Projet Nova Mons: «La Ville n’a aucune vision globale de l’urbanisme»
Que reprochent les opposants au projet Nova Mons, qui doit transformer un quartier entier dans le centre de Mons? On en discute avec le coordinateur du Collectif Cœur Urbain de Mons, qui accuse les autorités publiques d’avoir abandonné le développement urbain aux promoteurs immobiliers.
Publié le 11-06-2021 à 15h12 - Mis à jour le 11-06-2021 à 15h55
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«Si c’était le projet d’un étudiant, il serait pété!» Étienne Poulet ne mâche pas ses mots quand il parle de Nova Mons, ce vaste projet qui doit transformer la place Bootle et l’ex-bâtiment Belgacom en un complexe immobilier de 7 immeubles comprenant 131 logements, 94 kots étudiants, 6 000 m2 de bureaux et 400 emplacements de stationnement pour véhicules motorisés.
La semaine dernière, on apprenait que le collège communal de Mons avait rendu un avis favorable au projet, mais celui-ci est contesté par un millier de personnes signataires d'une pétition portée par le Collectif Cœur Urbain de Mons, remise au collège communal. Une opposition qu'il ne faut pas réduire à un conservatisme bas du front, affirme Étienne Poulet, animateur de ce collectif.
«La plupart de ceux qui s’opposent au projet ne sont pas des anti changement. Tout le monde veut que cet endroit se transforme, mais pas n’importe comment.» Qu’est-ce qui cloche alors dans Nova Mons? Résumé des griefs en 7 péchés.
1.Pas de dialogue
Avant tout, le Collectif déplore un manque de dialogue. Pourtant, il y a eu deux enquêtes publiques. «Mettre une affiche jaune au coin de la rue et dire qu’il y a eu dialogue, c’est grossier et malhonnête, c’est juste une info juridique», rétorque Étienne Poulet.
Si les obligations légales sont respectées, Étienne Poulet estime que vu l’ampleur du projet, inédite à Mons, les autorités communales auraient dû aller au-devant des citoyens. «Ces dossiers sont extrêmement complexes. Si on n’est pas professionnel du bâtiment ou juriste, c’est très compliqué de s’y retrouver». Las, «nous n’avons jamais eu de retour à nos multiples demandes.»
Alors, quand dans le même temps la Ville lance un projet de budget participatif de 160 000€ pour impliquer les citoyens dans la vie de la cité, ça énerve cet architecte… «Nous sommes plusieurs au sein du collectif à avoir des aptitudes professionnelles en matière d’urbanisme et nous ne voulions donner que nos avis, nos conseils. Et ça, c’était gratuit!»

2.Communication laissée au promoteur
En dehors des enquêtes publiques prévues par le cadre légal, la seule communication a été laissée au soin du promoteur. Insuffisant et problématique pour Étienne Poulet.
«Le promoteur va jouer son rôle de vendeur. Tout ce qui sort du promoteur, c’est de la pub. Son but, c’est d’avoir le moins d’ennuis pour obtenir le permis. Et je ne lui jette pas la pierre, c’est normal.»
Et donc, il n’exposera que des vues positives, voire enjolivées du projet. «Certains plans n’ont pas été affichés, parce que la vue est atroce.» Cela marque l’importance selon lui d’une implication de la ville. «Elle aurait pu faire ce que nous avons fait, à savoir une simulation 3D du projet sur Google Earth, avec les cotes exactes des bâtiments. Elle a les outils pour.»
3.Privatisation de l'espace public
Au-delà de la communication, l’essence du projet est problématique pour le collectif, puisque l’on vend de l’espace public, la place Bootle, pour y construire trois immeubles. «Ce n’est pas correct de vendre de l’espace public pour qu’un promoteur en fasse de la spéculation immobilière. Et qu’un pouvoir public contribue à cela cause problème», s’énerve Étienne Poulet.

De son côté, le promoteur affirme que le projet engendrera une augmentation de la surface accessible au public puisqu’en contrepartie, un espace vert ouvert apparaitra entre deux blocs d’immeubles, là où se situe actuellement le bâtiment Belgacom.
La place de Bootle est laide, mais elle est fonctionnelle.
Problème: cet espace n’aura aucune fonction. «Aujourd’hui, on a une place de Bootle qui est laide, mais fonctionnelle. On pourrait se projeter dans le futur pour l’aménager autrement, la rendre plus conviviale, lui trouver de nouveaux usages. Mais dans le projet Nova, on découpe l’espace public de sorte qu’il n’y a plus une surface utilisable pour faire autre chose que circuler. Que voulez-vous faire d’autre sur un terrain en pente, au cheminement en zig-zag entre 2-3 plantes?»

Et la place du marché aux poulets, qui doit être recréée après avoir été effacée dans les années 1950? «Ce ne sera rien d’autre qu’un gros trottoir. Ce ne sera pas un espace fermé, cerné par un front bâti. La Grand-Place, le Marché-aux-Herbes, ce sont des vraies places car ce sont des espaces clos. Ce ne sera pas le cas du Marché aux Poulets, qui sera bordé par une voirie.»

