Assises de Namur: Bernard Marchal se défend d’avoir visé le cou et d’avoir voulu tuer son frère
La cour d’assises de Namur a entamé lundi le procès de Bernard Marchal, 52 ans, accusé du meurtre de son frère aîné Jean-Luc le 30 octobre 2019 à Bois-de-Villers. Lors de l’interrogatoire de l’accusé, le président a essayé de comprendre le mobile exact de la bagarre qui a précédé la mort de Jean-Luc. Mais y en a-t-il vraiment un précis, ou est-ce une succession de contrariétés ?
Publié le 13-06-2022 à 23h09 - Mis à jour le 13-06-2022 à 23h11
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« Vous me dites que vous n’étiez pas en conflit avec votre frère. Et votre frère n’était pas armé quand il est venu vers vous à l’étage… alors de quoi avez-vous eu peur? Pour une bête histoire de sac, la victime a disparu » , a déploré, interloqué, le président de la cour d’assises de Namur, Olivier Warnon, lors de l’interrogatoire de l’accusé.
Le 30 octobre 2019, les frères Marchal devaient se voir au domicile de leur maman, à Bois-de-Villers, pour vendre un tracteur ayant appartenu à leur père, décédé quelques mois plus tôt. Ils étaient avec leur compagne respective, Murielle D. (celle de Jean-Luc) et Christelle S. (celle de Bernard).
Ce jour-là, la transaction avec l’acheteur du tracteur s’est déroulée sans encombre et sans animosité entre les deux frères. L’ambiance était toutefois électrique vu qu’en parallèle, Christelle S. et Murielle D. se crêpaient sérieusement le chignon, la première reprochant à la deuxième d’avoir trompé Jean-Luc des années plus tôt avec Bernard et d’être "la traînée du village" . En outre, Murielle reprochait à Christelle de lui avoir volé son sac à main. Les deux femmes en seraient même venues aux mains. Ce contexte délétère a-t-il été le déclencheur de la bisbrouille entre les deux frères? Comme l’a notifié le président, ils étaient tous deux fortement imbibé d’alcool: d’après les experts en toxicologie, Bernard avait un taux d’alcool dans le sang de 3,60g/l et Jean-Luc, 2,78 g/l.

Alors qu’il se préparait à quitter les lieux avec sa compagne, Jean-Luc est monté à l’étage où se trouvait son frère pour lui demander, apparemment avec virulence et colère, ce qu’il en était du fameux sac à main. Et là, l’inexplicable s’est produit: Jean-Luc s’est avancé et a reçu un coup de couteau fatal dans le cou. « Vous allez chercher un couteau parce que votre frère vous dit qu’il va vous casser la gueule? s’est étonné le président. Soudainement, votre frère s’énerve et directement, vous prenez peur? » C’est en effet l’explication de l’accusé: « Il criait très fort, je ne l’avais jamais vu comme ça. Donc oui, j’ai pris un couteau sale qui était sur l’évier, explique-t-il, ajoutant qu’il se sentait diminué en raison d’une blessure au bras. Jean-Luc m’a poussé et je me souviens du coup de couteau que je lui ai donné. » Il se défend cependant d’avoir voulu viser le cou, une zone vitale. « Après ça, j’ai donné le couteau à Christelle. » C’est cette dernière qui lui aurait dit qu’il était temps de s’en aller alors que Murielle était en train d’appeler les secours. « Je me suis mis à genoux près de mon frère et je pleurais. J’étais perdu, je ne savais pas quoi faire » , a-t-il ajouté.
Christelle et Bernard ont fui à bord de leur 4x4 puis se sont arrêtés au Café de la gare à Profondeville. Là aussi, le président est troublé par cette soudaine et surprenante envie. « Vous avez vu la scène et le sang de votre frère et brutalement, vous avez faim… » Mais Bernard Marchal l’assure: « le steak, je ne l’ai même pas mangé! » Par contre, le couple a continué à boire au restaurant et quelques minutes plus tard, Bernard a été arrêté. Pour lui, ce steak était une forme de résignation, parce qu’il se doutait qu’il passerait les jours suivants derrière les barreaux.
En fin d’interrogatoire, Bernard Marchal s’est excusé auprès de ses sœurs, de la compagne de Jean-Luc et de la fille de son frère. "J’ai détruit ma famille à cause de la bêtise de la boisson. Ma vie est foutue" , a-t-il conclu. Pour lui, l’abus d’alcool et le vieux dossier déterré de la tromperie ajoutés au sac à main perdu peuvent expliquer que tout a dérapé. Ironie du sort, le sac à main en question a été retrouvé peu de temps après, dans le divan du salon…
Une lame de 11 cm dans le cou
Parmi les pièces à conviction, l’arme du crime a été retrouvée et montrée lundi à l’ensemble du jury et aux avocats des différentes parties. Rien d’impressionnant puisqu’il s’agit d’un couteau comme chacun peut en avoir dans sa cuisine. D’après les experts du laboratoire de la police technique et scientifique, la lame mesure 10,7 cm. Ce qui surprend le président de la cour, c’est qu’une plaie profonde à la verticale, entre 10 et 12 cm, a été constatée sur la victime. «C’est l’entièreté de la lame qui est rentrée dans le cou de votre frère, a-t-il relevé. Il faut une certaine force!» Une force dont l’accusé dit ne pas se souvenir. Ce qui est sûr, c’est qu’un seul coup a suffi pour sectionner partiellement une artère et l’aorte thoracique. «C’est un geste qui semble franc et déterminé», a estimé le juge d’instruction qui est intervenu pour relater notamment la descente sur les lieux le jour des faits et la reconstitution de ceux-ci le 19 juin 2020.
