Du lion au bord du gouffre: 400 ans d’images de la Belgique au Mundaneum
Quels regards a-t-on porté sur la Belgique au cours des siècles? C’est la question posée dans l’exposition «La Belgique dans tous ses états», à voir au Mundaneum à Mons.
Publié le 01-07-2020 à 19h17
Le lion, Dame Belgique, le Roi, la devise… sont autant de symboles utilisés pour incarner la Belgique. Ces emblèmes sont quelques-uns des éléments que l’on découvre au cours de l’exposition «La Belgique dans tous ses états», qui se tient à partir de ce 1er juillet au Mundaneum.
Une exposition qui ne parle pas de la Belgique et de son histoire, mais de la manière dont le pays est représenté à travers les siècles. 207 documents issus des archives du Mundaneum, de musées et de collections privées ont été sélectionnés pour balayer quatre siècles de mise en image belge. Une représentation qui commence vers le XVIe siècle, avec l’émergence du Leo Belgicus, première grande incarnation du concept de Belgique.
Le Lion, la Dame et le Roi
«Un lion, c’est un félin puissant, un symbole de courage et de force, prompt à repousser l’ennemi et à défendre ses valeurs», décode Éric Van den Abeele, le commissaire de l’exposition. À cette image virile s’adjoint celle de Dame Belgique, son yang, qui incarne «la justice, l’égalité, la douceur, la prospérité. C’est une figure maternante qui sera parfois représentée avec une couronne de tours, illustrant la figure tutélaire des enceintes de nos villes.»
Rapidement, la figure du Roi s’impose également. Elle connaît son heure de gloire avec Albert Ier, «père de la nation et défenseur des libertés. Il est la plus forte adéquation entre un homme et ce qu’il représente.» La devise nationale, l’hymne, les armoiries, le drapeau ou encore la Constitution sont autant d’autres représentations de la Belgique, de marque de patriotisme et d’appel à l’unité nationale.

Ces différents symboles sont mis à différentes sauces suivant l’époque. L’indépendance, la guerre, les poussées nationalistes, la fédéralisation… sont autant de contextes qui insufflent une philosophie différente dans le dessin populaire.
«Il n’y a pas d’épopée esthétique unique de la Belgique, mais une myriade de récits singuliers et de représentations collectives, belles ou laides, selon l’idéologie de l’artiste ou du polémiste ou du point de vue que le lecteur entend privilégier», poursuit Éric Van den Abeele. Dans l’élan de patriotisme suivant la libération, Dame Belgique se libère des chaînes du nazisme, mais devient peu après, sur une affiche électorale en pleine guerre froide, une frêle proie à la merci des communistes.
Diables rouges et précipice
Le choix des images s’est opéré sur plusieurs critères. Outre l’esthétique et la disponibilité, ont été privilégiées celles qui éclairent «leur époque, l’air du temps et le climat ambiant» et qui «expriment le mieux l’intensité dramatique et le vécu de la Belgique en tant qu’entité iconique.» La Belgique qui se bat, qui résiste, qui souffre, mais aussi celle dont on ne veut plus.
Justement, la Belgique aujourd’hui, que veut-on en faire? Les symboles nationaux, autrefois omniprésents, ont disparu pour laisser la place aux Diables rouges ou à rien du tout, comme en témoignent en clôture d’exposition 12 dessins récents de caricaturistes, desquelles émane un sentiment commun: le doute. «En nu?» s’interroge notamment le dessinateur flamand Quirit, une Belgique dessinée au bord d’une cascade…
«La Belgique dans tous ses états», du 1er juillet 2020 au 18 avril 2021, Mundaneum, Mons. www.mundaneum.org.

