Pour lui, la justice va dans le mauvais sens
Juge de paix de Bastogne et Neufchâteau retraité depuis août, Jacques Poquette livre une analyse pessimiste de l’évolution de la justice.
Publié le 13-10-2018 à 06h00
Devenu juge de paix en 1991 du canton de Bastogne, Jacques Poquette a aussi hérité de Neufchâteau par la suite. Depuis le 31 août, il a tourné la page en prenant une retraite bien méritée. «J'ai toujours aimé ce que je faisais, que ce soit comme avocat, substitut puis juge de paix, je n'ai jamais connu de lassitude, confie le concerné. Je suis parti dans le même état d'esprit.» Satisfait du devoir accompli, Jacques Poquette n'en est pas moins déçu des dernières réformes et de celle à venir: «La réforme du ministre Geens en 2013, 2014, qui a décidé de faire des économies a frappé de plein fouet le secteur. Et une nouvelle réforme va entrer en vigueur le 1er décembre 2018. Elle va supprimer la dualité des cantons, à l'image de Neufchâteau et Bastogne qui étaient associés et vont redevenir autonomes. Conséquence, en plus de Bastogne, Vaux, Sainte-Ode et Bertogne, le canton de Bastogne va couvrir Léglise, Fauvillers, Martelange, Houffalize, Gouvy et Vielsalm. Cela passe par la volonté de faire à nouveau des économies. D'ailleurs, on va passer de six juges de paix dans la province à cinq. Et ils vont devoir gérer plus de compétences. Par exemple, le plafond des litiges financiers à traiter va passer de 2 500€ à 5 000€. Il y a donc de moins en moins de moyens et de plus en plus de responsabilité, c'est compliqué car il n'y a aucune petite affaire en tant que juge de paix.»
«Je suis déçu pour la province»
L'ancien juge de paix déplore donc l'évolution de la justice. «Pour la province de Luxembourg, oui je suis franchement déçu, confirme-t-il. Le ministre de la justice est brillant, intelligent et un excellent gestionnaire, mais en tant qu'ancien magistrat qui connaît mon canton et la proximité ainsi que la disponibilité qu'un juge de paix doit avoir, c'est compliqué. La diminution de la disponibilité va engendrer des contacts moins bons, plus formels. Puis la justice devient de plus en plus onéreuse.
Le fait que le bon fonctionnement de la justice de paix soit maintenant géré par le management et plus par les greffiers en chef, je ne vois pas non plus ce que ça a apporté de positif chez nous. Mais le problème est que le juge de paix a son devoir de réserve. Et au niveau de l’accès à la presse, c’est le chef de corps qui fait autorité au-dessus du juge de paix.
Enfin, les juges de paix peuvent maintenant être affectés dans différentes zones, cela nuit à la connaissance du terrain et des sensibilités. L’Ardennais de Bastogne n’est pas comme l’Ardennais de Libramont.»
Jacques Poquette regrette également le peu de candidats intéressés par cette fonction en province de Luxembourg, «une fois la Barrière de Champlon passée», alors que le métier est passionnant. «Il y a beaucoup de diversité et on est proche des gens, explique le retraité, qui vit dans la commune de Vaux-sur-Sûre. On doit régler des litiges, parfois gérer les biens des gens malades ou en difficultés, etc. C'est un travail social énorme.»
Pour lui, difficile de sortir une affaire dans le lot de ces 27 années: «Toutes les affaires sont importantes car cela touche les gens dans leur quotidien, comme lorsque quelqu'un perd son emploi et ne sait plus payer, ce sont des affaires marquantes. Et cela ne se règle pas en un claquement de doigts. Je citerais quand même les dossiers d'expropriation pour les zonings de Bastogne et Longlier. Ce sont des procédures importantes, alors, que, rappelons-le, le juge de paix fonctionne seul.
Mais il n'y a pas de sensationnel en justice de paix. Le sensationnel est que les gens sont touchés directement. D'où l'importance de cette fonction. »
Une fonction qu’il a occupée avec sérieux, rigueur et cœur durant près de trois décennies.