4.Un projet écrasant
Dans la seconde mouture du projet, les immeubles les plus hauts font 7 niveaux, soit un de moins qu’initialement. Une concession qui ne change rien pour les opposants.
«C’est énorme, du temps de l’ancienne place du Marché aux Poulets, on était à du rez + 2 pour les plus grands immeubles.» Vu l’espace réduit entre les différents immeubles et les petites ruelles serpentant le quartier, «il y aura inévitablement un sentiment d’écrasement. Le problème, c’est qu’on n’a pas de références à Mons de bâtiment aussi haut pour se rendre compte de l’effet qu’un tel projet aura.»
Et de dénoncer un projet digne du front de la mer du Nord, «mais sans la mer, ni les mouettes et la Rodenbach.»

5.L'argent-roi
«La ville est un nougat avec ses amandes et ses fruits confits clairement identifiés.» Cette citation est d’Hugues Wilquin, urbaniste, professeur émérite à la Faculté polytechnique de l’UMons et une sacrée référence en matière d’aménagement des villes.
Cela signifie que les éléments symboliques doivent se détacher du tissu urbain, comme les bâtiments institutionnels, les lieux culturels et cultuels… Le reste (l’habitat, les commerces…) constitue le sucre du nougat, étalé et indifférencié. «Tout ne peut pas avoir la même équivalence, ce sont de bonnes règles de pratiques au niveau de la conception urbaine», complète Étienne Poulet.
Dans le projet Nova, ce sucre vient noyer les amandes et fruits confits que sont l’église Sainte-Élisabeth et le gouvernement provincial.
«Si vous mettez des bâtiments privés plus haut que le gouvernement provincial, ça veut dire que la spéculation passe au-dessus de tout. Est-ce le message que l’on veut donner de notre société?»

Considérations philosophiques, pourrait-on rétorquer. «Mais il y a de la philosophie, de la poésie dans la ville… L’architecture en urbanisme fait appel à toutes ces matières, à la sociologie, à la psychologie…»
Les porteurs du projet justifient les gabarits de Nova Mons par la présence d’immeubles déjà haut autour du site. «Il est à tout le moins étrange de mélanger monuments et habitats pour déterminer des gabarits et hauteurs futurs», notait encore Hugues Wilquin.
6.Pas d'étude globale des impacts
Le Collectif Cœur Urbain de Mons déplore également que toute une série d’études n’aient pas été menées pour mesurer l’impact d’un tel projet sur le quartier.
«Il y a des risques qui n’ont pas été évalués», comme en matière de stabilité: «la Commission des monuments et sites n’a pas été interrogée par la Ville alors qu’on va faire un trou de trois niveaux à côté d’un bâtiment classé, l’église Sainte-Élisabeth, qui a déjà des fissures», s’étrangle Étienne Poulet. «C’est nous qui avons dû demander un avis à commission, qu’ils ont remis à travers l’enquête publique. C’est le monde à l’envers!»
Les promoteurs ont appuyé sur la densification urbaine […], mais ce n’est qu’un bout de la lorgnette
Mais également de pointer d’autres paramètres pas suffisamment pris en compte selon notre homme. Quid de l’impact de 6 000 m2 de bureaux sur la mobilité dans un quartier constitué de petites ruelles? De la dizaine de cellules horeca et commerciales sur un centre-ville à la santé fragile? Des gabarits des immeubles sur l’ensoleillement, le vent…?
«Un projet comme ça ne peut pas se résumer à un point. Les promoteurs ont appuyé sur la densification urbaine, ce qui était très intelligent parce que tout le monde est d'accord là-dessus. Mais ce n'est qu'un bout de la lorgnette, il y a plein d'autres paramètres à prendre en compte. Et ça n'a pas été fait.»
7.Pas de vision
Pour Étienne Poulet, ces paramètres oubliés sont la conséquence «d’un manque de vision globale. Sait-on où la ville veut aller en matière d’urbanisme? Aujourd’hui, il y a juste une posture opportuniste, où on dit oui à tout investisseur qui met de l’argent. Mais on n’interroge pas l’intérêt du projet pour la ville, ses habitants et les touristes. Si on propose quelque chose, ça doit être attractif pour tout le monde et pas uniquement pour quelqu’un qui va rentabiliser un investissement, ou pour une ville qui cherche à attirer de nouveaux foyers fiscaux.»
Ce manque de vision s’illustrerait par d’autres projets: Belfius, le projet de kots porté par Eckelmans avenue Maistriau, «où le promoteur a le culot de demander une dérogation sur la taille des espaces de vie.» Ce qui lie ces projets: «la volonté de multiplier les unités de vente pour rentabiliser l’espace au maximum.»
Et de déplorer un manque d’expertise dans le chef des autorités publiques. «Je m’étonne qu’une ville comme Mons ne fasse pas appel à des experts autres que des personnes payées par le promoteur. Normalement, c’est à la ville de payer une étude d’aménagement urbain et on part de cette réflexion pour calibrer les projets de rénovation. Et le promoteur qui veut faire quelque chose doit rentrer dans les clous définis par la ville. C’est le rôle d’une autorité publique.»
L’échevin à l’Urbanisme n’a pas répondu à nos sollicitations.
