VIDEO | La magistrate Sarah Pollet, ex-avocate de Michelle Martin: «On a tendance à être assimilé aux personnes qu’on défend»
Femme, compagne, mère, avocate, magistrate au Parquet d’Arlon, magistrate de presse pour la province de Luxembourg… Avec 27 ans de carrière judiciaire au compteur, Sarah Polletmultiplie les casquettes.
Publié le 22-12-2020 à 07h30
À 50 ans, de celle qui fut l'avocate de Michelle Martin et de l'épouse de Fourniret on ne saurait résumer la carrière à ces procès extrêmement médiatisés. «Mon sujet de prédilection, c'est l'humain, dans tous ses aspects psychologiques les plus complexes, explique Sarah Pollet. Je suis évidemment, en tant que femme, plus sensible à la condition féminine, mais pas uniquement. Dans le procès Dutroux, mon objectif était de démontrer la relation d'emprise et l'aspect psychologique de l'affaire.»
Pour cette férue de psychologie, le droit était une vocation. «J'ai toujours été extrêmement sensible aux questions de justice depuis très jeune, grâce à mon papa, très friand de chroniques judiciaires. J'ai toujours eu une tendance naturelle à défendre les autres, même enfant. Je suis profondément sensible aux questions de justice.» À 12 ans, elle se nourrit des chroniques judiciaires de Philippe Toussaint (RTBF) et de René Haquin (Le Soir), et reste profondément marquée par le livre de contre-enquête "Le Pull-over Rouge", de Gilles Perrault. À 18 ans, elle entame naturellement des études de droit à Bruxelles et Louvain-la-Neuve, puis passe le barreau à Namur. Le 1er octobre 1993, elle prête serment et devient avocate.
Elle a assuré la défense de Michelle Martin
Après six ans au barreau de Namur, l’avocate originaire de Bruxelles vient s’installer dans la province de Luxembourg, où elle aiguisera ses armes au barreau d’Arlon durant neuf ans avant de passer le concours d’accès à la magistrature. En 2010, elle devient magistrate pour le Parquet du Luxembourg. Cinq ans plus tard, elle endosse en sus le rôle de magistrate de presse.
C'est en 2004 que le nom de Sarah Pollet devient international: elle assure la défense de Michelle Martin lors du procès Dutroux, aux Assises d'Arlon. Un rôle qu'elle endosse à seulement 34 ans; s'en suivra une pression médiatique terrible dont elle n'aurait pu soupçonner la violence. Pour elle, le procès est un cataclysme émotionnel, entre son rôle d'avocate et son rapport aux victimes, exacerbé par les milliers de pages de procès, photos et visites de la cache de Dutroux. «On a tendance à être assimilé aux personnes qu'on défend, note-elle. Mais quand on défend quelqu'un si éloigné de ce qu'on est, en tant que femme, en tant que mère, la démarche est intéressante, c'est un vrai travail sur soi et sur l'autre».
On voit des choses qui dépassent l’entendement. Ce sont des dossiers parfois teintés d’horreur mais aussi porteurs d’espoir, car on peut intervenir et créer autre chose, offrir une nouvelle direction
Aujourd'hui devenue magistrate, elle est en quelque sorte passée de l'autre côté, puisqu'elle est magistrate référente jeunesse de la province de Luxembourg. Le travail avec les jeunes la passionne, même si elle se dit confrontée «à des choses épouvantables. Ce n'est pas plus facile. On voit des choses qui dépassent l'entendement. Ce sont des dossiers parfois teintés d'horreur mais aussi porteurs d'espoir, car on peut intervenir et créer autre chose, offrir une nouvelle direction.»
Dans tous ses dossiers elle se concentre sur ce qui la passionne avant tout: l'humain. «Je suis toujours en quête de comprendre ce qui peut animer quelqu'un pour qu'il en vienne à agir ainsi. Son entourage, ses échecs, ses souffrances, ses failles… Tout ce qui a fait qu'il se retrouve à commettre tel ou tel acte.»
«Ce n’est pas un métier facile»
Femmes de monstres, violences conjugales, traite des êtres humains, droit de la jeunesse… La magistrate explique s'occuper «beaucoup de mœurs et de violence»: elle est au cœur de ce que la nature humaine a de plus sombre. Si elle plie parfois, elle ne rompt jamais face à l'intensité de son métier. «Porter la robe, c'est avant tout être une sorte de personnage. On n'est pas là pour soi ou pour la gloire. Comme me l'a dit un jour mon maître de stage, "quand on est avocat, on porte la parole de l'autre, donc on n'est pas soi-même"». Une démarche tout aussi délicate en tant que magistrate. «On est là pour porter la parole du client et sa vérité à lui. Il faut réussir à faire cette démarche intellectuelle.»
