Mijade à Namur: 30 ans dans le livre jeunesse et encore de belles pages à écrire (vidéos)
Les éditions Mijade, rue de l’Ouvrage à Namur, trois décennies d’existence et une passion intacte qui a traversé les années malgré les difficultés inhérentes au secteur. Michel Demeulenaere et son équipe nous racontent leur histoire…
Publié le 03-03-2023 à 17h56 - Mis à jour le 03-03-2023 à 18h30
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Quand Michel Demeulenaere a ouvert sa première librairie spécialisée en bandes dessinées et livres jeunesse à Louvain-la-Neuve, il était tout jeunot. "Ce n’était pas fréquent ni très à la mode à ce moment-là. Je devais être parmi les premiers étudiants entrepreneurs, se souvient-il. Louvain-la-Neuve était encore une ville très jeune. Le samedi, il n’y avait pas un chat !"
En 1985, c’est dans la capitale wallonne qu’il pose ses valises et ses livres avec son épouse. "On a repris un point de vente qui existait déjà et on l’a agrandi."
Clavis, le grand frère
La première expérience que le jeune libraire tente à l’époque dans l’édition de BD ne se révèle pas fructueuse. "Ça ne fonctionnait pas, je n’avais pas les moyens financiers." Mais l’édition ne l’a jamais lâché. L’idée trottant toujours dans un coin de sa tête, il retente le coup quelques années plus tard et imagine un premier album en collaboration avec Claude K. Dubois, une illustratrice déjà connue. "Elle me connaissait comme libraire, dit-il. À côté de ça, je travaillais avec Laurence Bourguignon, une employée de la librairie qui écrivait notamment des petites histoires courtes pour les éditions Averbode. C’est comme ça qu’on a créé le livre “Le Secret” il y a 30 ans."
Ce premier projet en a appelé d’autres. "J’ai commencé à aller voir comment ça se passait dans des foires professionnelles du livre comme à Bologne et à Francfort. On a commencé à traduire des livres du néerlandais au français et d’autres maisons d’édition. Cela permettait d’apprendre le métier, de voir comment ça fonctionnait. On a aussi beaucoup discuté avec d’autres éditeurs, relate-t-il. Les éditions Clavis, à Hasselt, ont été comme un grand frère. Elles m’ont conseillé et ont présenté nos livres à Francfort pour avoir des clients étrangers." Les éditions Mijade ont ainsi pris vie en 1993. Michel Demeulenaere a parcouru les salons, lancé des créations, engagé des illustrateurs… De fil en aiguille, il s’est professionnalisé et s’est fait un nom.
À la conquête du monde
Au fur et à mesure, l’édition a pris le dessus jusqu’à définitivement clôturer le chapitre de la librairie. "Elle n’existe plus depuis un moment et est à présent occupée par les BD de Slumberland. Nos bureaux sont juste au-dessus", indique-t-il.
Mijade a toujours eu à cœur de rester une société à taille humaine. Son équipe se compose de sept personnes.
Les albums illustrés pour enfants édités par Mijade, c’est 50% de créations et 50% de traductions et de reprises, ce qui représente une cinquantaine de nouveautés par an. Ses ouvrages sont devenus une référence, notamment auprès des enseignants.
Vu l’exiguïté du marché belge, l’entreprise mène un véritable travail de prospection à l’étranger et peut se targuer d’être (re)connue à l’international. "On fait plus 80% d’exportations, indique le directeur. Des créations Mijade sont traduites dans une trentaine de langues: anglais, coréen, chinois, japonais, russe, espagnol, grec, bulgare… On n’aura jamais la diffusion française qu’un éditeur français peut avoir. Je dois donc compenser pour garder mes illustrateurs et mes auteurs par une présence dynamique à l’étranger. Les éditions Clavis étaient très actives à l’international. J’ai fait pareil et ça s’est avéré payant." Si bien que Mijade fait partie aujourd’hui des 200 éditeurs français répertoriés par Livre Hebdo et talonne des maisons de prestige comme Gallimard, Casterman, etc. Le fruit d’un travail de longue haleine qui se construit patiemment.
