Une plainte pour homicide involontaire et harcèlement après la chute mortelle d’un élève du collège Saint-Benoît de Maredsous
Quatorze mois après le décès d’Antoine, un jeune Bruxellois de 18 ans, sa famille s’exprime sur le contexte de brimades et de menaces dans lequel le drame s’est produit. La maman s’est constituée partie civile en octobre 2021. L’instruction est en cours.
Publié le 27-11-2022 à 11h24
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Le 7 septembre 2021 à 12 h 30, Antoine, élève au collège Saint-Benoît de Maredsous, décédait à l’hôpital. La veille, le jeune homme de 18 ans était tombé de la fenêtre de la salle de bains voisine de sa chambre à l’hôtellerie de l’abbaye, où il était logé. Une chute de quinze mètres qui ne lui a laissé aucune chance. Le parquet, concluant à un suicide, a très vite classé l’affaire.
"On subit leur silence"
Mais pour Justine, la maman d’Antoine, le dossier reste douloureusement ouvert. En octobre 2021, elle déposait plainte contre X, avec constitution de partie civile, pour homicide involontaire et harcèlement. Parce que les circonstances liées au décès de son fils n’ont jamais été élucidées et que le drame s’est produit dans un contexte de menaces, brimades et rumeurs de la part des éducateurs de l’internat de Maredsous. Un juge d’instruction s’est saisi du dossier. L’enquête judiciaire est toujours en cours.
À l’époque, malgré la tentation forte de s’exprimer publiquement, la famille d’Antoine a privilégié la discrétion. "On voulait que la justice puisse faire son travail."
Pourquoi ce revirement aujourd’hui ? "Cela fait quatorze mois que j’attends un geste, un signe d’autocritique ou de regret de la part des autorités de Maredsous par rapport à la façon dont mon fils a été traité. Et je tombe sur un article de presse sur les 150 ans du collège, où on vante cet internat qui permet à tout enfant de grandir en utilisant au mieux ses possibilités. Nous, depuis la mort d’Antoine, on subit leur silence. C’est la raison pour laquelle j’ai besoin de rendre publiques les raisons pour lesquelles j’ai déposé plainte. C’était aussi le seul moyen de les obliger à s’expliquer."
Un adolescent fragile
Antoine, qui présente un trouble déficitaire de l’attention (TDA), a perdu son papa à l’âge de 13 ans. L’année suivante, en 2017, il intègre l’internat de Maredsous. L’adolescent, qui ne va pas bien, doit être hospitalisé pour dépression. Il fait un "séjour de rupture" en Inde, avant de revenir à l’internat, en septembre 2018. "La directrice et le préfet, à la fois du collège (également fréquenté par des externes, NdlR) et de l’internat, connaissaient son profil et ses fragilités."
À partir de la rentrée scolaire 2018, le jeune élève a fait l’objet d’un harcèlement marqué de la part d’un éducateur de l’internat, puis d’un autre, rapporte la maman d’Antoine. Elle évoque des menaces régulières d’exclusion de l’internat, des demandes de vider ses poches, des fouilles de sa chambre, de son portefeuille, des insultes… entre autres.
"Mon fils n’était pas un enfant modèle ni un premier de classe. Il a reçu plusieurs billets de discipline pendant sa scolarité à Maredsous pour des oublis de matériel, des retards, de l’insolence ou des comportements jugés arrogants. Mais jamais pour des faits graves au sens du Décret : drogue, vol, coups…", insiste la maman.
Un incident plus sérieux
En septembre 2019, Justine informe pour la première fois les autorités de Maredsous de la situation de harcèlement vécue par son fils. La direction s’engage, oralement et par écrit, à organiser une médiation entre Antoine et les éducateurs de l’internat. Elle n’a jamais eu lieu, affirme la maman. Mais les choses ont semblé s’apaiser jusqu’à la fermeture de l’internat, en mars 2020, pour cause de confinement.
L’espoir revient à la rentrée scolaire 2020-2021 : l’équipe d’éducateurs change ; cela devrait calmer les choses. "Mon fils faisait pourtant toujours l’objet de provocations épisodiques", indique Justine.