La clef? Son armure, forgée avec le temps et l'expérience. «Je me blinde, je tente de ne pas penser à la personne et à la souffrance car mon boulot est de diriger une enquête». Quand elle se retrouve face aux victimes, elle l'enlève. Mais ne se départit jamais de ce qui est pour elle son essentiel: «ma figure humaine». Vouée à la justice dans ce qu'elle a de meilleur et de pire, Sarah Pollet l'avoue: «Ce n'est pas un métier facile où, quand on ferme la porte du Palais, on n'y pense plus. Il reste des choses, des images, qui marquent et qui resteront toujours.»

Un grand écart permanent
En tant que magistrate de presse, Sarah Pollet jongle avec deux univers aux rythmes très différents. Face aux exigences d'immédiateté et d'information de la presse, face aux besoins de protection de l'enquête et de procédures parfois complexes de la justice. «C'est un grand écart permanent, reconnaît la magistrate. J'ai beaucoup d'informations, mais je ne peux pas répondre dans l'immédiat, ce que les journalistes ont parfois du mal à comprendre, sourit la magistrate. Déjà parce que je ne connais pas constamment tous les dossiers, et puis parce que je dois remonter les informations et suivre toute une série de procédures. L'impératif judiciaire, face au droit d'information, c'est la préservation de l'enquête. Il faut peser et définir ce qu'on a le droit de dire pour satisfaire à la fois le besoin d'information et le devoir d'enquête.» En aval, le juge d'instruction doit donner son accord avant la diffusion de toute information quand le dossier est à l'instruction. «Notre rapport au temps n'est pas le même, ce sont des mondes à deux vitesses.»
«Je fais ce que je peux»
Dans cet exercice d'équilibriste, Sarah Pollet insiste: «la justice n'a rien à cacher, et le besoin d'information du public est légitime. Mais ce ne sont pas des informations qui se communiquent à la légère.»
Il n'est pas rare que la magistrate de presse essuie la frustration des journalistes, devant la difficulté d'obtenir des informations rapidement. «Il faut être pédagogue, entre les journalistes parfois impatients et mes collègues qui sont contactés par les médias parce qu'en passant par moi, ils n'ont pas eu ce qu'ils voulaient. L'idée de ce rôle, c'est que je sois le seul canal, pour que chacun puisse faire son travail correctement. Je fais ce que je peux, mais il faut comprendre que face à ce type d'informations, il faut prendre le temps de la réflexion et que je ne peux pas toujours communiquer directement. Il faut comprendre que la justice et la presse n'ont pas les mêmes objectifs.»

Ne plus se taire
«Nous avons deux magistrats qui sont dévolus à ces dossiers, et qui les traitent le plus vite possible et parfois immédiatement si la situation l'exige. Si des faits de violences sont signalés, le magistrat de garde est aussitôt informé. Si après la première audition de la victime, une réponse immédiate peut être donnée par celui-ci en fonction de la situation». Des procédures accélérées ont également été mises en place, pour prévenir la récidive. «Mais tout est fait en amont pour l'éviter: médiations pénales, alternatives au renvoi devant le tribunal avec mesures de prise en charge des problèmes de violences ou d'alcool, thérapies… Aujourd'hui, l'arsenal judiciaire est plus complet, les suivis plus stricts, les réponses plus fermes.»
L’inacceptable doit être dit
Alors que de plus en plus la parole des femmes se libère, elle veut faire passer un message: «les choses inadmissibles doivent être dites et la justice va apporter des réponses. Je crois que les derniers mouvements féministes ont fait du bien, mais il subsiste au quotidien des violences et une banalisation de celles-ci qui sont inacceptables. Il faut que ces mentalités-là changent». Elle le reconnaît, il y a du boulot, «mais je pense que tout ce qui peut être fait doit l'être; il y va de l'avenir de nos filles mais aussi de nos fils. C'est un problème complexe qui dépasse la simple réponse répressive.»
Actuellement, un projet de centre pluridisciplinaire de prise en charge des victimes d'agressions sexuelles existe. «Mais il est trop tôt pour en parler», conclut, énigmatique, la magistrate.