La musique sacrée de Vivaldi à Namur, après Versailles
Après Versailles et sa chapelle, le Grand Manège ouvre les portes de la basilique Saint-Marc pour accueillir le baroque sacré de Vivaldi. Un peu éclipsé par l’événement " Vivaldi ": " Céphale & Procris " d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, le premier opéra signé par une femme.
Publié le 16-01-2023 à 19h07 - Mis à jour le 16-01-2023 à 19h11
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Pour sa première tournée de l’année, le Chœur de Chambre de Namur s’est fixé rendez-vous dans le cadre prestigieux de la chapelle royale de Versailles. À l’affiche: "Les Vêpres pour Saint-Marc de Venise". Une œuvre sacrée portée par les voix du Chœur mais aussi par le Millenium Orchestra et Cappella Mediterranea, sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón. Cette production passe par le Namur Concert Hall (le 19 janvier), Anvers (le 20) et Gand (le 21). Un travail d’orfèvre aux dimensions célestes.
Ce n’est pas la première fois que Leonardo Garcia Alarcón convie ce programme à ce répertoire. En 2010 déjà, en collaboration avec le Festival de Wallonie, il offre au Festival d’Ambronay, ces "Vespro a San Marco", sur base de morceaux séparés de Vivaldi. C’était sans compter sur l’effet tsunami provoqué par "il Diluvio universale" de Falvetti. Cette œuvre jusque-là méconnue balaie tout sur son passage.
En ce compris, l’œuvre sacrée dont l’inspiration trouve ses racines dans l’enfance du jeune Vivaldi, venu écouter son père violoniste jouer dans cet espace monumental que représente l’édifice religieux de Venise. Endroit où ne résonneront jamais les vêpres dédiées à saint Marc. Qu’à cela ne tienne. Ce week-end, Versailles sinon rien pour une œuvre recentrée sur un programme d’une heure 20, dont la durée peut aisément être multipliée par deux.
Dans le présent
Les particularités sont multiples, comme l’explique le chef argentin: "L’attitude qu’il faut avoir pour jouer ces pièces, c’est être – à tout moment – dans le présent sans essayer de chercher une motivation métaphysique ou une profondeur qui relève de la nostalgie. Vivaldi est dans une permanence absolue dans la musique, les ornements des instruments et des voix. C’est une attitude presque héroïque, physique qui, faute d’être présente, fait que la musique disparaît, s’évanouit."
Le chef ne s’en cache pas: il doit parfois ferrailler pour maintenir cette tension permanente au risque, comme beaucoup de ses prédécesseurs, de rendre la musique sacrée de Vivaldi moins "spumante", comme il aime à la décrire. "J’appelle les troupes à une attitude physique constante, une virtualité extrême". Questionné sur les lieux où il devait se produire ce samedi (en l’occurrence la chapelle royale), Leonardo Garcia Alarçon ne cache pas que, pour lui, il est parfois difficile de ne pas se laisser submerger par l’émotion. Le public de Versailles, pour sa part, n’a pas caché la sienne en plébiscitant cette prestation à couper le souffle. Un moment vécu intensément, dans l’immédiateté et que le public pourra redécouvrir sur Radio Classique, le 12 mars prochain.
Pour Namur, il reste quelques places sur ce que l’on nomme la rangée des choristes. Une façon d’appréhender le concert, face au chef Léonardo et au public. 081 24 70 90. grandmanege.be .
Un auteur prolifique, toujours identifiable
Pour cette production, sur scène, on retrouve, sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón: le Choeur de Chambre de Namur, le Millenium Orchestra et Capella Mediterranea. Parmi les solistes, on note: Mariana Flores (soprano), Sophie Junker (soprano), Dara Savinova (alto), Valerio Contaldo (ténor), remplacé à Versailles par Frederico Projecto et Alejandro Meerapfel (baryton).
