Julien Watrin: "Je veux atteindre la finale olympique"
À 30 ans et quelques mois, Julien Watrin a réussi la plus belle compétition de sa carrière. Et l’athlète gaumais ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Publié le 06-03-2023 à 09h04 - Mis à jour le 06-03-2023 à 22h01
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De retour d’Istanbul, Julien Watrin a atterri ce lundi soir, à Bruxelles. Emportant dans ses bagages les deux superbes médailles qu’il a décrochées sur la piste de l’Ataköy Athletics Arena. Et dans sa tête de savoureux souvenirs de sa compétition la plus aboutie jusqu’ici. Quelques heures plus tôt, depuis la salle d’embarquement de l’aéroport d’Istanbul, le sprinter gaumais nous a accordés plusieurs minutes afin de revenir, avec le souci du détail qu’on lui connaît, sur ces exploits qui l’ont élevé au rang des athlètes belges les plus performants actuellement.
Julien, on peut supposer que votre état d’esprit a évolué tout au long de ce championnat d’Europe. Vous confirmez ?
Oui. Je dois dire que j’appréhendais les séries, j’étais même convaincu d’être tombé dans une des pires séries, avec Bonevacia et Petrucciani. De plus, j’étais au couloir 3, ce qui n’est pas l’idéal en indoor.
Et vous n’aviez pas énormément de repères de surcroît ?
Oui et non. Mon dernier 400, à Liévin, ne s’était pas très bien passé (NDLR: 46.86 le 15/2), donc cela crée un peu d’appréhension. Mais d’un autre côté, j’avais fait, un peu avant Istanbul, un entraînement spécifique très proche des conditions de course et il avait été très bon, surtout sur ma fin de course. J’avoue que je m’attendais à plus d’opposition en série. J’étais heureux de l’emporter et d’hériter d’un bon couloir en demi.
Et votre confiance s’est trouvée renforcée ?
Oui, nettement. Néanmoins, je pense que la demi-finale a été la plus contraignante mentalement. Warholm était devant et jusqu’au bout, j’ai craint un retour d’Husillos. J’ai fini fort: 12.3, les cent derniers mètres les plus rapides de tous les demi-finalistes. Et j’envoyais du même coup Husillos dans un mauvais couloir en finale.
Tout en renforçant votre sentiment qu’une médaille était possible ?
Oui, même si en finale, on n’est jamais sûr de rien. Il y a toujours des surprises, des défaillances après trois courses aussi rapprochées. Mais avant le dernier virage, je savais que ça allait bien se passer et je vous avoue que pendant une fraction de seconde, j’ai même cru que j’allais pouvoir dépasser Warholm.
Le plus remarquable, n’est-ce pas cette impression de montée en puissance que vous avez laissée ? On n’a pas perçu la moindre baisse de régime.
Et je le dois à François Gourmet, mon entraîneur. On a su mettre beaucoup plus de contenu dans ma préparation sans détériorer ma vitesse.
Préparation en forme de test en vue des Jeux
Une préparation en forme de test un an avant les Jeux ?
Oui, c’est ça. On s’est dit que si ça ne se passait pas bien à Istanbul, au moins, on ne commettrait plus la même erreur. De toute façon, l’objectif 2023, c’est Budapest (NDLR: les championnats du monde, du 19 au 27 août), pas Istanbul. Ce n’était pas gagné d’avance avec cette préparation car tout le monde ne peut pas encaisser des charges comme ça. J’ai gagné en puissance, par un gros travail de musculation. Et j’ai travaillé mes foulées aussi, pour les adapter davantage aux haies. Elles sont plus longues et plus économes. Et je crois que ça me convient bien. Dernier détail, les spikes. Je cours beaucoup plus avec les carbones, même à l’entraînement. L’an passé, je ne les utilisais qu’en course et c’était parfois dur sur les dernières haies.
On connaît votre perfectionnisme: si vous pouviez revenir en arrière et modifier un détail dans ces championnats, ce serait lequel ?
Je pense que si j’avais disposé des infos que j’ai maintenant, j’aurais attaqué Bengström plus tôt en finale et là, j’aurais peut-être pu aller rechercher Warholm. Mais je n’ai pas le moindre regret. J’aurais pu exploser aussi si j’avais couru de la sorte. Et quand on y repense, l’issue aurait pu être tout autre. Ça se joue à quelques centièmes en série: si je finis 3e, j’hérite d’un mauvais couloir en demi et je ne vais sans doute pas plus loin.
Venons-en au relais. Votre course la plus facile, non ?
C’est exact. J’étais dans le contrôle, j’en ai même gardé sous la pédale, attendant le bon moment pour attaquer, et je surveillais mes arrières grâce à l’écran du stade. Un an plus tôt, à Belgrade, il n’y avait pas d’écran et j’avais toujours peur que ça revienne. J’avais ainsi gaspillé pas mal d’énergie en série.
