Molly, le bichon qui a sauvé la vie de Iegor, Tatiana et Maria
Chaque semaine, « L’Avenir » va à la rencontre des réfugiés ukrainiens de la province de Namur en leur posant une question : « Qu’est-ce que vous avez emporté de plus précieux dans votre fuite ? » Pour la famille de Tatiana, ce fut Molly.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/6XL3K3DJYBBE7CWUKU4I56YFO4.jpg)
- Publié le 04-05-2022 à 10h57
- Mis à jour le 04-05-2022 à 13h31
:focal(545x371.5:555x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/JCVLO4OZDRD6JAKEFSZFSEKRF4.jpg)
« On avait une vie normale, un travail, des amis, des projets de vie. Rien ne laissait présager qu’une guerre allait nous obliger à fuir. Jusqu’au 24 février. Les premières bombes au sud de la ville, ce fut le début de la fin de cette vie normale » insiste d’entrée Tatiana, maman de Iegor, 12 ans, Maria, 18 ans et Molly, 4 ans. Cette dernière est un bichon maltais que Tatiana considère comme « un troisième enfant » . Le canidé a accompagné ses maîtres durant ce long voyage des berges du Dniepr au plateau hesbignon, à Cortil-Wodon, dans une famille d’accueil. « Je n’ai pris que l’essentiel, des vêtements d’hiver, un peu d‘argent, mes enfants et Molly. Le reste est resté à l’appartement, à Kryvyï Rih. On ne sait pas si on retrouvera tout cela un jour. »
Kryvyï Rih, ville-usine
Tatiana travaillait comme analyste de données dans cette ville-usine, unique au monde, cœur industriel du centre de l’Ukraine. Kryvyï Rih s’étire sur 126 kilomètres de long (!!), hébergeait 650000 habitants avant la guerre, une réserve de tanks et la plus grande aciérie du pays, détenue par ArcelorMittal. Une ville industrielle qui pèse 10% du produit national brut et dont l’activité sidérurgique est aujourd’hui vouée à l’effort de guerre. C’est un centre névralgique de la résistance, et la porte d’entrée vers la victoire ou la défaite. "Kryvyï Rih sera la prochaine grande bataille après Marioupol , détaille Tatiana, l’usine d’acier est stratégique, vitale pour l’Ukraine, précieuse pour la Russie."
Si Tatiana a quitté l’Ukraine, c’est au nom de ses enfants. Pour les protéger d’une guerre qu’elle ne comprend toujours pas. "Ma sœur est restée à la maison. Si je n’avais pas d’enfants, comme elle, j’aurais fait la même chose."
Durant trois semaines, elle a attendu un moyen sûr d’évacuer la ville. " Nous restions tout le temps dans une pièce, en mangeant à peine, en dormant peu, avec juste quelques couvertures. C’était la seule pièce de l’appartement entre deux murs, la seule qui nous protégeait d’un éventuel bombardement." Les sirènes sifflaient l’alerte en continu, annonciatrices des bombes venues du ciel. La ville est stratégique et symbolique, car elle a vu naître Vlodimir Zelensky, président de l’Ukraine et visage de la résistance à l’invasion russe.
Le futur, en Belgique?
Le 14 mars, enfin, Tatiana et ses enfants embarquent vers la Hongrie. Tatiana n’a aucun plan. Qu’importe la destination, seule la fuite compte. "Un journaliste en Hongrie m’a donné le contact d’une interprète russophone à Bruxelles, Paulina. J’ai donc décidé d’aller en Belgique pour la retrouver. Je ne l’avais jamais vue, mais c’était mon seul point d’accroche, tout un but en soi. C’est le hasard qui a fait que nous sommes arrivés ici."
Après six trains et quatre jours de voyage, les exilés parviennent à rejoindre Bruxelles et ensuite Cortil-Wodon. "Quand ils sont arrivés, Iegor tenait son chien dans ses bras, tétanisé. Il ne l’a pas lâché durant une heure. Ce chien, je pense qu’il leur a sauvé la vie" raconte Ghislaine, leur hôte depuis six semaines.
Un flou persiste sur l’avenir de la famille ukrainienne. Iegor est à l’école primaire de Cortil-Wodon et au football à Leuze, où il s’est fait quelques copains. "La première fois, l’école l’effrayait, il ne parlait que de rentrer à la maison. Et puis il a été à l’école du dehors, où il a vu des grenouilles, la vie sauvage. Il veut tout le temps y retourner maintenant" rit Tatiana.
Maria est rhétoricienne à Sainte-Marie Jambes. Elle veut continuer son cursus scolaire en haute école ou à l’université. Probablement en Belgique, vu l’actualité et l’impossibilité d’un retour à Kryvyï Rih. Dans quoi que ce soit qui se rapproche du dessin, qu’il soit technique ou artistique. "Elle devait se lancer dans le dessin pour des tatouages en Ukraine, souligne Tatiana, mais ça, c’était avant la guerre." Après Maria, ce sera au tour de Tatiana de trouver un travail. Et ce, dès qu’elle aura appris le français. "C’est la première étape."
Ces choix conditionneront le futur lieu de résidence de la famille ukrainienne, à Cortil-Wodon ou ailleurs. Tatiana et sa famille se font une raison. Ils entameront un semblant de vie normale en Belgique, avant de se poser la question du retour. La vie normale, pour l’instant, c’est l’exil.