Cuesmes: la ville ferme son magasin "pour raison de sécurité", la commerçante se retrouve en faillite
La commerçante juge la ville responsable de la tournure des événements. La ville, de son côté, estime avoir joué la prudence.
Publié le 18-02-2023 à 10h25
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C’est toute une vie que Carol Dupont vient d’être contrainte de laisser derrière elle. Le 6 octobre dernier, son magasin, DM Modélisme, situé au numéro 9 de la rue de Bertaimont et ouvert depuis une quinzaine d’années, était fermé sur arrêté de la ville de Mons. Malgré les démarches pour tenter de maintenir son exploitation, la commerçante n’a pas obtenu les autorisations nécessaires. Ou du moins pas assez rapidement : alors que l’arrêté était partiellement levé et qu’une partie du bâtiment aurait pu être rouverte, l’indépendante constatait un dégât des eaux, consécutif à une fuite de canalisation.
Le magasin, inondé, a souffert d’importants dégâts tandis qu’une partie de la marchandise laissée sur place, trop abîmée, ne pouvait plus être mise en vente. Désormais convaincue que la décision de prendre un arrêté de fermeture était injustifiée, Carol Dupont réclame de la ville qu’elle assume sa part de responsabilité. “Nous avons été expulsés de notre bâtiment, nous avons perdu notre commerce, qui était notre seule source de revenus”, regrette la commerçante. “Nous avons sollicité la ville, à plusieurs reprises, sur les solutions envisageables à court terme. Mais rien ne nous a été proposé. ”

Pour la commerçante, tout commence par un carrelage qui se bombe, sans raison apparente, à l’arrière du magasin. “J’en ai parlé à un ouvrier Ores, qui nous a confirmé que cela pouvait être lié aux travaux entrepris dans la ruelle adjacente. J’ai pris contact avec la société afin d’évaluer les dégâts. Un ouvrier a rédigé un rapport dans lequel il a noté qu’un risque d’effondrement du bâtiment n’était pas exclu. Mais il n’était pas qualifié pour énoncer cela. ”
Evacuation du commerce et des logements
Les services de la ville de Mons étaient contactés dans la foulée est une architecte de la ville visitait le commerce le jour même. “Elle a nous dit que seul un ingénieur du sol était qualifié pour émettre un arrêté. Mais elle était seule. Et l’arrêté a malgré tout été pris, sur base de ses propres constatations. ” Dans un premier temps, la commerçante ne mesure pas l’impact d’un tel avis. “Les locataires installés au-dessus du magasin ont été invités à quitter les lieux. Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés sans commerce et sans loyer issu de la location. ”
Par précaution, la ville faisait procéder à l’installation de barrières de sécurité. “À l’avant du bâtiment, alors que le problème est situé à l’arrière. Cela n’avait, selon moi, aucun sens. Je ne vois pas en quoi des barrières changeaient la donne mais pour éviter que la ville ne nous envoie la facture, j’ai proposé d’installer mes propres barrières. La ville m’avait par ailleurs proposé l’occupation d’un autre local afin de poursuivre l’activité. Mais elle a ensuite brillé par son absence. ”
Inquiète, sans revenu, Carol Dupont contactait le bourgmestre, Nicolas Martin. “Mais je n’ai jamais eu de réponse. ” Dans l’intervalle, un ingénieur du sol était invité à se rendre sur place par la commerçante et rédigeait un document attestant qu’aucun risque d’effondrement n’existait et qu’il était possible d’exploiter l’avant du bâtiment en attendant que des réparations soient entreprises au niveau du carrelage, à l’arrière.

