Il y a 90 ans, les apparitions secouaient la bourgade de Beauraing (vidéo)
Du 29 novembre 1932 au 3 janvier 1933, la Sainte Vierge serait apparue à cinq enfants de Beauraing. Retour sur des faits qui ont métamorphosé la tranquillité d’un bourg de 2000 habitants sans histoire.
Publié le 28-11-2022 à 22h51 - Mis à jour le 29-11-2022 à 01h36
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Nous sommes le 29 novembre 1932. Il est 18 h 30. Albert et Fernande (11 et 15 ans) vont rechercher leur sœur, Gilberte Voisin (13 ans), alors demi-pensionnaire au pensionnat des Sœurs de la Doctrine Chrétienne. La fratrie est accompagnée par Andrée et Gilberte Degeimbre (14 et 9 ans). Il fait sombre, l’automne est doux.
En arrivant sur place, Albert sonne à la porte. Il se retourne et aperçoit "une belle dame qui marche au-dessus du pont, dans l’espace". Les filles lui disent de se taire avant de "voir" à leur tour. En sortant du pensionnat, Gilberte Voisin a la même vision. La religieuse qui l’amène à la porte, elle, ne remarque rien. Effrayés, ils s’enfuient et s’empressent de raconter ce qu’ils ont vu à leurs parents qui n’en croient rien. Le lendemain, la petite bande revient à la même heure. La "Dame" se montre à nouveau. En rentrant chez eux, les enfants relatent une nouvelle fois ce qu’ils ont aperçu. Les parents se fâchent. C’en est fini d’aller rechercher Gilberte.
Foudroyés au sol
Le 1er décembre, Mme Degeimbre, qui était veuve depuis quelques années, accepte finalement de retourner sur les lieux. Elle accompagne les enfants, suivie par une dizaine de personnes, et munie d’un gros bâton. Une fois arrivés devant la grille du jardin, les enfants poussent un cri d’admiration. La Dame est là. Elle se présente sur le chemin qui mène à la grotte de Lourdes installée à l’époque dans la cour (là où se trouve l’autel, sur le podium actuel). Les autres personnes ne voient rien. La fouille dans les buissons ne donne rien non plus. C’est le début d’une série de 33 apparitions, presque quotidiennes.
À l’époque, le clergé ne croit pas en ces "sottises" et appelle à la prudence. Les religieuses ferment les grilles de l’école à clé. Elles lâchent les chiens. Les enfants ont l’interdiction de revenir. On les menace d’appeler la police. Mais ils ne peuvent résister. L’attirance est trop forte. Ils retournent sur les lieux.
Les chiens ont cru les premiers
Les apparitions se poursuivent. La Dame leur parle, réclame une chapelle, demande qu’on prie, beaucoup, qu’on vienne en pèlerinage, etc. Elle confie des secrets à trois des cinq enfants. Lorsqu’elle apparaît, les voyants sont foudroyés au sol. "Nos bas étaient déchirés, mais nous, nous ne sentions rien. Je tombais comme sur des coussins", racontait Gilberte Degeimbre en 2012, quelques années avant son décès.

À l’époque, la rumeur de mystérieuses apparitions dans la bourgade de 2000 habitants, dirigée par une femme bourgmestre (Melle Maria Van Schingen) se répand. Les curieux affluent, par centaines, puis par milliers. Les voitures et cars s’alignent sur des kilomètres. Les médecins aussi se pressent à Beauraing. Un des soirs, ils seront 160.
Chose étonnante: vu le raffut, les chiens aboyaient, mais, au moment où la Vierge apparaissait, ils se couchaient et se taisaient. Gilberte Degeimbre dira: "Ce sont les chiens qui nous ont crus les premiers".
Le 3 janvier 1933, soir de la dernière vision, on rapporte que 30 000 curieux sont présents. 125 personnes, dont de nombreux médecins, assistent à l’ultime interrogatoire des enfants, dirigé par le procureur du roi et le président honoraire du tribunal de Dinant. Un moment chaque soir traumatisant pour les "voyants" qui étaient séparés avant, pendant et après les apparitions pour éviter toute communication. "C’était affreux, un souvenir atroce", confiera Gilberte Degeimbre, dont la maman laissait tout faire à l’époque, vu qu’elle ne croyait pas ses filles.
Les enfants seront soumis à des expériences pendant les visions. On brûlera des allumettes sous leurs mains, on les piquera avec un canif, etc. En extase, ils ne sentiront rien. Ils n’en garderont même aucune trace.
Le culte à Beauraing sera autorisé en 1943. Le caractère surnaturel des faits sera reconnu par l’Église en 1949, au terme de multiples enquêtes et contre-enquêtes.
Aucun des voyants n’est entré dans les ordres. Ils ont tous fondé une famille. Du début à la fin de leur vie, ils ont tenu le même discours, raconté inlassablement la même histoire. Troublant, que l’on y croie ou non. Aujourd’hui, les témoins directs des apparitions ont tous disparu. La plus jeune des voyantes, Gilberte Degeimbre, s’est éteinte en 2015 à l’âge de 92 ans.
« Un poids infligé quand ils étaient petits »

