance de vivre dans un pays sûr comme le nôtre, avec un confort de vie et une liberté d’expression !"
Tant en Turquie qu'en Belgique, une belle solidarité entre collègues
Marie et l’équipe de B-Fast ont dormi dans un camp de fortune non loin de l’hôpital de campagne. Qu’importent les nuits courtes sur des lits de camp, elle retient surtout l’élan positif de chacun.
«On n’est jamais préparé à ce genre de catastrophes. Sur le coup, j’étais à fond dedans. C’est quand on est de retour en Belgique qu’on réalise. On a le contre-coup et des images qui reviennent en tête, confie Marie. Heureusement, on garde contact avec l’équipe via Whatsapp. Ça crée des liens car on a vécu la même chose et par la suite, on a aussi besoin des autres car chacun réagit différemment au fil des jours.»
Marie est épatée par la solidarité qui s’est mise en place en un temps record. «Avec nos parcours de vie et nos profils professionnels différents, et en parlant plusieurs langues, on réussit sur le moment à former quelque chose d’incroyable, s’enthousiasme-t-elle. Tout le monde y va à fond, sans craquer. Peu importe la fonction de l’un ou de l’autre, on est tous au même niveau et personne ne reste cantonné à son domaine. S’il faut prêter main-forte ailleurs, on y va, on se serre les coudes!»
Bien que les conditions n’étaient pas optimales (froid, nuits inconfortables, réseaux de communication perturbés, repas frugaux, etc), l’équipe a fait le job jusqu’au bout du mieux qu’elle pouvait. «On était dans une synergie positive!»
Repartir sans hésiter
La mission a été écourtée de deux jours à cause d’un problème administratif concernant les vols. Marie sait que la contribution de B-Fast sur une période déterminée représente une goutte d’eau dans l’océan mais elle sait aussi que d’autres prendront le relais. Ce 9 mars, la Turquie reprend d’ailleurs les rênes de l’hôpital de campagne belge à Kirikhan car elle dispose désormais de médecins et de personnel infirmier turcs en suffisance.
Si Marie préfère rester modeste, ses collègues sont super fiers d’elle et n’ont pas manqué de la soutenir. «Bien sûr, cette mission avait un impact sur notre service. Mais l’équipe s’est réparti les tâches de Marie et tout le monde a ainsi contribué au fait qu’elle puisse partir, relève Laura Soumoy, cheffe du département pharmacie. Je lui ai dit qu’elle parte l’esprit tranquille, que tout était sous contrôle ici et que ça allait bien se passer. En absorbant cette réorganisation, j’avais l’impression qu’on l’aidait à notre petit niveau.»

Dès que c’était possible, Marie leur envoyait quelques nouvelles. Pour l’équipe, c’est aussi une manière de mettre en avant le job des pharmaciens. «Dans ce genre de missions, on pense d’abord aux médecins et infirmiers, ce qui est normal, mais la pharmacie est un chaînon indispensable», estime Laura. Quand on lui demande si elle est prête à repartir pour une autre mission, Marie n’hésite pas une seconde. «Je m’étais inscrite dans B-Fast car c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire!» lance-t-elle, déterminée.
L’intérêt de donner de l’argent
Marie a assisté le 20 février à une réplique du séisme, de magnitude 6.4. Saisissant…
«Ce jour-là, on était assis et j’ai demandé gentiment à ma voisine d’arrêter de faire trembler la table avec sa jambe mais elle m’a répondu que ce n’était pas elle, alors j’ai compris, se souvient-elle. C’est une drôle de sensation de vivre une telle secousse car on a vraiment l’impression d’être sur des plaques qui bougent. On a encore les jambes qui en tremblent quelques heures plus tard.»
Cette secousse a achevé l’hôpital tout proche du campement, construit il y a seulement 5 ans. «Une partie était encore opérationnelle après le premier séisme mais après la réplique, on ne pouvait plus y rentrer, il était insalubre, explique Marie. Les Turcs avaient mis une tente devant, où ils avaient récolté tous les médicaments.»
Avec cette pharmacie de fortune et les médicaments de l’hôpital de campagne, les blessés étaient soignés au mieux. Mais il y a des plaies qu’on ne panse pas. «Même s’ils sont habitués aux tremblements de terre, ils craignent en permanence que ça recommence, raconte Marie. Lors de la réplique, tous les habitants étaient en panique et couraient dans tous les sens en hurlant. Ils n’ont déjà plus rien alors quand ça se reproduit, ils se disent “Je fais quoi?”, “Je vais où?”,… C’est dur!»

Du Dafalgan effervescent… alors que l’eau manque
Les habitants mettront du temps à reconstruire leurs immeubles et à se reconstruire. Pour l’avoir vécu sur place, Marie rappelle que les dons restent indispensables mais pas n’importe quoi! «Je me suis retrouvée avec des tas de caisses de dons étiquetées en turc. J’ai dû les ouvrir toutes pour savoir ce que c’était. Cela vient d’hôpitaux ou d’ailleurs mais sans aucune traçabilité, signale-t-elle. Ça demande un temps dingue de tout trier. On a aussi des médicaments périmés, à moitié entamés ou dont on n’a pas besoin. Exemple : on a reçu plein de comprimés effervescents de Dafalgan, ce qui est inutile vu qu’ils manquent d’eau. Des firmes transmettent aussi des médicaments bientôt périmés sous forme de dons comme ça, elles ne doivent pas payer pour les éliminer. Résultat : on doit tout jeter sur place.»
Voilà pourquoi donner de l’argent ou répondre stricto sensu aux besoins des Turcs sur place est préférable. «Par exemple, Bpost fait jusqu’au 31 mars une collecte d’éléments essentiels qui sont précisément énumérés. Ça me semble être une bonne option pour éviter le gaspillage et les choses inutiles.»