Éric Van den Abeele, commissaire de l’exposition, n’est pas historien de l’art mais politologue et conseiller au SPF Économie, professeur à l’Université de Mons et à l’IHECS et porte-parole de la Belgique auprès de l’Union européenne.
Durant ses heures de loisirs, il se passionne pour l'art de l'affiche, l'imagerie populaire et la caricature. Collectionneur, il est aussi l'auteur de quatre livres: un dédié aux caricatures de Léopold II, un autre sur les combats socialistes dans l'imagerie populaire, un troisième sur les mystères de la Franc-Maçonnerie révélé dans la caricature et enfin La Belgique dans tous ses états, base de l'exposition présentée ici.
Éric Van den Abeele, que peut nous apprendre cette exposition sur l’histoire de la Belgique?
Généralement, on aborde l’histoire de la Belgique avec la succession des hommes politiques, des idées politiques, les résultats économiques, etc. Ici, ce qui est intéressant, c’est la vision alternative que nous donnent les artistes, une vision iconographique, à un temps donné, et qui renvoie un certain nombre de messages. Avec notre regard d’aujourd’hui, ça nous permet de comprendre les lignes de fracture, les rapports de force qui animent l’époque d’où est tirée l’image.

On sait que la Belgique s’est bâtie sur des tensions philosophiques, entre catholiques, libéraux et socialistes, ou communautaires. Mais peut-être n’a-t-on plus conscience de la violence de ces rapports. Des caricatures, comme celles virulentes à l’égard du clergé à la fin du XIXe siècle, nous permettent de nous le rappeler?
Absolument, c’était beaucoup plus intense. Rappelons qu’entre les libéraux, les catholiques et le Parti Ouvrier Belge, c’est presque une lutte à mort pour avoir le pouvoir. Le POB et le Parti libéral ne vont pas cesser de taper sur l’Église et le Parti catholique de manière très virulente pour déstabiliser ce dernier et grappiller de l’influence. Il faut aussi se rappeler de l’évolution du mode de suffrage. En 1830, c’est le pouvoir censitaire, où il faut disposer d’un capital suffisant pour pouvoir voter. Le vote plural, où un notable a plus de voix qu’un ouvrier, n’apparaît qu’en 1893 et le suffrage universel en 1919 pour les hommes et 1948 pour les femmes.
On remarque que les thématiques abordées il y a plus d’un demi-siècle sont encore d’actualité. Le casse-tête pour la formation d’un gouvernement, la nationalisation de certains pans de l’économie… Le monde n’est qu’un éternel recommencement?
Oui, c’est en effet assez étonnant quand on voit une affiche de 1946 du Parti Communiste qui dit qu’il faut nationaliser les banques et les services publics… Et c’est vrai que le PTB aujourd’hui a un peu ce genre de propos alors que pendant des décennies, ces revendications n’étaient plus entendues. Par un curieux pied de nez, l’histoire ressert les plats et c’est ça qui est intéressant.
Le sentiment d’appartenance n’est plus là et les symboles forts d’union nationale ont laissé place à une forme de critique, sympathique, drôle ou cinglante.
Dans l’exposition, on retrouve une affiche de 1921, clamant que la division de l’armée, c’est la mort du pays. Mais si vous remplacez le mot «armée» par sécurité sociale, vous avez le message suivant: «la division de la sécurité sociale est la mort du pays». En 1921, l’armée est la colonne vertébrale du pays. En 2020, le symbole, c’est la sécu, c’est la santé publique.
Énormément de symboles représentent la Belgique à sa création. En 2020, ils ont disparu. Comment l’expliquer?
Effectivement, c’est un constat auquel je ne m’attendais pas. Dans l’exposition, une caricature du roi Albert, alors au sommet de sa puissance, contient 8 symboles différents: le roi, le drapeau, le beffroi, le perron… Aujourd’hui, il n’y en a plus tout simplement parce que les symboles sont un signe d’appartenance, de ciment. Et aujourd’hui, on est en plein doute. Que pensent les Wallons, Flamands et Bruxellois de la Belgique? Chacun a tendance à se raccrocher à sa communauté et la Belgique est vue comme une belle-mère un peu acariâtre. Ce sentiment d’appartenance n’est plus là et donc les symboles forts d’union nationale ont laissé place à une forme de critique, sympathique, drôle ou cinglante.