Dictionnariste: un métier discret et difficile

Pourtant, ils sont essentiels.

Charles Nodier, l’auteur entre autres du très bon D ictionnaire raisonné des onomatopées françaises, affirmait ceci: "Je place au premier rang des plus honorables ouvriers de la littérature le dictionnariste."

Définisseur de mots, des mots qui recouvrent des réalités, descripteur donc de la réalité dans sa totalité, le dictionnariste fait de la littérature.

Avec, pour lui, la lourde contrainte de la courtesse: il doit concentrer au maximum chacune de ses descriptions.

Alors on voit tout de suite la complexité de l’entreprise.

Qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce qu’une réalité ? Qu’est-ce qu’un mot ? Qu’est-ce qu’une définition ?

Une définition est un pari impossible à tenir, un défi impossible à relever. Comment faire entrer un mot dans d’autres mots ? Comment montrer les limites d’un mot ? Par où commencer ? Et où s’arrêter ?

De surcroît, tout change selon que le mot renvoie à une réalité tangible ou à une abstraction.

Pour se lancer dans cette folle entreprise, il faut encore considérer que les mots qu’on emploie pour définir le mot de départ, le mot à définir, eux, sont connus.

Non ! il faut se rendre à cette évidence que le dictionnaire est un pur produit de la mécanique quantique: il est, alors qu’il ne devrait pas être, alors qu’il est impossible qu’il soit.

Reste que – Vialatte ne cessait de le répéter – les dictionnaires sont de bien belles choses. Il ajoutait même: "Les dictionnaires sont le dernier refuge de l’aventure, du fantastique et de la poésie."

Vialatte admirait, évidemment, Pierre Larousse, un très grand dictionnariste.

Pierre Larousse n’était pas seulement un écrivain de dictionnaires… Il était aussi, selon Vialatte, un poète… Et il précise même: un poète surréaliste. Pierre Larousse a donc été surréaliste avant l’invention du surréalisme.

Et, l’air de rien, avec son dictionnaire de plus de 20 000 pages, il a écrit la plus grande œuvre littéraire surréaliste.