Mons: des pavés de mémoire pour personnifier la Shoah
Des élèves de l’Athénée Royal de Mons sont plongés dans les archives communales pour retrouver la trace des juifs montois victimes de l’Holocauste et leur dédier des pavés. Un travail de mémoire contagieux.
Publié le 13-02-2020 à 14h45
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La commémoration du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz fut une nouvelle occasion de se souvenir de l’horreur engendrée par le régime nazi. Pourtant, on a beau en parler, écrire des tonnes d’articles à ce sujet, beaucoup sont ceux qui ne prennent pas la mesure de ce que fut l’Holocauste, les déportations…
«Je vois chaque année des nouveaux élèves qui ne connaissent pas (la Shoah), ou ont une image erronée de ce qui est arrivé», témoigne Marie-Laurence Adyns, professeur d’histoire à l’Athénée Royal de Mons. Sa préfète Françoise Colinia confirme: «J’ai assisté à une leçon où les élèves ne savaient pas ce qu’étaient les mots génocide ou ethnie.»
Or, cette thématique lui tient à cœur. Cet été, elle était à Jérusalem et a visité les lieux dédiés à la mémoire des victimes de la Shoah. «J’ai été bouleversée par ce que j’ai vu et entendu. Comment une telle haine, qui ne repose sur rien, a-t-elle pu se développer?»
Des pavés pour se souvenir
Ayant en tête que la Belgique est le deuxième pays européen où la résurgence de l’antisémitisme serait la plus élevée, elle décide d’agir, contre cette haine bâtie sur l’ignorance. Et elle a un boulevard pour ça: «un athénée où il existe une option histoire.»
Un boulevard à recouvrir de «pavés de mémoire». Soit des pavés recouverts d'une surface en laiton gravée d'informations honorant une victime du nazisme et enfoncés dans le sol. Nés à Berlin, les Stolpersteine ont essaimé dans différents pays, dont la Belgique, où on les trouve à Anvers, Bruxelles, Liège ou Charleroi.
Mais pas encore à Mons. Françoise Colinia propose le projet à sa professeur d’histoire de degré supérieur, qui lance ses élèves sur les traces des familles juives habitant Mons avant la seconde guerre mondiale.
Cap sur les archives
«Mes élèves vont chercher qui étaient ces personnes, ce qu’il leur est arrivé et où elles habitaient à Mons pour ensuite fabriquer un pavé sur lequel seront gravées les informations recueillies: leur identité, leur date de naissance, ce qui leur est arrivé, explique Marie-Laurence Danys. Ces pavés seront ensuite placés devant les maisons où ils vivaient au moment où ils ont été déportés.»
Pour trouver ces informations, les élèves épluchent le registre d’état civil aux archives de la ville de Mons. «On a aussi quelques témoignages via le mémorial de la Shoah Yad Vashem de Jérusalem.» Environ 90 noms de juifs ont été retrouvés dans le registre de la ville. «On se concentre sur le Mons d’avant la fusion des communes», précise l’enseignante.
Au sein de l’Athénée de Mons, le projet s’est développé au-delà du volet historique: d’autres professeurs ont embrayé sur la thématique du devoir de mémoire, en philosophie, en anglais, ou en français.
Savoir, mais aussi ressentir
C’est le cas d’Hélène Debaille. «Dans ma classe de français, j’ai des élèves de l’option histoire et d’autres de l’option arts d’expression. Et je trouvais important de comprendre ce que les gens ont vécu au niveau des émotions, afin de ne pas juste rester dans les grandes lignes de l’Histoire que tout le monde connaît.»
Sa classe s’est donc lancée dans l’écriture d’un recueil de nouvelles «où, par groupes, mes 26 élèves essaient d’imaginer le point de vue de différents protagonistes sur le format de la fiction: il y a des rebondissements, des chutes…»
Le projet d’histoire devient un projet d’établissement et trouve un écho dans d’autres établissements scolaires. Les élèves de l’Athénée Royal de Mons rencontrent ceux de trois écoles bruxelloises (Saint-Boniface, Singelijn second’air et le Lycée français) pour travailler autour de la thématique du génocide, au-delà de la Shoah.
Rencontrer des témoins
«Il y a un brassage d’élèves de 14 à 18 ans, qui viennent de Wallonie, de Bruxelles, sont de confessions différentes… C’est un beau mélange de valeurs et de pédagogie», se réjouit Françoise Colinia

Ces journées de rencontres sont aussi l’occasion d’inviter des témoins à s’exprimer. «ils racontent ce qui est arrivé à leur famille, leurs parents, leurs frères et ce qu’ils ont eux ressenti, en perdant une partie de sa famille dans les camps. Même si on est né après la guerre, on ressent ce passé et on vit encore sous l’influence de ces événements. Faire venir des témoins proches, ça met des visages sur des faits historiques», explique Marie-Laurence Danys.
Et de les rendre concrets auprès des élèves, qui s’y intéressent plus facilement. «À la fin de cette journée de rencontres, je me suis rendu compte que mes élèves trouvaient assez naturel de reparler de tout ça et étaient assez fiers de montrer ce qu’ils avaient appris. Ça vaut vraiment la peine.»
Un projet de longue haleine
Leur travail connaîtra un premier point d’orgue du 27 avril au 1er mai avec un voyage à Izieu (Lyon) pour commémorer la rafle de 44 enfants juifs commandée par Klaus Barbie. La parution du recueil de nouvelles suivra dans la foulée. Il sera édité par une petite maison d’édition montoise (Audace), avec le soutien de la Sowalfin via son projet «Générations entreprenantes».
Enfin la pose des premiers pavés se fera une fois que suffisamment d’informations auront été réunies sur les victimes juives… dans un premier temps.
«Ces pavés de mémoire, ce n’est pas que pour les Juifs, mais aussi pour les homosexuels, les résistants, les opposants… toutes les personnes qui ont été déportées parce qu’elles étaient différentes de ce que l’Allemagne nazie prônait», souligne Françoise Colinia. Le projet «Pavés de mémoire» ne fait que commencer à Mons.