Le 11 mai 2021 survient un incident plus sérieux. Antoine mange son repas dans le couloir de l’internat, ce qui est interdit. Une altercation s’ensuit entre l’éducateur et l’adolescent. Le lendemain, Antoine est renvoyé de l’internat – mais pas du collège – pour "atteinte à l’intégrité psychologique des éducateurs". Le préfet décide alors de le loger à l’hôtellerie de l’abbaye, qui jouxte l’internat, pour qu’il puisse terminer son année scolaire. Fin juin, il obtient une attestation A qui lui permet de passer en rhéto. Ses professeurs et éducateurs du collège n’émettent aucune objection à sa réinscription.
La rentrée avait très mal commencé
Justine se résout au souhait de son fils de terminer ses études à Saint-Benoît, entouré de nombreux amis et dans une nature qu’il affectionne. Début juillet, elle envoie une longue lettre au père abbé, qui est aussi président du pouvoir organisateur du collège, pour lui exposer la situation et anticiper au mieux la rentrée. Ce dernier propose qu’Antoine soit logé à l’hôtellerie. Comme élève externe, il continuerait à prendre tous ses repas avec ses amis et participerait aux activités (extra) scolaires et au voyage de fin d’études, sans plus être en contact direct avec les éducateurs de l’internat.
Mais après les vacances d’été, ça commence tout de suite mal. Dès son arrivée au collège, le 2 septembre, le préfet indique à Antoine que les éducateurs sont "furieux" qu’il loge à l’hôtellerie et, en accord avec la direction, lui interdit, dans la foulée, de participer à la journée kayak et à un autre événement festif de rentrée. "Cette décision ne pouvait s’expliquer par aucun nouvel incident : Antoine venait de revenir après les deux mois d’été", expose Justine.
Le lundi 6 septembre 2021, peu avant midi, Antoine appelle sa maman. "Il avait été convoqué chez le préfet pour présenter ses excuses pour l’altercation verbale du 11 mai. Ce qu’il avait déjà fait par écrit au préfet. Mon fils a commencé par refuser. Le préfet lui a alors dit : 'Alors, je n’ai plus d’éducateur.' Celui-ci avait quitté ses fonctions en annonçant qu’il ne reviendrait pas tant qu’Antoine ne se serait pas excusé."
Justine suit la situation par téléphone pendant l’après-midi. Nouvel appel vers 15 heures. "Mon fils semblait à bout. Il répétait : 'Ils ne me lâcheront jamais, jamais, jamais.'" Elle tente de le convaincre : soit tu quittes illico l’école, soit tu fais ce qu’ils demandent.
"Je n’ai plus jamais parlé à mon fils"
À 18 heures, Justine rappelle Antoine. L’ado, qui voulait absolument faire sa rhéto au collège, lui dit avoir accepté de représenter ses excuses. "Je n’ai plus jamais parlé à mon fils."
Que s’est-il passé ensuite ? D’après les échanges de SMS avec ses amis de l’internat, qui devaient surveiller les "petits" pour remplacer l’éducateur absent, Antoine s’est senti triste et seul à l’hôtellerie (dont il était l’unique résident), déprimé par une rentrée "très pénible pour moi", a-t-il textoté à un condisciple.
Vers 22 heures, le jeune Bruxellois chutait du troisième étage de l’hôtellerie. Le mécanisme de sécurité de la fenêtre de la salle de bains, par laquelle il est passé, était défaillant ou non activé. La fouille de sa chambre et les analyses réalisées à l’hôpital indiquent qu’Antoine n’avait consommé ni alcool ni drogue dans les heures qui ont précédé l’accident. Un acte suicidaire pour le parquet. Il n’y a pas eu d’instruction judiciaire suite à la mort d’Antoine. Avant que la famille dépose plainte avec constitution de partie civile.
La réponse des autorités de Maredsous
Nous avons demandé aux responsables de Maredsous de s'exprimer sur ce dossier. Voici leur réponse: "Le Pouvoir Organisateur veut dire à nouveau qu’il est très sensible à la douleur de la famille et que le décès d’Antoine a laissé et laisse encore beaucoup d’émotions au sein du Collège . Par ailleurs, le Pouvoir Organisateur ne souhaite pas faire de déclaration compte tenu qu’il y a une instruction en cours. En effet il convient de respecter le caractère secret de celle-ci pour que la justice fasse sereinement son travail" .