Un bâtiment évacué... Et inondé
“À force d’insister, nous avons finalement obtenu un rendez-vous en novembre. On nous a simplement répondu qu’aucune aide financière n’était disponible pour nous venir en aide. Nous avons réclamé l’enlèvement de l’arrêté. L’architecte à l’origine de cette histoire nous a précisé qu’elle n’avait pas les compétences pour le faire. C’est incompréhensible. ” Pour montrer sa bonne foi, la commerçante permettait une deuxième visite de contrôle de son commerce.
“En présence de notre ingénieur du sol, un entrepreneur et ses 2 ouvriers ont tenu à tester la stabilité du sol. Deux mètres de carrelage ont été enlevés. Une conduite d’eau a été touchée mais nous n’avions pas conscience des conséquences possibles. Si nous avions pu accéder au bâtiment, ce qui n’était plus possible compte tenu de l’arrêté toujours en vigueur, nous aurions pu surveiller l’état du bâtiment et prendre les dispositions qui s’imposaient. ”
Inoccupé, le bâtiment s’est retrouvé sous eaux. “Quand la ville a partiellement levé l’arrêté, nous autorisant à exploiter partiellement le commerce si nous installions des panneaux de séparation entre l’avant et l’arrière du commerce, nous avons constaté qu’il était inondé. ” Les larmes aux yeux et la gorge nouée, la commerçante nous explique n’en avoir pas cru ses yeux. Inexploitable, le commerce a été mis en liquidation et a définitivement fermé ses portes.
“L’ingénieur du sol de notre assureur a tenu à effectuer une troisième visite. Lors de celle-ci, tous les points de niveaux ont été relevés. Il nous a été dit qu’ils n’auraient jamais bougé d’un millimètre. Il a établi un rapport, confirmant celui qui avait été rédigé en novembre 2022. Il n’a jamais été prouvé, contrairement à ce que la ville annonce, que notre bâtiment se serait affaissé de deux centimètres ! Comment cela aurait-il pu être établi, alors que l’architecte n’était accompagnée d’aucun ingénieur ?”
La ville, responsable?
Et de poursuivre : “Aucune mesure n’aurait pu être prise a posteriori puisque pour ce faire, j’aurais dû venir ouvrir le bâtiment. Je ne peux que constater que la décision a été prise de manière arbitraire, que nos demandes d’explications et de levée d’arrêté sont restées lettres mortes, avec des conséquences désastreuses pour nous, puisque l’on se retrouve sans revenus, sans loyer, avec un prêt à payer pendant encore cinq ans. ”
De son côté, la ville de Mons estime avoir pris toutes les mesures nécessaires pour éviter de prendre le moindre risque. “La ville a fermé le bâtiment à la suite d’un appel alarmiste de la propriétaire du bâtiment. Les désordres dans le bâtiment étaient avérés ! Un rapport d’Ores le confirme”, souligne la porte-parole. “L’architecte a en effet constaté que le sol, sous l’une des 3 colonnes (la centrale) soutenant la construction de l’annexe arrière, était en train de s’affaisser sur presque 2 cm de profondeur. Le carrelage sur le pourtour de celle-ci s’est soulevé et s’est cassé à de nombreux endroits. Le reste du carrelage autour et vers la façade de la ruelle, s’est désolidarisé de son support sur une superficie de plusieurs m². À la base de la 1re colonne, une microfissure est en train d’apparaître également dans un carrelage. La façade latérale, coté ruelle des Pêcheurs, présente également des micro-fissures à plusieurs endroits, et ce sur la moitié de sa hauteur. ”
Ne prendre aucun risque
Pour la ville, il s’agissait d’une question de sécurité. “Nous sommes garants de la sécurité publique. Nous avons de ce fait décidé d’évacuer en urgence le bâtiment et de sécuriser la ruelle par la pose de barrière empêchant le passage des piétons. Il revenait à madame de fournir un rapport d’ingénieur en stabilité garantissant l’absence de risque. Cela lui incombe en sa qualité de propriétaire. ” Face à ces explications, nous avons transféré à la ville le rapport de l’ingénieur de la propriétaire et cherchait à comprendre pourquoi ce dernier n’avait pas suffi.

“Le rapport – si tant est qu’on puisse appeler ça un rapport et qui ne nous a pas été adressé directement, de sorte qu’on en a pris connaissance ce jour – (la ville évoque une erreur dans l’adresse e-mail utilisée, NdlR), conclu qu’il reste des vérifications à faire pour garantir l’absence de risque. Donc, cela ne permet en aucun cas de lever l’arrêté totalement. Nous avons cependant fait preuve de souplesse (à l’approche des fêtes de fin d’année, période très importante pour un commerce) et lui avons permis de rouvrir (levée partielle de l’arrêté) son commerce suite à un email de son ingénieur, stipulant que “la partie avant du commerce ne présente pas de risque”.
Et de poursuivre : “son ingénieur précisait que “seul l’accès et l’exploitation de la première pièce du commerce est autorisée à condition de séparer les deux pièces du rez-de-chaussée par des panneaux fixes au niveau de l’arcade séparant l’annexe du bâtiment principal” . La levée partielle précisait la nécessité de fournir la preuve photo du placement de ces panneaux avant l’ouverture du magasin ce que nous n’avons jamais reçu. Et de toute façon, le commerce n’a jamais rouvert malgré la possibilité qui lui été offerte. Cette propriétaire a laissé péricliter un bâtiment classé du centre-ville. L’état de la façade est éloquent quant au manque d’investissement dans le bien. ”
"Une situation gérée en quelques jours"
Pour la ville, la responsabilité de la situation ne lui incombe dès lors pas. Elle réfute également la lenteur dont la propriétaire l’accuse. “Madame a été reçue par la responsable de la cellule logement et le département socio-économique le 22 novembre suite à son interpellation du 15 novembre 22 heures, soit 4 jours ouvrables après sa demande. L’arrêté a été levé partiellement le 23 novembre, soit le lendemain de cette rencontre. ”
Et d’insister : “le Bourgmestre est garant de la sécurité publique, ce qui implique un devoir de précaution et de prévoyance par rapport aux situations de risques. Notre architecte avait toutes les raisons de penser que le bâtiment présentait un potentiel risque pour la sécurité publique. Sa décision passe également entre les mains de nos ingénieurs. Mais il appartient à la propriétaire du bien de faire faire un rapport par son ingénieur afin qu’il liste les mesures de sécurité à mettre en œuvre et qui permettrait de lever l’arrêté. La Ville n’a pas vocation à se substituer aux responsabilités des propriétaires privés. ”