Depuis 40 ans, la Maison Saint-Paul de Mons remet à flot les naufragés de la vie
Créée en 1979, la maison d’accueil Saint-Paul a hébergé près de 10 000 personnes et a vu passer autant de situations de détresse. Reportage dans ce lieu où on essaye de résoudre tous les problèmes de l’humanité.
Publié le 27-03-2019 à 18h47
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Une certaine quiétude se dégage de la maison Saint-Paul, située en bordure du quartier Rachot à Mons. Dans la cour en cette fin de matinée ensoleillée, quelques résidents grillent leur clope pendant que d'autres préparent le repas du midi. «Ce lieu, il est lumineux, il me donne des vitamines», s'exclame Baruani, 32 ans, résidant ici depuis presque 9 mois.
Et pourtant, à la maison Saint-Paul, «nous sommes confrontés à tous les problèmes de l'humanité», sourit sa coordinatrice Lucie Mahieu. Depuis 40 ans la Maison Saint-Paul accueille tous les abîmés de la vie: des SDF, des personnes en proie à une addiction, des détenus en congés pénitentiaires, des électrons libres de la société, des âmes brisées…
Baruani, c'est une séparation difficile avec sa femme et une garde d'enfant au cœur d'une procédure judiciaire qui l'a amené ici. Ayant mal vécu la situation, il se laisse aller, perd son appartement. Ici, il se reconstruit et garde au placard les idées noires. «Seul, je péterais les plombs », craint-il.
De son côté Micky, 19 ans, est en quête d’indépendance et a quitté la maison de sa mère. Ce qu’il veut à terme, c’est réussir son CESS. En attendant, il reprend pied dans cette impasse, qui pour lui et les autres résidents se transforme en nouveau départ.

Une mission
«Tout a démarré en 1978, quand un groupe de jeunes de la région montoise part en retraite à Taizé en France, une destination fort à la mode chez les catholiques à l'époque», raconte Lucie Mahieu. «Ils sont revenus avec une mission: agir pour autrui, mais dans la région.»
Les jeunes veulent créer un lieu de rencontre et tombent sur un lieu peu amène: «une impasse pourrie avec une maison à louer qui venait de brûler, une autre dans un état déplorable… Ils se sont dit que ce devait être un lieu emblématique avec beaucoup de précarité et ils ont créé une maison de quartier.» Elle voit le jour au cœur du quartier Rachot, qui a toujours été un quartier populaire à Mons.
Mais très vite, l'endroit devient centre d'hébergement. «Ils ont remarqué que des gens traînaient et ne savaient pas trop où aller, et leur ont proposé de dormir sur place et c'est parti comme ça.»
Le curé de la paroisse, qui soutenait le projet, prend conscience que l'initiative a besoin d'aide pour se structurer. «À Noël, il lance un appel à la messe de minuit et des gens se sont associés pour venir donner un coup de main, dont Paul Tancré, un ancien directeur de la cokerie Carbo, qui venait de perdre sa femme et a foncé tête baissée dans le projet. C'était quelqu'un de très organisé alors que le curé était un peu bohème. A eux deux, ils ont porté l'ASBL qui est née en 1979 et leur personnalité différente fait que la maison a évolué.»
Une chance à saisir
Pourquoi Saint-Paul? «C'est le nom de la rue. Mais aussi parce que Saint-Paul s'est converti au christianisme au milieu de sa vie, et l'idée ici est de se remettre dans le droit chemin.»
Car si la première mission de l'ASBL est de s'adresser aux plus démunis en leur assurant un logement temporaire, elle fait bien plus: «nous voulons leur permettre de rebondir et leur donner les outils pour cela.» L'accueil est réservé aux hommes majeurs et seuls. Mais il n'y a pas d'autre tri. «Nous voulons donner sa chance à chacun, quels que soient ses antécédents. On accueille vraiment le tout-venant, mais la personne hébergée doit tout faire pour se remettre d'aplomb.»
Pour cela, la maison Saint-Paul a une charte de 11 commandements, à laquelle tant le staff que l’hébergé se doit de souscrire, afin que chacun puisse se reconstruire dans un cadre «sécurisant». L’équipe et chaque résident s’accordent sur un projet personnel en vue de préparer la sortie, qui intervient après un maximum de 9 mois, comme le définit le Code wallon de l’action sociale et de la santé qui régit le fonctionnement des maisons d’accueil subventionnées.
Gérer la sortie
Une sortie qui n'est pas aisée. Si certains retrouvent un logement et un travail, d'autres naviguent d'une maison d'accueil à l'autre. Beaucoup (un tiers) se font expulser, mais c'est rarement à vie. «En 40 ans, on n'a pas vraiment eu de liste noire. Ceux qui se font expulser peuvent revenir s'ils ont pris conscience de leur comportement et s'engagent à changer.»
Pour prévenir au mieux les rechutes une fois sorti de Saint-Paul, le foyer dispose d'un service de guidance post-hébergement. «Ils sont 80 à être suivis et sans aucune limite de temps», note Lucie Mahieu. Ce service apporte une aide précieuse pour des personnes parfois complètement déboussolées.