« Je ne vois plus une goutte d’alcool, même pas un Mon Chéri »
Le président a passé en revue la vie de l’accusé. Durant son enfance, Bernard Marchal allait déjà travailler au bois avec son père. «C’est comme ça que j’ai appris à travailler», confie l’intéressé. Il a un diplôme de menuisier et a notamment été employé dans plusieurs entreprises ou scieries à Lesve, Profondeville ou ailleurs dans le Namurois.
Sur le plan sentimental, il est resté 22 ans avec la mère de sa fille. Plusieurs séparations ont émaillé la vie du couple notamment en raison de sa consommation abusive d’alcool. Il a ensuite rencontré une autre femme avec qui il est resté six ans et fin 2018, il a fait la connaissance de Christelle S. avec qui il était en couple lorsque les faits qui l’ont amené devant la cour d’assises ont eu lieu.
Leur couple était quelque peu explosif et ils aimaient consommer tous les deux des boissons alcoolisées. «Votre sœur a dit que vous étiez un homme à femmes», lui a adressé le président. «C’est vrai que j’ai fait quelques conquêtes», a-t-il confessé. Il a même eu une brève aventure avec Murielle D., qui était pourtant la femme de son frère Jean-Luc. «Ça a duré une heure avec elle», a-t-il déclaré. C’est un des éléments qui aurait pu mettre le feu aux poudres lors de la dispute ayant précédé le drame. Actuellement, Bernard Marchal se définit davantage comme l’ami de Christelle S. plutôt que son compagnon. «Elle fait ce qu’elle veut. Mais elle me rend service, comme les courses. J’ai de la chance de l’avoir.»
Il ressort incontestablement de son interrogatoire une consommation excessive d’alcool. Bernard Marchal avoue avoir commencé à boire à 16 ans. Il a notamment été condamné en 2009, 2016 et 2020 par le tribunal de police de Namur pour alcoolémie au volant.
Le président est revenu sur le taux d’alcool qu’il présentait le jour où il a tué son frère. «C’est énorme 3,60 g/l, a-t-il commenté. Il y a des gens qui ne survivent pas à un tel taux.» L’accusé assure être abstinent depuis les faits. «Je ne bois plus une goutte d’alcool depuis deux ans et demi, je ne prends même pas un Mon Chéri, car c’est impensable, ce que j’ai fait à mon frère.»
Bernard Marchal a en outre déjà fait usage d’un couteau sur un homme en 2001 lors d’une soirée encore une fois arrosée. Depuis le début de son procès, il ne conteste pas être l’auteur du coup de couteau fatal porté à son frère mais il clame haut et fort qu’il n’a pas voulu le tuer.
Un contexte familial à prendre en compte
Dès l’entame du procès, le président de la cour a dû procéder au remplacement du onzième juré, absent pour maladie, par un juré suppléant. Le jury reste néanmoins composé de sept femmes et de cinq hommes comme au départ. Une fois ce point réglé, l’avocat général Serge Mottiaux a lu les 29 pages de l’acte d’accusation qu’il a rédigé. «C’est un peu le résumé des faits», a expliqué le président de la cour au jury.
Me Aline Fery, qui représente l’accusé avec Me Thibault Maudoux, a ensuite pris la parole. La défense n’a pas rédigé d’acte de défense mais tenait à énoncer quelques mots. Elle a rappelé que le texte de l’avocat général était seulement la vision de l’accusation. «C’est un document obligatoire mais nous ne partageons pas ce qui a été dit, a-t-elle lancé aux jurés. Nous réservons notre argumentation pour la suite et nous vous laissons l’opportunité de vous faire votre propre opinion.»
Me Fery a prévenu les jurés que tout au long du procès, ils devraient juger un homme qui a commis un acte impardonnable et qu’ils assisteront à la «mise à nu complète de cet homme, avec ses qualités et ses travers», dont celui de l’alcool. L’accusé assume la matérialité de son acte. Quant à la volonté de tuer, elle fait défaut, selon elle. «L’alcool n’excuse rien mais il existe tout un contexte que vous allez devoir apprécier, a-t-elle déclaré. Monsieur Marchal doit être jugé pour ce qu’il a fait mais il faut tenir compte de ce contexte familial, il est inévitable.»
Me Fery a eu un mot pour la famille de la victime qui, particularité dans cette affaire, est aussi celle de l’accusé. «Dramatique, c’est le mot qui me vient quand je pense à cette famille qui a un fils, un frère, défunt, et un autre dans le box des accusés.» Au total, six parties civiles se sont constituées : les deux sœurs et la mère des frères Marchal ainsi que la compagne et la fille de Jean-Luc Marchal et le compagnon de cette dernière.