"Quatrième relayeur ? Oui, c’est une fierté"
Vous étiez cette fois le dernier relayeur, c’est une fierté supplémentaire ?
Oui, bien sûr. Kevin qui me transmet le témoin, c’est spécial. Jacques Borlée a été très élogieux envers moi en privé. Il m’a confié que lorsque je réussis mes 300 premiers mètres comme je dois le faire, alors personne ne peut aller me rechercher. C’est touchant d’entendre ça. Par ailleurs, en courant en 4e position, j’ai ressenti moins de pression que lorsque je prenais le départ, là où on n’est jamais à l’abri d’une bousculade comme Dylan a failli en être la victime. J’étais même surpris d’être si bien placé, je voyais l’Espagnol devant moi qui forçait et je savais que j’allais gagner si je ne faisais pas le con. J’ai assuré.
Prague 2015, Amsterdam 2016, Glasgow 2019, Belgrade 2022, Istanbul 2023 : laquelle de ces victoires avec le relais était la plus belle pour vous ?
Prague, je pense. Parce que c’était la première, avec un record d’Europe à la clé. Alors qu’on avait été repêchés au dernier moment. On avait d’ailleurs déjà entamé notre préparation pour la saison d’été. En outre, je me souviens qu’on avait particulièrement bien fêté ce succès (rires).
Et si on vous avait dit alors que vous pourriez afficher un tel palmarès aujourd’hui…
Je ne l’aurais pas cru. Maintenant, je n’ai jamais trop réfléchi à long terme, j’ai toujours songé à progresser par petits pas. Mais j’espérais néanmoins une finale européenne sur 400 m individuel. Quand je suis passé sur cette distance, mes progrès étaient rapides et forcément très encourageants. Mais à Amsterdam, en 2016, ça s’est arrêté en demi. Je me suis rendu compte que c’était plus compliqué que prévu de gagner des centièmes. Cependant, après ces médailles obtenues à Istanbul, je peux vous confier qu’on a refixé des objectifs…
"Je dois gagner cinq dixièmes sur 400 haies"
On se doute qu’il s’agit de Paris…
Je veux atteindre la finale olympique sur 400 haies, en effet. Il faudra être fort pour bien encaisser les courses qualificatives et ne pas se trouer lors de l’apothéose.
Et les Mondiaux de Budapest cette année ?
Pareil, je veux aussi me hisser en finale. Je dois gagner cinq dixièmes, me rapprocher au maximum des 48 secondes.
À propos de chrono, celui que vous avez réussi en salle samedi est plus rapide que votre record en plein air (45.56). C’est assez fou, non ?
C’est un peu illogique en effet. Mais pas totalement anormal non plus, car je n’ai jamais couru un 400 en plein air dans un état de forme et de fraîcheur comme celui qui était le mien ce dernier week-end. En plein air, et dans de bonnes conditions, je me sens désormais capable de descendre sous les 45 secondes.
Accueilli comme un roi
Un dernier mot sur cette reconnaissance que vous recevez désormais dans tout le pays. Vous la percevez davantage ?
Je ne sais pas trop quoi vous répondre car durant une compétition, j’essaie de me détacher au maximum de ce qui se passe à l’extérieur. Et là, je vais seulement commencer à lire les nombreux messages que j’ai reçus. Maintenant, en interne, au sein de la délégation, je dois dire que j’ai été quasiment accueilli comme un roi après ma médaille. J’en étais presque gêné. Et j’étais surtout très ému de voir François (Gourmet) aussi heureux. Quand nous nous sommes retrouvés après la finale, c’était un moment très intense sur le plan émotionnel. Un soulagement après ce qu’on a vécu.
C’est-à-dire ?
Ces difficultés à franchir la dernière étape. À Belgrade, l’an passé, je m’arrête en demi alors que j’avais si bien couru en série. À Münich, j’espérais le podium, mais j’ai dû me contenter de la 6e place. On a beau se sentir fort, avoir le niveau, on n’est jamais sûr de rien.
Il a passé et réussi six examens universitaires en janvier
L’exploit stambouliote de Julien Watrin apparaît encore plus beau lorsqu’on apprend qu’il a dû se farcir, durant quinze jours en janvier, une session comprenant six examens universitaires. Et qu’il les a tous réussis. «Je suis parallèlement un certificat en philosophie et un master en sociologie et anthropologie, rappelle le natif de Chenois, déjà détenteur d’un diplôme d’ingénieur industriel. Je n’ai pas travaillé comme un fou pendant la session, je le fais plutôt avant, je lis énormément. Ce ne serait vraiment pas idéal pour moi de sacrifier des entraînements ou de perdre des heures de sommeil pendant une session d’examens. Dès lors, je m’organise. Et c’est tellement chouette quand on termine…» Logiquement, il devrait décrocher ses diplômes en juin 2024. «Mais j’ai aussi un mémoire à rendre et il y a les Jeux cette année-là. Peut-être que je le reporterai, on verra.»