Ceux qui s’en souviennent gardent de Gilberte Voisin l’image d’une dame discrète, vêtue d’un manteau bleu ciel, qui, chaque jour à la fin de sa vie, faisait sa promenade dans Beauraing. On l’apercevait monter puis descendre la rue de la Genette, empruntant ainsi le "chemin des voyants", celui que prenaient son frère et sa sœur à l’époque pour venir la rechercher au pensionnat (ses parents habitaient à la rue de Dinant). "Elle était fort effacée mais toujours prête pour rendre service", confie la fille de Gilberte Voisin, née... Bernadette dans les années 50. "C’était le choix de mon père...", souffle-t-elle.
"On ne l’entendait pas, se souvient Julie Piquin, sa petite-fille. Elle était pensive, dans son monde. On sentait qu’elle n’était pas là, absente. Parfois, c’est triste à dire, mais on aurait dit un meuble. Mais une fois qu’on lui parlait, elle était ouverte . Elle pouvait aussi se montrer speed et énergique. Je me souviens qu’elle venait nous chercher à l’école avec sa Mini."

Spontanément, Gilberte Voisin ne parlait pas des apparitions. Sa fille Bernadette Pierret, d’ailleurs, n’a pas été mise au courant des événements par sa maman. "Je l’ai su via l’école. Les gens en parlaient. Maman ne nous a jamais raconté les apparitions de bout en bout. Mais si on lui posait des questions, elle répondait." Elle insiste : "Ellea essayé de nous élever normalement, comme les autres enfants (NDLR : Bernadette avait un frère, Michel) . Elle ne voulait pas qu’on soit traumatisés par cette histoire. Ça ne nous a pas vraiment chamboulés. On a vécu avec, ça faisait partie de la famille. Mais par contre on avait une certaine ligne de vie à respecter. J’étais la fille de... "
Un sujet tabou
Toute sa vie, sa maman (comme les autres voyants) a été épiée. "Il ne fallait pas mettre un pas sur le côté. Tout pouvait être mal interprété. Lorsque j’ai divorcé, c’était quelque chose..."
Sa maman lui a raconté que, plus jeune, lors d’une fête à Beauraing, un manège était installé près du presbytère. "Ses parents avaient mis leurs enfants sur le carrousel. Maman avait été choquée parce que le doyen de l’époque avait fait arrêter le manège pour les faire descendre. Ils n’avaient pas le droit de s’amuser, il fallait être dans l’optique d’une vie de religieuse."

Ce qui ne s’est jamais produit. "On leur a reproché qu’aucun des cinq ne soit rentré dans les ordres. Maman n’était pas du tout bigote mais elle aimait le pape Jean-Paul II et elle allait à la messe le dimanche."
Bernadette se souvient que, petite, elle devait parfois faire "barrage" face à des curieux qui souhaitaient parler à sa maman. "On m’envoyait ouvrir la porte et je devais dire aux gens que maman ne pouvait pas les recevoir aujourd’hui. Elle n’était pas à l’aise quand les gens venaient près d’elle, à toujours vouloir la toucher..."
Une vie normale...
Chez Voisin, on fêtait tous les Noël ensemble. "Tant que ma tante Fernande était en vie, on allait chez elle, à Namur, fêter le réveillon." On n’y parlait jamais des apparitions. "C’était tabou, concède Bernadette. Celui qui en parlait le plus c’était mon oncle Albert (NDLR : qui a vu lui aussi)." Bernadette Pierret en parlait toutefois avec ses cousins et cousines. "On se disait qu’ils en avaient beaucoup vu pendant leur vie, d’autant que leurs parents ne les croyaient pas. " Elle poursuit : "Les apparitions, c’était un poids infligé quand ils étaient petits. Il y avait beaucoup de côtés négatifs." Elle ne dramatise pas : "À part les apparitions, maman a eu une vie normale. Je me souviens par exemple qu’elle allaiten voyage avec mon oncle Albert dans le sud de l’Espagne quand j’avais 20 ans."
Julie, la petite-fille de Gilberte Voisin, conclut: "Toute leur vie, ils ont été considérés comme des “ voyants ” et pas comme des personnes. Je pense qu’elle ne nous en parlait pas pour qu’on la voie comme une grand-mère et pas comme une voyante. Pour elle, c’était normal ce qui est arrivé. Elle a vu la Vierge comme on voit une copine. C’est finalement à cause des gens et des pèlerins que c’est devenu exceptionnel."
Le secret ? « Je pense que cela avait un lien avec la date de leur mort »

