Résilience et malvoyance: toujours compatibles?

Rencontres avec Victor, Cem, Adeline, Traian, Sarah et Elizabeth, six déficients visuels pour qui la résilience revêt différentes formes.

Résilience et malvoyance: toujours compatibles?
Adeline, jeune déficiente visuelle, en collaboration avec Les Amis des Aveugles à Ghlin, vient d’exposer des graffitis en braille dans les musées de Mons. Bérénice, animatrice au sein de l’ASBL, œuvre tous les jours pour sensibiliser à la ... ©L.N.
Traian est roumain. Il est venu s’installer en Belgique pour bénéficier d’un meilleur suivi médical.
Traian est roumain. Il est venu s’installer en Belgique pour bénéficier d’un meilleur suivi médical. ©L.N.

Malvoyant depuis sa naissance, Traian (27 ans, étudiant en gestion publique) accepte parfaitement sa situation comme elle est. Il ne considère pas sa cécité comme un frein et il estime qu’il peut vivre comme tout le monde.

Sarah (16 ans, étudiante en secondaires) n’envisage pas non plus ses problèmes de vue comme une fatalité. Pour ces deux jeunes déficients visuels, «il y a pire dans la vie que d’être malvoyant»: ils se considèrent comme résilients.

Un manque clair de représentation

Adeline (27 ans) et Cem (26 ans, étudiant en gestion publique) ne perçoivent pas les choses de la même façon. Bien qu’ils aient en grande partie accepté leur cécité (au prix d’efforts considérables), ils regrettent tout de même le regard que leur portent encore certaines personnes.

Adeline est une grande fan de photo, elle a même exposé certaines de ses œuvres au Musée de la photographie à Mont-sur-Marchienne.
Adeline est une grande fan de photo, elle a même exposé certaines de ses œuvres au Musée de la photographie à Mont-sur-Marchienne. ©L.N.

Adeline, par exemple, souhaiterait pouvoir faire du théâtre, du chant ou du planeur sans que tout le monde ne soit émerveillé: «lorsqu’on est aveugle, c’est comme si la moindre réussite était grandiose», ajoute-t-elle.

Cem a mis du temps avant de pouvoir totalement accepter sa cécité et l’utilisation de la canne blanche au quotidien.
Cem a mis du temps avant de pouvoir totalement accepter sa cécité et l’utilisation de la canne blanche au quotidien. ©L.N.

Quant à Cem, il déplore le manque de personnages malvoyants dans les films et les séries: les modèles, il ne les compte que sur les doigts d’une main. De plus, déclare-t-il, «lorsqu’il y en a, leur rôle est particulièrement teinté d’humour voire de moquerie». Ce manque de représentation et de considération ralentit le chemin d’Adeline et Cem vers la résilience totale.

Elizabeth et Victor ou la nouvelle résilience

Elizabeth (27 ans, étudiante en psychologie) et Victor (25 ans, juriste notarial) rejoignent le point de vue d’Adeline et Cem. Ils ajoutent une nouvelle dimension à la réflexion sur le regard que leur porte la société: selon eux, les malvoyants sont perçus soit comme des victimes, soit comme des héros.

Elizabeth a pu compter sur le soutien de ses parents et de ses 4 frères et sœurs pour évoluer dans une société encore trop peu familiarisée avec la déficience visuelle.
Elizabeth a pu compter sur le soutien de ses parents et de ses 4 frères et sœurs pour évoluer dans une société encore trop peu familiarisée avec la déficience visuelle. ©L.N.

Or, si la pitié attire les dons, elle éloigne l’égalité: celui que l’on plaint (ou que l’on «sauve») devient immédiatement inférieur. L’admiration n’est pas non plus souhaitable puisque, comme l’explique Elizabeth, «les super-héros n’ont besoin de personne… mais nous, nous avons parfois besoin d’aide et nous ne pouvons pas toujours nous en sortir seuls».

Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles Victor et Elizabeth adoptent un autre point de vue sur la résilience: si, pour l’instant, ils n’acceptent pas leur handicap, ils s’y sont toutefois adaptés par obligation. Ainsi, Victor a dû renoncer à une potentielle carrière dans la construction au profit d’un métier plus intellectuel et donc plus accessible.

Cette adaptation a tout de même du positif: «si j’avais accepté ma condition, je n’aurais jamais fait le parcours que j’ai fait; or j’en suis très fier», conclut Victor.

Une nouvelle perspective

La définition de la résilience n’est donc pas unique et universelle. Elle pourrait cependant être facilitée par une représentation plus diffuse et plus sérieuse des déficients visuels dans la culture.

Cela pourrait sans doute aider les personnes valides à porter un autre regard sur la cécité: «le handicap ne nous définit pas; après tout, nous sommes des personnes normales», rappellent Elizabeth et Victor.

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Pesto est le compagnon de route d’Adeline depuis bientôt 3 ans. Il a changé sa vie, se réjouit-elle.
Pesto est le compagnon de route d’Adeline depuis bientôt 3 ans. Il a changé sa vie, se réjouit-elle. ©L.N.

Adeline: Pesto (le chien-guide d’Adeline, NDLR) sait qu’il doit toujours s’arrêter pour m’avertir lorsqu’il y a une marche d’escalier. Un jour, une femme a vu Pesto marquer l’arrêt et elle a dit «Madame, votre chien a l’air fatigué». Je l’ai vite rassurée en disant que c’était normal. Évidemment, Pesto a marqué l’arrêt aux deux paliers suivants et la femme n’a pas trouvé mieux à dire que «Mais enfin Madame, vous ne voyez pas qu’il est fatigué? Vous devriez le porter!». Pesto fait 45 kg et il portait son harnais de chien-guide.

Qui est l’auteure de ce reportage?

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©Emmanuel Crooÿ

Lisa Neirynck, 23 ans – Courcelles

J’étudie le journalisme à l’Université de Liège. Je suis passionnée par la culture populaire, et le cinéma en particulier. J’ai à cœur de proposer un journalisme constructif et innovant, accessible à tous. J’espère contribuer à une information de qualité, inclusive, avec une approche qui sort des sentiers battus.

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