Pour ce qui est des pièces interprétées figurent le Dixit Dominus (dans une version très peu jouée), le Confitebor tibi Domine pour trois solistes, le Beattus Vir: pièce en litanie et, en final, le Magnificat ou l’interprétation est proche du chant grégorien. Et c’est là que la notion d’immédiateté s’invite à nouveau ; "Là, où un Bach fait un Magnificat ; le meilleur, Vivaldi en écrit 15 voués à l’oubli au bout d’un an".
Une production qui n’entache en rien l’excellence et cette touche qui fait sa spécificité et le fait que ses œuvres restent reconnaissables entre toutes.
Le génie musical s'accorde au féminin
Ne pas voir une seule femme engagée au Philharmonique de Berlin ou Vienne avant les années 90. Ne réserver une place aux femmes qu’en tant que solistes ou aux harpistes. On a un peu de mal à s’en rendre compte mais la vie de musiciennes/compositrices n’a pas toujours été de tout repos. Alors que penser d’une jeune enfant prodige née en 1665 et qui ne tarde pas à composer un répertoire pour clavecin et autres cantates jusqu’à créer un opéra ?

C’est l’histoire d’Élisabeth Jacquet de la Guerre qui, heureusement pour elle, à su séduire musicalement le Roi-Soleil par son "italianité" (savant mélange de sonorités à la fois française et italienne). Son seul opéra créé au Théâtre du Palais Royal en 1694, décrié en son temps de par le genre de sa compositrice, est programmé ce dimanche 21 janvier (19 heures) au Namur Concert Hall. À l’affiche: Céphale & Procris, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes d’après le mythe de Céphale et Procris dans Les Métamorphoses d’Ovide. À la direction et parmi les solistes: Reinoud Van Mechelen.
"Ce projet est né de nos contacts avec le Centre de musique baroque de Versailles, commente Jean-Marie Marchal, directeur du CAV&MA (Centre d’Art Vocal & de Musique Ancienne). D’autre part, depuis deux ans, nous collaborons avec Reinoud Van Mechelen et l’ensemble A Nocte Temporis. Et c’est ainsi que le projet est venu sur la table. Cela rentre dans les objectifs du Centre de musique baroque de Versailles de la mettre en valeur d’autant que c’est une compositrice française très liée à Louis XIV." De fait, à ce jour, il n’y a pas d’enregistrement intégral récent de son unique opéra. "C’est un peu notre but d’alterner des productions sur des répertoires connus comme c’est le cas de Vivaldi et de l’inédit, confie le directeur. C’est aussi l’occasion de faire un focus sur une compositrice assez incroyable."
Un terreau favorable
Chez les Jacquet, le père est un facteur de clavecins. Sa fille Élisabeth épouse un "de la Guerre", organiste, membre d’une famille de musiciens. Un terreau favorable mais aussi un talent certain qui font que les sonates de la jeune femme sont souvent jouées à la table du Roi. "Elle est la seule femme en France à avoir fait carrière. En tant que virtuose (du clavecin), comme musicienne professionnelle et compositrice." Ses œuvres sont d’ailleurs éditées. Ce qui est rare.
Son opéra n’a guère eu de succès. "Est-ce parce que c’était l’œuvre d’une compositrice ? C’est probable. Alors que cette tragédie lyrique, comme on l’appelait à l’époque, est considérée comme remarquable." Un enregistrement est d’ailleurs prévu au Grand Manège pour le label Château de Versailles Spectacles.
"En lui rendant hommage, c’est une manière de refaire l’histoire de la musique, souligne Patricia Wilenski, directrice-adjointe. Toutes ces femmes qui ont écrit sous le nom de leur mari. C’est la réparation d’une injustice." Au Grand-Manège, on espère que cela donnera des idées aux maisons d’opéra pour créer une version scénique. Pour l’heure, après Namur, c’est à Versailles que la tragédie lyrique reviendra en toute logique là où elle est née.