Julie Piquin confirme que sa grand-mère, Gilberte Voisin, ne parlait jamais des apparitions. "Elle nous avait emmenées au musée avec mes sœurs. On lui avait demandé et elle avait bien voulu", confie sa petite-fille. Elle ajoute: "On lui demandait toujours: le secret, le secret. Mais c’était mystérieux. On n’a jamais su ce que c’était." Sa maman, Bernadette Pierret, poursuit: "Plus la date du 29 novembre approchait, plus elle était triste. Et ce jour-là, chaque année, le soir, elle pleurait. Le 3 janvier, même chose, elle n’était pas bien dans sa peau, comme nostalgique."
Julie a une intuition. "Je pense qu’on leur a donné la date de leur mort. Stéphanie, ma sœur, était venue le 1er janvier 2003 avec sa fille qui était tout bébé. D’habitude, mamy ne la prenait pas plus que ça dans les bras. Quand Stéphanie est retournée, elle a dit: “Laisse-la moi un petit peu, je ne la verrai plus”. Sur le coup, on n’a pas tilté." Sa maman a le même sentiment. "Je pense que le secret c’était qu’elle allait mourir un jour anniversaire des apparitions. Elle était mal à chaque fois. Et le 3 janvier 2003, elle a été renversée sous le pont (NDLR: près du magasin Carrefour actuel) par un chauffard alcoolisé qui a fait un délit de fuite. C’est fou car c’est le même accident que son mari. Mon papa était gendarme, il avait été renversé lorsqu’il était en service commandé. Il avait 37 ans et maman 34. Elle s’est retrouvée seule avec ses enfants. J’avais 3 ans."
Bernadette Pierret se souvient aussi que le 1er janvier de cette année-là, sa maman a fondu en larmes dans ses bras avant de lui dire au revoir. "Lorsque j’ai entendu l’ambulance le 3 janvier, j’ai tout de suite dit: “C’est mamy”. Elle arrivait chaque jour chez moi vers 17 h 20-30. Quand j’ai vu la file de voitures, j’ai couru. J’ai vu l’ambulance en dessous du pont, j’avais compris."
On va lui parler…
Bernadette confie une autre histoire mystérieuse. "Maman avait un lymphome à un stade avancé. Elle a fait de la chimio. Normalement, cela sert à stopper la maladie, pas à la faire disparaître. Un an avant son décès, on est allé voir la docteur qui est tombée de sa chaise parce qu’elle ne voyait plus de trace de la maladie. Elle a dit: “Ce n’est pas normal, c’est un miracle”."
Chez Piquin, on n’est pas plus pratiquant que ça. On va bien à l’église pour les grandes fêtes, sans plus. Par contre, on va à l’Aubépine discrètement le soir, lorsqu’il n’y a plus personne, et on se rend sur la tombe de "mamy". "Quand j’ai un problème, que je dois prendre une décision, je vais au cimetière de Beauraing et je lui parle", confie Bernadette. Sa fille, Julie, a le même réflexe. "Quand on lui demande quelque chose, on est exaucé !" Avec ses trois enfants, Elouhane (12 ans), Rubis (9 ans) et Gatsby (7 ans), elle va régulièrement déposer des cailloux sur la tombe. "Ils savent que quelque chose d’important s’est passé dans leur famille. C’est impressionnant pour eux de savoir que leur arrière-grand-mère est tombée à genoux sur les pavés qui ont été conservés devant la statue de la Vierge." À l’école, Julie avait chaque année "droit aux apparitions". "Aujourd’hui, c’est pareil avec mon grand. On est souvent sollicités pour aller en parler. C’est important que l’histoire se transmette."
« Je peux comprendre qu’on n’y croie pas »
Julie Piquin ne le cache pas : "Si ce n’était pas ma grand-mère, je ne sais pas si j’y croirais. C’est tellement fou et mystérieux. Mais je suis sûre que c’est vrai parce qu’elle détestait le mensonge. Si on avait le malheur de mentir, même pour une bêtise, elle nous reprenait. Etpuis, on leur a tellement posé de questions, on a tellement mis leur parole en doute... Ils n’avaient rien à gagner à raconter ça. Au contraire, c’était un fardeau, ils étaient sans cesse accusés de mentir. Garder un mensonge autant de temps, ça n’arrive jamais. Toute leur vie a tourné autour de ça. Cette histoire les a usés jusqu’au bout."