«Avoir un bon copain…»
Le texte de la carte en rend compte: une amitié forte lie le jeune Armand à Édouard. Armand est en pension au séminaire de Bastogne et son correspondant, Édouard, est logé à la même enseigne; mais lui, il est à Neufchâteau.
- Publié le 08-08-2018 à 06h00
Au dire d’Armand, on serait quand même mieux à Bastogne; entre autres parce qu’on y fait plus de promenades.
La promenade, c’est bien peu de chose, ça n’a l’air de rien pour nous qui regardons de loin, mais c’est pourtant un grand moment dans la vie des pensionnaires des établissements religieux d’autrefois. Effectuée hors les murs, selon un rituel sévère, elle est une manière de cérémonie, riche d’enseignements. Au point de constituer un motif d’inspiration qu’on retrouve dans la peinture, dans les romans puis au cinéma. Ou même dans la chanson.
Maxime Le Forestier en a une délicieuse dans son répertoire… Intitulée Fontenay-aux-Roses, écrite par Jean-Pierre Kernoa, elle raconte la promenade d'un pensionnat de jeunes filles du point de vue d'un observateur attentif. Il narre le beau spectacle et les pensées qui lui viennent… Et il y a tout au long de la chanson un jeu sur le mot vous, qui peut désigner tantôt une, tantôt plusieurs personnes. Un jeu subtil seulement dévoilé tout à la fin.
Une autre chose qu’Armand goûte au séminaire de Bastogne, c’est le théâtre.
«Hier on a joué […] une pièce magnifique: Le petit Jacques…», dit-il. Mais Armand était-il acteur ou seulement spectateur? On ne sait pas; le «on a joué» ne permet pas de trancher. Toujours est-il qu'il a vraiment aimé puisqu'il use de l'adjectif magnifique – rien de moins! – pour qualifier la pièce.
Armand, c’est certain, a la fibre littéraire. Ça se voit aussi à la qualité de son vocabulaire, au choix de ses tournures de phrase.
Au début de la carte, pour s’excuser de son retard à répondre à son ami, d’abord il met le paquet: l’ensemble du texte fait quinze lignes et la présentation de ses excuses en compte plus de cinq. Il y va fort… mais tout en douceur! Il y a la quantité mais aussi la qualité.
Quelle forme donne-t-il à l'impératif du verbe vouloir?
Au «veux-tu bien…» heurté, sec, autoritaire, il préfère le «veuille bien…», plus délicat, plus fluide, plus distingué. C’est l’expression d’un vœu; pas d’une volonté. Il propose, il ne commande pas.
Et il marque encore sa délicatesse à la fin, dans sa manière d'employer le verbe aimer.
La grammaire, au chapitre des sentiments, sait se montrer souple. Elle permet d'aimer directement (faire ceci ou cela); ou elle nuance le passage à l'action en mettant tantôt la préposition de, tantôt la préposition à. Armand, lui, a une dilection pour le à.
Il a aussi un sens aigu, précis, de la ponctuation. Et il aime la calligraphie: les pleins, les déliés, une petite boucle par-ci par-là… Mais jamais rien de trop!
Rien qui pèse ou qui pose…