«Je ne serais pas surpris qu’on construise une tour de 2 km de haut»
Jean-Marie Cremer, si vous deviez ressortir de vos souvenirs, celui qui vous a particulièrement marqué, que privilégieriez-vous?
Publié le 11-01-2017 à 05h00
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Sans aucune contestation, la réalisation du viaduc de Millau, qui a tellement contribué à la notoriété internationale de notre bureau. L’ouvrage exceptionnel (NDLR: un viaduc de 2 460 mètres, de 50 000 tonnes d’acier, à 280 mètres au-dessus du Tarn, dans des conditions géographiques et climatiques extrêmement sévères), d’une ampleur sans précédent, d’une complexité inédite a provoqué dans nos équipes un stress énorme et une satisfaction incommensurable.
Quelle est votre vision de l’évolution de votre métier dans les prochaines décennies?
Le métier ne va plus beaucoup changer, mais les outils qui vont permettre la création de réalisations de plus en plus complexes seront de plus en plus incroyables. J’ai débuté ma carrière sur une règle à calcul. En 1975 la calculette est apparue, puis des embryons d’ordinateurs ont commencé à nous aider. Le développement futur de ces ordinateurs permettra de faire des choses folles. Les règles de stabilité sont les mêmes depuis la nuit des temps et les matériaux existants sont d’une résistance extraordinaire avec un poids de plus en plus léger. La tour la plus haute du monde, celle de Burj Khalifa à Dubaï, culmine à 829 mètres et compte 163 étages. Plusieurs pays construisent aujourd’hui des tours de plus de 1 000 mètres de haut. Je ne serais pas surpris si la folie des hommes érige une tour de 2 km de haut. Techniquement, c’est tout à fait réalisable.
Quels seraient les conseils que vous donneriez à un jeune qui rêve de grands projets et qui voudrait se lancer dans votre activité?
L’Europe occidentale manque cruellement d’ingénieurs. Ces deux dernières décennies, la filière des études scientifiques a pris une connotation négative et a été désertée au détriment des carrières sociologiques. Embrasser la carrière d’ingénieur, c’est la garantie d’exercer un métier passionnant. Mais il est vrai que cela demande beaucoup de travail non seulement pendant les études, mais aussi pendant toute sa vie professionnelle. La génération actuelle reproche à la mienne, à juste titre, de ne pas avoir tenu compte de l’aspect environnemental dans nos réalisations. Nous avons basé notre réussite sur la rigueur et le beau. Les générations futures devront garder ces deux piliers en y ajoutant un troisième, celui de la protection de la planète. Ce sera une aventure passionnante.
Vous êtes né à Cherain, un petit village de la province de Luxembourg, mais vous avez fait votre carrière à Liège en voyageant beaucoup à l’étranger. Quelle est votre vision de la province de vos racines?
À Liège, dans ma province d’adoption, je ressens beaucoup de négativisme. Dans celle de mes racines, je trouve qu’il y a beaucoup plus d’optimisme, que le monde politique et décisionnel luxembourgeois a une plus grande capacité de trouver des consensus et de faire l’unanimité dans la défense des intérêts du Luxembourg. Cet état d’esprit constitue une chance pour cette province dont le reste de la Belgique a trop souvent tendance à oublier qu’elle existe.