La Belgique joyeuse d’Alain Bertrand
Dans «Jardin botanique», Alain Bertrandpromène son jeune héros dans une Belgique d’antan pleine de saveurs. C’est à la fois tendre et truculent.<
Publié le 19-12-2013 à 06h00
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Avec les tubercules de pommes de terre qui envahissent la couverture et son titre qui, d'ailleurs, fait autant référence à sa capitale qu'à sa variété, Jardin botanique, le dernier-né d'Alain Bertrand, est avant tout un livre sur la Belgique, ce «confetti déchiré en deux par une ligne appelée frontière linguistique». Un pays auquel le narrateur, qui pourrait bien être l'auteur lui-même, est viscéralement attaché, joyeusement écartelé entre ses origines, au nord (Alain Bertrand est né à Gand), le Bruxelles de ses études, le circuit de Spa-Francorchamps où, gamin, il saluera Jacky Ickx et cette Ardenne, terre de villégiature (où l'auteur vit et enseigne).
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'auteur a préféré la géographie à la chronologie pour la succession des chapitres, qui sont autant de nouvelles que l'on pourrait lire indépendamment, et ici dans le désordre. Jardin botanique, suite de «chroniques romanesques», s'ouvre ainsi sur la cour assidue du narrateur à la jeune Chantal, alors qu'il étudie à Bruxelles, et prend fin face à la mer du Nord jusqu'où le narrateur, alors adolescent en pension dans un collège catholique, a filé le sévère abbé Romuald pour découvrir son émouvant secret. Entre les deux, le lecteur le croisera aussi en bébé aventureux et en gamin fou de voitures de course.
« Un roman en étoiles »
De son aveu, Alain Bertrand a conçu Jardin botanique comme «un roman en étoiles», dans lequel on mange des patates au lard, des carbonades flamandes ou des boulets à la liégeoise; où l'on boit de l'Orval, de la Grimbergen et bien sûr, de la Jupiler. Ode à la Belgique, l'œuvre en célèbre avant tout «l'identité mouvante, dynamique et toujours ouverte sur l'avenir». «D'ailleurs, glisse Alain Bertrand, ce Belge de partout, mon identité, ce n'est pas un noyau de prune, mais un millefeuille. J'ai une dimension flamande par ma naissance. J'ai vécu et étudié à Bruxelles et j'habite depuis longtemps en Ardenne.»
Jardin botanique, comme avant lui En province, parvient à ressusciter une Belgique d'avant le fédéralisme, celle d'Eddy Merckx, du Journal de Tintin et des Renault 4. Alain Bertrand excelle d'ailleurs une fois encore à jouer de la nostalgie comme on patine amoureusement un bon vieux meuble, conférant à nos souvenirs une dimension merveilleuse sans pour autant cultiver un vain passéisme. Chez l'auteur, ce n'était pas mieux – ni moins bien, d'ailleurs – avant, mais ç'a été, et c'est bien cela qui importe et nous nourrit.
On se régale évidemment des mésaventures du jeune narrateur, contées avec gourmandise par celui qui, d’une façon ou d’une autre, en a été, sinon le modèle, au moins le témoin. Alain Bertrand se remémore ces émotions-là, comme il se souvient de la lumière, des sons et des odeurs, et sa plume jubile quand elle les caresse non sans une tendre ironie.
Gourmandise, écrivions-nous. «Je conçois la littérature comme un plaisir de bouche, comme on savoure un morceau de chocolat ou une bonne bière. Quelque chose de sensuel, de palpable, d'organique.» Quelque chose de flamand, aussi, une verve volontiers comique sans être grotesque, opulente sans être lourde. Comme l'est cette appétissante jeune voisine surnommée Bintje, «le sourire comestible, la chair drue», qui «sentait la femme et la purée».
Alain Bertrand aurait-il d'ailleurs pu imaginer son Jardin botanique sans quelques belges pommes de terre?
« Jardin botanique », par Alain Bertrand, Le Castor Astral (Escales des lettres) 152 pages. 13 €