Le Cuirassé Potemkine en mode blues à Quaregnon: «Attirer l’attention sur un message toujours actuel»
Poser une bande originale version blues sur un film emblématique de l’URSS: c’est le projet un peu fou, mais cohérent, de trois jeunes Montois un brin révolutionnaires.
Publié le 28-11-2019 à 17h41
Le Cuirassé Potemkine, c’est un film muet de 1925 réalisé par Sergueï Eisenstein. Il raconte la mutinerie de juin 1905 des marins du navire de guerre Potemkine, stationné dans le port d’Odessa, et de la répression qui s’ensuivit.
A la base, il s’agit d’un film de propagande sur un épisode considéré comme précurseur de la révolution d’Octobre, mais le film a marqué le cinéma par ses qualités techniques et son souffle épique.
Warship Potemkine, c’est aussi le nom d’un groupe de musique montois, composé de trois amis de longue date: Baptiste Coppens, François Carpentier et Baptiste de Reymaeker. Les trois compères se retrouvent ce samedi 30 novembre sur la scène de la salle Allard L’Olivier à Quaregnon pour un spectacle insolite: doter en live le Cuirassé Potemkine d’une nouvelle bande sonore bluesy, composée par leurs soins.
Comment ce projet improbable a-t-il vu le jour? On en discute avec Baptiste Coppens, guitariste, pianiste et chanteur de cet équipage pourfendeur des injustices.
Baptiste Coppens, comment ce projet est-il né?
On joue ensemble sous le nom de Warship Potemkine depuis plusieurs années et il nous a toujours traîné l’idée de refaire la bande-son de ce film. On a attendu d’être plus aguerri et d’avoir une opportunité pour le faire, mais ça a toujours été un objectif.
Vous êtes tous les trois des amateurs du film?
Oui. À mon avis, nos goûts esthétiques, politiques, philosophiques et cinématographiques s’accordent dedans.

Mêler le blues à un film muet des années 20, soviétique qui plus est n’est pas un mélange auquel on penserait de prime abord…
Non, c’est vrai. Mais, même s’il n’est pas évident, il y a un lien profond dans l’indignation des noirs par rapport à leurs oppresseurs et dans la révolte des Soviétiques à cette époque. Le blues est une musique d’opprimés, de faibles, de pauvres… C’est la même révolte que celle dépeinte par Eisenstein dans le Cuirassé Potemkine, la révolution des pauvres contre les puissants.
Mais on a utilisé le blues aussi parce qu’il n’y a que ça qu’on joue bien! (rires) Mais on ne fait pas que du blues, il y a des incursions rock, d’ambiance, voire quelques bouts de classique…
C’est difficile de se détacher de la musique d’origine? Comment crée-t-on quelque chose d’entièrement nouveau à partir du même visuel?
Ça n’a pas été simple. Mais que le style soit tellement différent facilite la chose, on ne se laisse pas influencer par la musique originale. Ça impose de recréer à neuf. On est parti de chansons que l’on jouait déjà en les transformant pour qu’elle colle au mieux à la thématique, y compris au niveau des textes.
Puis on agence les morceaux pour coller à l’intensité dramatique des différents moments, pour qu’ils suivent le mouvement émotionnel du film. Ce n’est pas simple, d’autant que nous jouons une musique où il y a une part d’improvisation. En blues, on y va au feeling, on joue autant de mesure qu’on veut, mais ici c’est tiré au cordeau. Le tempo est fixé, ça doit démarrer à tel moment, on doit se caler sur l’image.
On peut se permettre d’improviser un peu?
La structure est fixée, mais à l’intérieur il y a une place à l’impro, on n’écrit pas les solos. Mais les fondations doivent être beaucoup plus solides que dans un concert normal où il n’y a pas de contraintes temporelles.
Vous travaillez depuis combien de temps sur ce projet?
Deux ans. Nous l’avons présenté en avant-première à Mons et cela s’est plutôt bien déroulé. Beaucoup de gens avaient déjà vu le film, mais le revoir en l’entendant différemment leur a donné une perception tout autre. Ils étaient ravis d’avoir presque vu un nouveau film.
Et à titre personnel, j’ai trouvé très marrant de jouer sans que les gens ne nous regardent. Tout le monde avait les yeux rivés sur le film. On est complètement au service de quelque chose d’autre.

Le fait de présenter ça à Quaregnon, ville de la Charte du Parti Ouvrier Belge, était-ce pensé?
Non, mais en tout cas je vous remercie de m’y faire penser! (rires) Mais ça n’arrive peut-être pas par hasard. On est tous du coin, on a tous cette fibre gauchiste et «révolutionnaire». Ce n’est probablement pas pour rien que ce projet un peu fou et original atterrit à Quaregnon, proposé par des Montois qui ont encore suffisamment d’intérêt pour la cause sociale que pour revisiter un film de 1925, au message politique et artistique toujours bien là. C’est plutôt la Charte de Quaregnon qui a percolé vers nous que l’inverse.
Ce sera une présentation unique?
On aimerait en faire d’autres, mais la difficulté pour nous, c’est que nous sommes plus habitués au circuit des cafés et festival, beaucoup moins à ceux des cinémas et centres culturels où on n’a pas beaucoup entendu parler de nous. On doit se faire connaître, d’autant que le créneau du ciné-concert n’attire pas les foules…

Et susceptible d'attirer un autre public. Lors de la première présentation à Mons, «les gens ont redécouvert quelque chose. Esthétiquement, il mérite encore d'être vu. Mais dans son packaging original, il n'y a pas de raisons pour laquelle les gens iraient vers ça. Tandis qu'en le modernisant un peu grâce à la musique, ça attire l'attention sur un message qui peut toujours être le nôtre au XXIe siècle, et surtout attirer l'attention des gens sur un film qui a presque 100 ans et qui en remontrerait à beaucoup d'autres.»
Ciné-concert – Le Cuirassé Potemkine, 30 novembre à 20h à l’hôtel de ville de Quaregnon. Réservations en cliquant sur ce lien.
