Namur : au musée Rops, les oeuvres symbolistes de Charles Doudelet
Charles Doudelet est l’invité du musée Rops. Un artiste belge à (re)découvrir, au talent magique et aux oeuvres sensibles. Un symboliste préoccupé par le sort de l’âme dans le grand tout.
Publié le 10-01-2023 à 08h00
Charles Doudelet a des passions moins charnelles que celles de Félicien Rops. Il est plus tourmenté par la mort que par la chair. Ce qui botte notamment son art, c’est l’iconographie religieuse et son personnage iconique, le Christ. Ce qui ne l’empêchera pas d’être diplômé Maître Maçon de la loge "La Liberté", à Gand. Seuls deux moments clefs de la vie du sauveur des âmes chrétiennes le fascinent: sa naissance dans une crèche et sa mort sur une croix. Quand ce dernier fait montre de spiritualité, Rops, lui, beaucoup moins pieux, burine son inspiration dans le corps voluptueux des femmes. Le grand écart donc, mais deux génies minutieux et raffinés, deux penseurs profonds, méritant d’être rapprochés. Comme Rops, Doudelet cumule les genres: peintre, dessinateur, graveur, illustrateur et… franc-maçon. Félicien a 28 ans quand le petit Charles geint dans son berceau. Rencontre impossible.
L’exposition en cours, et visible jusqu’au 5 mars, voyage dans les œuvres symbolistes de Doudelet, qui traduisent autant son admiration pour la peinture flamande, et la Renaissance italienne, que sa perpétuelle quête de savoir si le ciel est plein ou vide.
Le diamant dans le verre
Partenaires et collaborateurs de l’expo, le musée des Beaux-Arts de Gand (le MSK), le collectionneur Jan Boddaert et, dédié à l’ésotérisme dans l’art, l’Atelier symboliste de Bruxelles, grâce auxquels le musée Rops peut sortir des oubliettes l’œuvre graphiquement audacieuse de cet artiste polyvalent laissé dans l’ombre.
Pourquoi Gand ? Parce que cet ami des livres, né à Lille en 1861, s’y est établi en 1877.
Dans cette ville d’art, il a développé, jusqu’en 1902, un réseau foisonnant de relations à travers des expositions, Salons et revues. Il n’y restera pas. Grâce à une bourse, il papillonne en Italie, de Florence, où il a copié des livres précieux, à Livourne, puis à Rome où, en 1917, il présenta 48 de ses œuvres (volées et disparues)à la Ligue théosophique internationale (qui signifie "sagesse de Dieu"). Un succès international mais un bide commercial, confesse-t-il. Il revient ensuite à Gand, en 1926, pour y refermer le livre de sa vie inspirée et si joliment coloriée par l’Italie, en 1938.
Que dessine et recherche un symboliste comme Charles Doudelet ? "Le symbolisme, c’est l’essence même de l’art, l’intérieure splendeur qui donne à telle œuvre un rayonnement magique, qui fait qu’on la sépare et qu’on l’admire comme un diamant parmi des cabochons de verre", poétise-t-il en 1901. Dit plus sobrement, le symboliste se démarque de deux courants en vogue à la fin du 19 siècle, le réalisme et l’impressionnisme. "Le symboliste explicite la réalité visible sous forme de symboles", une manière de fuir le vilain que Doudelet applique à ses préoccupations majeures: la mort, le devenir de l’âme "décorporée", la nécessité d’être spirituel pour exorciser ce grand sommeil et voyage éternel.
Sous sa casquette d’illustrateur, qui s’attache à ciseler les moindres détails, en adepte du juste équilibre, Doudelet quitte l’univers du sombre Moyen Âge pour se catapulter dans la flamboyance de la Renaissance italienne, dont il revisite les codes de la peinture. Son très long séjour en Italie (24 ans) en a fait un coloriste délicat, un maître de l’esthétisme et un virtuose du prestigieux livre illustré.
Des forces invisibles
Une rencontre détermine son œuvre d’illustrateur. À Gand, entre autres écrivains, éditeurs et imprimeurs, il s’est lié d’amitié avec le seul prix nobel belge de la littérature, Maurice Maeterlinck. Un poète qui lui parle, pour être comme lui tourmenté par l’odyssée mystérieuse des morts dans l’immensité insondable. Il en deviendra l’illustrateur attitré, notamment
La diversité d’œuvres à découvrir au musée Rops vibrent d’une énergie et d’une lumière intimes. Pour les dompter dans les limites d’un tableau, les peintres ont dû innover. L’assourdissement tonal, la monochromie de la palette, l’épure dans la composition, l’évaporation des contours. Autant de moyens suggérant la présence et le mouvement de forces invisibles. Et aussi d’étranges lumières sublimant la magie d’un moment.
Dans le cadre des festivités pour les 225 ans d’existence du MSK de Gand, le plus vieux musée de Belgique mettra également Charles Doudelet, l’un de ses enfants, à l’honneur. Infos : www.mskgent.be