«Pour certains, tout est compliqué.» Exemple avec les détenus longue durée. «En prison, ils ne font rien, me racontait l'un d'eux. Ils n'ouvrent aucune porte de tout leur séjour, tout se fait par les gardiens. Même une tartine, ils ne la font pas eux-mêmes. Des choses qui nous paraissent anodines sont pour certains insurmontables.»
Que dire alors des démarches administratives de plus en plus lourdes? Le service de guidance est là pour les aider dans leur démarche, mais aussi pour tout coup de main, «comme pour monter des meubles Ikea. Certains anciens pensionnaires restent en contact et aident à l'occasion. Ils deviennent nos sympathisants», sourit Lucie Mahieu.
Aider et dénoncer
Qui, avec les 23 membres de l'équipe Saint-Paul, tente jovialement, sérieusement et inlassablement de redresser ceux qui ont un jour vacillés. «Notre métier, c'est comme un tabouret à trois pattes. On doit être très performant en matière de législation pour rétablir les droits de gens dépassés, on doit l'être sur le plan relationnel pour qu'ils retrouvent du peps et on doit défendre des causes et dénoncer des problématiques sociales pour que les politiques en prennent les mesures.»
Et il y a matière à dénoncer, comme ce chiffre: parmi les personnes hébergées en 2018, 18% avaient des problèmes psychiatriques. Et pas des moindres. « On ne parle plus de dépressions, mais de psychoses, des schizophrènes, des gens qui entendent des voix, qui ont besoin de vrais soins. On voit bien que la psychiatrie a fermé ses lits: ils sont chez nous.»


En quarante ans, la maison Saint-Paul a bien grandi. «Dès le début, nous n'avions pas assez de place», indique Lucie Mahieu. L'ASBL achète donc en 1993 une deuxième maison à la rue de l'Université, à l'entrée de Ghlin. En 2004, le foyer de la rue Saint-Paul et rénové et agrandi. Un an plus tard, l'activité de l'ASBL Résurrection à Flénu, qui gérait un foyer d'accueil, est reprise.
Mais cette dispersion des lits est compliquée à gérer. C’est pourquoi une grande maison a été achetée rue Lescarts, juste derrière le foyer actuel. Celle-ci a été rasée (seule la façade subsiste) pour, d’ici l’an prochain, ouvrir un foyer centralisé de 51 lits.
Outre le service de guidance, l’ASBL gère aussi deux habitats communautaires: un à Nimy et l’autre près de la prison, et où vivent des anciens de la maison qui ne souhaitaient pas retourner dans un logement individuel.

En quarante ans, le monde a beaucoup changé et la Maison Saint-Paul également. Si ses missions de base sont restées les mêmes, la façon de les exercer a pas mal évolué. «Nous sommes beaucoup plus organisés. Avant c'était plus bohème, tandis qu'aujourd'hui nous sommes une vraie institution.»
Une institution plus rigoureuse et plus professionnelle, pour le bien de tous. «Nous nous sommes apaisés. On a un public plus stigmatisé aujourd'hui, mais on a moins de problèmes. Quand j'ai commencé, il y avait souvent des bagarres le soir. Nous étions moins rigoureux et moins dans la communication et ça tournait vite mal. Aujourd'hui, on a appris à désamorcer les situations avant qu'elles ne s'enveniment.»
Et étant donné la part grandissante de malades mentaux qui atterrissent dans les foyers d’accueil, les assistants sociaux se doivent d’être de plus en plus aguerris pour gérer les situations de stress.