"Un livre comme “Maman”, c’est notre record car il est traduit dans 30 langues. Cela génère des revenus considérables pour l’autrice Hélène Delforge et Quentin Gréban, notre illustrateur phare qui cartonne dans le monde entier", relève Aline Demeulenaere, qui gère les droits étrangers.

Stratégie à contre-courant
L’entreprise travaille avec des auteurs et illustrateurs indépendants mais elle met un point d’honneur a les rétribuer le plus justement possible pour qu’ils puissent vivre correctement de ce métier qui peut parfois être précaire.
"Environ 200 personnes travaillent pour nous. Certains font un petit texte ou une traduction parce qu’ils sont enseignants, journalistes ou font autre chose sur le côté. D’autres ont 20 ou 25 bouquins chez nous voire plus, sont présents depuis des années et gagnent très bien leur vie", précise Michel Demeulenaere.
Une bonne moitié est Belge et le reste provient de pays divers. Mijade a par exemple des collaborations épisodiques avec une Québécoise, des Anglais, des Français… "Certains reçoivent un salaire mensuel fixe chez Mijade parce que ce sont des auteurs et illustrateurs réguliers. C’est d’ailleurs une des fiertés de mon papa, enchérit Aline Demeulenaere. Ça leur évite le stress de courir d’un contrat à l’autre et ça leur permet de travailler plus sereinement."
Pour le directeur, le drame de ce métier, c’est la surproduction et la digitalisation qui entraînent les illustrateurs dans une course à la rentabilité. "Ils font un livre en un ou deux mois et après un an, l’ouvrage est pilonné par d’autres. Ils n’ont pas le temps d’être découverts. C’est contraire même à l’esprit d’édition qui veut que l’on dépende du feeling, du moral et de la créativité des auteurs et des illustrateurs, considère-t-il. Nos collaborateurs proposent des perles et des choses plus faibles, c’est normal. Ma philosophie est de produire moins mais de faire des beaux livres qui vivent à plus long terme."
À contre-courant des grandes maisons, le "petit" libraire devenu éditeur reconnu est la preuve vivante que petit à petit, l’oiseau fait son nid.
Les foires, des opportunités
La 60e édition de la Foire de Bologne, dédiée à la littérature jeunesse, débute ce 6 mars. Pour l’équipe de Mijade, cela signifie quatre jours intenses. « On est deux à la base pour les droits étrangers mais on a tellement de rendez-vous qu’on part avec deux autres collègues qui ne s’occupent pas de cela d’habitude pour nous prêter main-forte, relate Aline Demeulenaere. Ce n’est pas la densité d’avant le Covid mais ça sera déjà bien chargé. Les Ukrainiens reviennent doucement, les Russes aussi, de même que les Chinois mais dans une moindre mesure car ils sortent d’un confinement.»
L’intérêt d’un tel salon est d’aller à la rencontre de clients que Mijade connaît déjà mais également de prospecter pour en trouver de nouveaux. «Je passe aussi beaucoup de temps sur Instagram où je suis des illustrateurs dont certains seront à Bologne. Des éditeurs viennent aussi spécifiquement du Danemark, de Chine ou encore d’Inde pour nous voir car ils savent que Mijade représente le dessin qualitatif. On leur montre nos nouveautés, indique Michel Demeulenaere. D’autres en profitent pour nous demander de leur envoyer telle création en telle langue en PDF et peut-être qu’ils deviendront par la suite des gros clients !»
Dans les pays d’Europe centrale, le secteur se développe pas mal depuis peu et Mijade apporte sa pierre à l’édifice : «À notre petite échelle, on participe à leur déploiement en leur offrant des possibilités que des grandes maisons n’offrent pas comme s’occuper d’une co-édition à 1000 exemplaires pour un éditeur slovène ou bulgare par exemple.» Chaque année, de belles histoires s’écrivent ainsi lors de tels événements.