Fort d'Emines : on n'en sort pas indemne
Oppressant triangle de béton et de métal, le fort d'Emines a connu des journées infernales en août 1914. Retour sur les lieux, 90 ans après l'Armistice.
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- Publié le 13-11-2008 à 10h00
Le long de la chaussée Namur-Perwez, sur la droite juste avant l'entrée d'Emines, repose un géant. Au bon milieu d'un bois. C'est le fort d'Emines, l'une des neuf places fortifiées qui devaient assurer la défense de Namur à l'aube de la Première Guerre mondiale. Déminé, démilitarisé et vendu à un particulier en 1997, le site constitue désormais un joli domaine de chasse privé. Hier, cependant, l'impressionnante grille d'entrée s'est à nouveau ouverte, laissant entrer des centaines de passionnés guidés par d'autres passionnés de la Maison de la mémoire rurale de La Bruyère. Les voilà partis pour deux heures d'une visite vraiment pas comme les autres.
Rapidement, nous sommes gagnés par le côté oppressant de ce massif de béton. «C'est l'une des premières constructions de ce type, avec du ciment de méthode Portland qui mêle la chaux aux scories métalliques», signale Philippe Connart, le guide du jour, officier à la retraite. On pénètre enfin dans la place forte. Là, ce sont les chambrées de militaires. «En temps de guerre, 400 personnes se retrouvaient dans ce fort. Mais rien n'était vraiment prévu pour un minimum de confort. Pas d'évacuation des toilettes, pas vraiment d'aération... Et puis, imaginez le bruit infernal quand les obus tombent sans cesse sur la structure. Quelle fumée! Quel vacarme assourdissant! C'est comme si un tremblement de terre devait durer plusieurs heures, voire plusieurs jours», souffle encore notre guide. Oppressants, les lieux sont plombés sous des tonnes et des tonnes de béton et de fer.
Ici, on découvre la salle des officiers, à peine égayée par quelques dessins muraux. Dans d'autres pièces, les inscriptions sont plus récentes... Ce sont des tags. «Ce fut aussi le repère de noubas pour des jeunes du coin», sourit Philippe Connart... Là, on devine l'impressionnante machinerie qui permettait, entre la force de la vapeur et l'entraînement d'une turbine, d'éclairer timidement les cinq tourelles du fort. Tout est noir et humide, triste et laborieux. Lugubre mais tellement fascinant. Et puis, on s'engage dans un long couloir qui nous fait littéralement plonger vers l'arrière du bâtiment, la pointe du triangle. C'est le couloir de retraite, l'accès vers l'air libre.
Et là, on devine aisément le sentiment qui devait avoir envahi les assiégés d'août 1914, après deux journées de feu, de poussière et de béton.