Bagarres à répétition autour des terrains de sports : «Ce n’est pas un hasard», dit un sociologue du sport
Que d’incidents autour de nos terrains de sport ces derniers temps. Nous avons interrogé un sociologue du sport à ce sujet.
Publié le 19-05-2022 à 12h59 - Mis à jour le 20-05-2022 à 09h43
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Ça n’en finit plus! Les incidents sérieux autour des terrains de sport se multiplient ces derniers jours. Bagarre après le match de foot Virton – Seraing en espoirs, échauffourées après Meix – Ethe, matches du tour final des réserves sous protection policière, bagarre aussi dans les tribunes lors des finales de Coupe de la province en foot en salle, pugilat au tennis à Marche, rencontre de basket perturbée par les supporters carolos à Neufchâteau et, hier encore, un match de foot en salle qui se termine dans la confusion la plus totale à Libramont. Tout ça en moins de quinze jours. Quelques semaines plus tôt, une rencontre de 3eprovinciale entre Toernich et Martelange avait également été marquée par des échanges de coups en tribune. N’en jetez plus, la coupe est pleine!
Autant de faits déplorables qui se répètent en peu de temps, cela peut-il relever de la simple coïncidence? Ou faut-il voir là la conséquence inévitable d’une violence, autant verbale que physique, qui se banalise dans un monde qui décidément ne tourne plus très rond? Ou plutôt les effets néfastes de ces longues périodes d’isolement qu’a imposées le Covid? Nous avons posé la question à Jean-Michel De Waele, professeur de science politique à l’ULB et sociologue du sport.
Jean-Michel DeWaele, en tant que sociologue du sport, pensez-vous qu’on puisse parler de simple coïncidence en observant tous ces incidents qui se sont multipliés en province de Luxembourg ces derniers jours?
Non. Sept ou huit en si peu de temps, c’est beaucoup pour une seule province et ce n’est pas un hasard. On en a vu beaucoup ailleurs aussi. En ProLeague, avec les supporters du Beerschot, de l’Antwerp ou ceux du Standard très remontés envers leur direction.
Le fait de «lions» qui seraient restés trop longtemps en cage durant la période Covid?
C’est vrai que ça arrive après le Covid, mais encore faudrait-il pouvoir démontrer le lien. Sur un plan plus global, avec le Covid, les soucis liés au pouvoir d’achat et d’autres problèmes, il y a une violence et une dureté sociale qui se sont développées. Je le constate même à l’université, dans la dureté des rapports étudiants – professeurs. Vous le voyez aussi tous les jours dans les transports en commun ou sur les routes. On sent cette colère qui grandit. Et le foot, le sport en général, est un reflet de la société.
La violence est physique dans les cas cités plus haut, et sans doute favorisée aussi par l’alcool et le sang chaud de certains, mais n’est-elle pas surtout verbale, sur les réseaux sociaux notamment?
En fait, la violence verbale précède très souvent la violence physique. Il ne faut pas croire que des gens qui écrivent des propos très durs sur les réseaux vont s’en contenter. Cela ne les empêchera pas d’aller taper sur quelqu’un ensuite.
Même de bons pères de famille
On ne peut tout de même pas comparer cela au hooliganisme des années 70 ou 80, quand certains venaient au foot avec la ferme et l’unique intention de se battre. Ici, on a le sentiment que ça peut se produire dans plein d’autres circonstances, on se trompe?
C’est tout à fait ça. Même s’il existe encore des bandes organisées qui viennent pour se battre, ce sont parfois de bons pères de famille qui en viennent aux mains. Et quand vous me dites que c’est arrivé aussi à un match de tennis, je ne suis pas étonné. Je ne serais d’ailleurs pas surpris si des incidents du genre devaient survenir à l’avenir à Roland-Garros ou à Wimbledon. Les gens arrivent au foot, au basket ou ailleurs remplis de colère.
Qu’est-ce qui génère cette colère?
Nous vivons dans un monde qui bouge, qui évolue très vite, au sein duquel les gens ont du mal à s’adapter et c’est anxiogène. Ajoutez-y la pandémie, les guerres, les soucis climatiques, économiques et vous avez de moins de moins de rêves. Et surtout vous avez du mal à trouver les interlocuteurs à qui exprimer vos plaintes. Vous voulez vous renseigner, chercher une explication au téléphone et vous tombez sur des robots qui vous disent de taper 1 ou 2. Cette déshumanisation crée une colère car les gens ont l’impression de se faire avoir en permanence. Et cette colère, certains la transposent au stade. Où il suffit parfois d’une petite étincelle. Le souci, c’est que dans le sport amateur, on prend évidemment moins de précautions pour la sécurité que dans des matches de foot professionnel. On ne peut quand même pas mettre un combi de police devant chaque terrain ou salle de sport.
Difficile de se montrer optimiste devant un tel tableau et de trouver des solutions?
Effectivement. Mais je crois qu’il appartient à tous ceux qui le peuvent, aux médias notamment, d’élever le débat, d’encourager les gens à relativiser. Allez, je vous donne un simple exemple: la question de la haie d’honneur des joueurs anderlechtois à Bruges ce prochain dimanche. Elle fait débat et attise du même coup la haine entre supporters. Mais cela ne devrait même pas être évoqué. Encourageons tout simplement le fair-play et la tradition dans ce cas. Je suis supporter de Bruges, mais j’affirmerais la même chose dans le cas inverse.