«Les réfugiés ukrainiens sont comme les Belges qui sont partis en 40»
Le 10 mai 1940, voilà tout juste 82 ans, commençait l’exode. Le Beaurinois Louis Limet et sa famille ont été contraints de fuir leur domicile de Bure (Tellin) où ils résidaient à l’époque. Sans savoir de quoi demain allait être fait.
Publié le 10-05-2022 à 06h00
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Le 10 mai 40, Louis Limet, accompagné de ses deux frères Gaston et Joseph, de sa sœur Marie-Antoinette et de sa maman, Flore, quittent brutalement leur maison. Les Allemands envahissent la Belgique, en passant par Bure (Tellin, province de Luxembourg). Une décision difficile, mais vitale, prise en quelques secondes à peine. Il faut mettre la famille – les enfants ont entre 2 et 6 ans – en sécurité. " Lorsque maman est partie le 10 mai 40, avec une poussette, à pied, mon père était parti prendre son service à 4heures du matin à la halte de Lesterny (Nassogne). À l’époque, il travaillait au chemin de fer comme signaleur ", raconte Louis Limet, qui avait deux ans à l’époque.
Il tient cette histoire de ses parents et de sa tante qui a retranscrit "leur exode". Cette histoire a marqué sa famille. " Ça a été la catastrophe, dès le 10 mai 40, des milliers de personnes se sont enfuies vers la France. Les gens avaient en tête les massacres qui avaient eu lieu dans la région, à Dinant, à Tamines notamment, en 1914. Quand mon père est rentré, il n’y avait plus personne à la maison. Et pas de moyen de communication …"
Rejoindre Beauraing
L’objectif de Flore, la maman de Louis, en quittant précipitamment le village, était de rejoindre Beauraing où sa sœur, Olga, était religieuse sous le nom de sœur Ludovica. Elle pensait y trouver l’hospitalité. " Mais les sœurs aussi étaient en partance. C’est comme ça que nous avons pris la route avec ma tante qui a eu l’autorisation de la mère supérieure de quitter la communauté pour partir avec sa sœur et ses quatre enfants ."
Commence alors un parcours d’exil, vers Cabrials, un village situé entre Sète et Montpellier, dans le sud de la France, où une famille leur ouvrira les bras. " On est arrivés via Maubeuge, Paris, Angers, Toulouse. Mais, avant, on était passés par Philippeville. Je sais que la première nuit, on l’a passée dans le château de Beaumont ." Il précise que " beaucoup de personnes qui s’étaient mises en route n’ont pas pu partir car les Alliés avaient fait sauter le pont à Hastière ."
Le voyage forcé de la famille sera semé de terreur. " À tout instant, il fallait se réfugier dans la forêt car les Allemands bombardaient les colonnes de réfugiés ."
Avant d’atteindre le village français de Cabrials, Louis Limet explique qu’un "tri" a eu lieu à Plaissant. "C’était un village à côté de Cabrials où il restait une dizaine de familles à placer. Il s’est passé la même chose à Beauraing voilà quelques semaines avec les Ukrainiens …", fait remarquer l’ancien professeur de l’école des frères de Beauraing (IND).
" On a été accueillis dans ce village qui comptait une cinquantaine de foyers avec d’autres réfugiés de notre région. Car les réfugiés étaient regroupés par lieu de départ. Des organismes se sont installés au pied levé en France pour coordonner tout ça. Un peu comme ça se passe aujourd’hui, à la frontière polonaise ."
Témoignage «anti-oubli»
Pendant tout ce temps, les parents de Louis ne savent pas, l’un, l’autre, où ils se trouvent. " À partir du 10 mai, tout s’est déroulé dans l’ignorance complète. Les voisins demandaient à mon père si maman était rentrée. Ce à quoi il répondait: “à mon avis elle ne reviendra pas.” Pour lui, elle était tuée ."
Ce n’est qu’à la fin du mois de juillet que Camille, le papa, apprendra, grâce à une carte postale envoyée par un certain Monsieur Danlois (un employé de la poste qui avait un laissez-passer pour franchir la frontière entre la France et la Belgique et qui était chargé de retrouver les réfugiés pour leur donner des conseils afin de rentrer en Belgique), que sa famille est à l’abri et qu’elle va bien. " Je n’ose imaginer ce que mon père a dû ressentir lorsqu’il a lu cette carte, après deux mois dans l’inconnue totale. Aujourd’hui , pour moi, cette carte, c’est une relique." Il faudra encore attendre plusieurs jours avant que la famille rentre au bercail. " Ce n’était pas évident avec quatre enfants en bas âge! "
Louis Limet compare: " Aujourd’hui, les gens quittent l’Ukraine pour la Pologne. En Belgique, c’est exactement ce qui s’est passé en 1940 pour nous. J’ai été un réfugié. Et cela peut arriver à n’importe qui, n’importe où sur la terre. On croit que ça n’arrive pas, mais …"
Son témoignage, 82 ans plus tard, il le voit comme un " remède anti-oubli pour les générations futures ", une nécessité, pour que ces souvenirs ne meurent pas et pour que l’exode de 40 soit ravivé. " On n’en entend plus parler. Et pourtant, les réfugiés ukrainiens sont comme les Belges qui sont partis en France en 40. L’histoire est un éternel recommencement. Voilà un mois, avec des personnes de mon âge, on s’est dit qu’avec Poutine, on n’était pas loin de la troisième guerre mondiale ."