Juliette Gillardin, l'une des premières conductrices de bus de la STIB, vit à Rouvroy (vidéo)
Juliette Gillardin, 98 ans, passe sa retraite au sein du home de Rouvroy. Originaire de Virton, elle a travaillé durant plusieurs années pour la STIB en tant que conductrice de bus. C’était d’ailleurs l’une des premières femmes à occuper ce poste.
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Publié le 24-02-2023 à 06h00 - Mis à jour le 24-02-2023 à 09h09
Confortablement installée dans son fauteuil, Juliette Gillardin contemple le jardin de la Maison de la Sainte Famille à Rouvroy. Depuis décembre dernier, c’est ici qu’elle vit. Du haut de ses 98 ans, elle tente de se souvenir de sa vie d’avant. Une femme discrète, dure avec elle-même, mais dotée d’un humour intact. "Je ne vois plus très bien, mais vous m’avez l’air d’être un très beau jeune homme !", lance-t-elle d’emblée à Claudy Petit, notre photographe de 50 ans accomplis. Pendant près d’une heure trente, Juliette va nous parler d’elle. De sa vie d’avant, sa passion pour son métier, et de ses poèmes qu’elle récite depuis des décennies avec une fidélité exemplaire.
Malgré les quelques difficultés pour communiquer causées par son grand âge et son problème de surdité ; elle se livre à nous sans problème. "Je suis originaire de Virton, mais j’ai déménagé à Bruxelles. Pourquoi ? Car j’ai suivi mon mari de l’époque. Je suis arrivée à la STIB où j’ai d’abord travaillé dans les bureaux. C’est un métier que j’ai beaucoup aimé", nous explique-t-elle. Difficile pour elle de nous donner avec exactitude les dates de son passage au sein de la société des transports intercommunaux de Bruxelles. Mais selon ses proches, cela remonterait, au minimum, au début des années 60. C’est d’ailleurs à cette époque-là que son patron lui fit une proposition étonnante. "Un jour, il m’a convoquée et m’a dit que j’allais conduire un bus. Je l’ai regardé avec de grands yeux, car je ne savais même pas conduire une voiture. Et puis, j’ai appris. Je pense que je me débrouillais bien", ajoute Juliette Gillardin.
Faire face aux hommes
Dans sa chambre, on peut d’ailleurs admirer tout un tas d’affiches et de photos. Sur celles-ci, on peut y voir Juliette revêtue d’un uniforme de la STIB et coiffée d’un képi officiel bleu clair. Une femme dans un milieu d’hommes, à l’époque, cela faisait jaser… "Oh oui, au début on me regardait de travers. On me jugeait. On m’a dit qu’une femme n’avait pas sa place dans un bus. Mais j’avais mon petit caractère. Et je pense que c’est cela qui m’a aidé à me faire cette place. J’étais la première femme à occuper ce poste", assure-t-elle. Même si les souvenirs deviennent flous avec le temps, Juliette se souvient de quelques détails. Son trajet préféré ? La ligne 20 qui reliait, selon elle, la bourse au cimetière de Bruxelles. Et lorsqu’on lui demande si elle appréciait le paysage, elle répond sans hésitation: "On n’avait pas le temps de regarder le paysage, surtout quand on conduit des vivants", s’exclame-t-elle, interloquée par notre question. Juliette Gillardin nous pointe alors la une du "Métropole", un quotidien aujourd’hui disparu, sur laquelle on peut la voir au volant d’un autobus avec la mention "à travail égal, salaire égal". Car, sans surprise, les femmes étaient moins bien payées que les hommes. "Cela a été mon combat. J’ai toujours milité pour cela. Mais on voit qu’aujourd’hui ce n’est pas toujours le cas", soupire-t-elle.
Une conduite calme et sécurisée
Les minutes passent, les discussions s’intensifient et les souvenirs s’éclaircissent un peu plus. Cette fois, c’est une anecdote qui refait surface. Une petite histoire qu’elle nous raconte avec un sourire aux lèvres. "Un autre jour, j’ai été à nouveau convoquée dans le bureau de mon patron. J’avais peur, je pensais qu’on allait me passer une savonnette. Et là, mon chef m’explique qu’il a reçu un courrier d’un usager. Dans cette lettre, un homme a expliqué à mon chef que cela faisait des années qu’il n’avait plus réussi à lire son journal tranquillement, sans être secoué. Il tenait à me remercier pour cela. J’ai été très touchée, mais aussi soulagée", rit la prudente conductrice.
Son retour à Virton remonte, visiblement, à 1985. Aujourd’hui veuve et séparée de sa fille, décédée voici quelques années, elle peut néanmoins compter sur des visites régulières de quelques ami(e) s de la région, notamment Catherine Maljean, sa pédicure depuis plus de 15 ans, mais aussi Arthur Claudy, Michèle Lambert, Annick Vandeput et Nicole. "J’ai beaucoup de chance, je suis bien entourée. On s’occupe très bien de moi", dit-elle en jetant un coup d’œil à Catherine et Michèle qui écoutent notre interview dans un coin de la chambre. Juliette nous confiera encore une petite anecdote avant de nous quitter. "Mon mari tenait à ce que mes souliers soient parfaitement cirés pour que j’aille travailler. C’est même lui qui le faisait à ma place. Vous vous rendez compte ? C’est la première fois que j’en parle. Que dirait-il en m’écoutant", termine-t-elle avec des yeux fatigués. C’était le signal qu’il nous fallait pour laisser Juliette se reposer. Elle qui fêtera ses 99 ans le 7 juillet prochain…
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