La si jolie fermette d’Alain Bertrand
Comme celui du «Lait de la terre», le héros d’«Une si jolie fermette», dernier né d’Alain Bertrand, découvre le charme, mais aussi les réalités de l’Ardenne.
Publié le 28-12-2012 à 07h00
:focal(545x499.5:555x489.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BGW3B6KIJRCGPHT5RUMZVYZFKA.jpg)
l y a toujours un peu d’Alain Bertrand dans les personnages de ses romans. Parce qu’ils sont généralement enseignants, comme l’auteur, et qu’ils aiment l’Ardenne, qu’ils ont découverte après avoir émigré, arrivés ici pour enseigner, justement. Adorablement candides, d’une naïveté désarmante, un peu «bobos» sur les bords du fumier. Et si Alain Bertrand les décrit et les comprend aussi bien, c’est sans doute parce que ce Bastognard d’adoption fut naguère l’un d’eux.
Il y a donc encore un peu d'Alain Bertrand dans le héros d'Une si jolie fermette, court récit paru cet automne et que l'auteur associe volontiers à son prédécesseur, Le Lait de la terre, sorti chez Weyrich au printemps. Le récit est cette fois à la première personne et ce «je» incarne sans doute le souvenir d'un jeune Alain Bertrand fraîchement débarqué de Bruxelles, comme il renvoie au personnage de Charles, héros du Lait de la terre. Ce n'est donc pas un hasard si Alain Bertrand parle de son dernier né comme du «petit frère» de son roman précédent. Son frère de lait, en quelque sorte.
«Quand je suis venu vivre en Ardenne, il y a maintenant longtemps, je quittais la capitale pour une terre de vacances, glisse l'écrivain. J'avais laissé mes amis pour mon travail et je croyais que, culturellement, j'allais m'enterrer. Voilà aussi pourquoi je peux comprendre, et donc me moquer gentiment des bobos.»
« Je voulais rendre compte du drame paysan »
Ainsi, la «si jolie fermette» que ce jeune prof va tenter de domestiquer n'est autre que l'idée que se font les citadins de la vie à la campagne. Dans ses murs et ses tuyauteries vibre une Ardenne fantasmée. La réalité, c'est le gel qui dézingue brutalement la plomberie et, d'un coup pour le jeune héros, tous les clichés liés à la vie aux champs. «Comme ceux que véhicule une émission comme "L'Amour est dans le pré", analyse Alain Bertrand. À l'école, certains de mes élèves sont fils d'agriculteurs et j'ai appris à les écouter, pour essayer de mieux comprendre les réalités économiques auxquelles ils se trouvent confrontés. Je me souviens avoir assisté à un échange entre des cultivateurs et la ministre de l'Agriculture d'alors, à la foire de Libramont. D'un côté, il y avait la terre, de l'autre était le verbe.»
De cette expérience, et de ses conversations avec ces fils d'agriculteurs, Alain Bertrand concevra Le Lait de la terre, qui narre le coup de foudre d'un enseignant de la ville venu s'établir en Ardenne pour une fermière à la chevelure roux flamboyant et à la peau blanche comme le lait, figurant la terre nourricière, sur fond de crise du lait. «Je voulais aussi que mon roman rende compte du drame paysan d'aujourd'hui. Donner une forme littéraire à une revendication légitime.»
Dans Le Lait de la terre, Alain Bertrand, en bonne «plume du coq» (une collection dont il est d'ailleurs codirecteur, chez Weyrich), exprimait avec une certaine empathie le désarroi du monde agricole. Ne se privant pas de tailler au passage un costard au bio à tout prix que le tourisme et l'agroalimentaire promeuvent à tout bout de champ au nom du sacro-saint terroir.
Dans Une si jolie fermette, qui tient davantage de la – longue – nouvelle, on parle moins de lait et d'agriculture, mais toujours de désir et davantage d'enseignement et de plomberie. Surtout, on rit tout autant avec l'auteur, qui s'amuse avec tendresse de son sujet comme de la langue dont il joue en virtuose, en amoureux qu'il est de la prose et de la fantaisie d'Alexandre Vialatte.
Et c’est d’ailleurs ainsi qu’une fois encore, Alain Bertrand est grand.
« Une si jolie fermette », par Alain Bertrand, illustrations de Daniel Casanave, 63 pages, éditions Finitude
« Le Lait de la terre », par Alain Bertrand, 156 pages, collection « Plumes du coq », éditions Weyrich