Fermeture de l'abbaye Notre-Dame de Clairefontaine à Bouillon: "C’est clair, il n’y a plus de communauté cistercienne à Cordemoy" (vidéo)
Interview exclusive de frère Éric, d’Orval, un des membres de la Commission de fermeture de Cordemoy. Il n’a éludé aucune question délicate. Entretien.
Publié le 31-03-2023 à 06h00 - Mis à jour le 31-03-2023 à 08h28
Nous avons été reçus par frère Éric, un moine cistercien d’Orval qui avait été père abbé voici quelques années et qui est un des membres de la commission de fermeture de l’abbaye Notre-Dame de Clairefontaine à Cordemoy (Bouillon). Il en fait partie depuis un an, à la demande de l’abbé général de l’Ordre cistercien, Dom Bernardus Peeters, originaire de l’abbaye trappiste de Tilburg, aux Pays-Bas. Nous n’avons eu que très peu de contacts avec les représentants de cette commission de fermeture.
C’est donc la toute première fois qu’un membre de ladite commission nous accorde une interview en un peu plus de 5 ans. Frère Éric a accepté de nous expliquer avec franchise le point de vue de l’Ordre cistercien, acceptant de répondre à nos questions, même les plus délicates.
Frère Éric, quel est votre mandat au sein de cette Commission de fermeture ?
Je n’en suis qu’un des membres qui a pris le train en cours de route, voici un an, à la demande de l’abbé général de notre Ordre. Cette Commission est chargée de suivre la procédure de la fermeture de l’abbaye de Cordemois et je n’en suis qu’un petit rouage. La décision de fermer vient du Saint-Siège qui a mandaté l’Ordre pour la mettre en œuvre.
"La communauté n’existe plus canoniquement"
Comment tout ça a-t-il commencé ?
J’ai pris le train en route, mais selon ce que je peux savoir, c’est à cause d’un certain nombre de dissensions au sein de la communauté de Cordemoy que le Saint-Siège a décidé, en décembre 2016, après avoir reçu des renseignements de l’église apostolique, de fermer l’abbaye. Cela reste une grave décision qu’on ne prend pas à l’emporte-pièce, mais sur base de divers rapports
Quand on dit "le Saint-Siège", de qui s’agit-il ?
Du dicastère, c’est-à-dire l’organe, au Vatican, qui s’occupe des religieux.
Ce n’est pas le pape, quand on dit "le Saint-Siège" ?
Non bien sûr, même si cet organisme – ou si vous voulez, pour schématiser, le ministère appartenant à un gouvernement dont le chef est le pape – prend des décisions au nom du pape. C’est donc le préfet de la congrégation qui a pris la décision.
Quelle est cette décision ?
On ferme Cordemoy.
Et on met les sœurs à la porte ?
On n’a pas dit aux sœurs de partir. Fermer, cela signifie que la communauté n’existe plus canoniquement.
Et qu’advient-il alors des nonnes de cette abbaye ?
Le principe est que pour être moniale ou moine cistercien, il faut être rattaché à une abbaye ou à un abbé ou abbesse et s’engager, par un vœu de stabilité, à demeurer dans cette communauté. Or, canoniquement, cette communauté à Cordemoy n’existant plus, les sœurs doivent se rattacher à une autre abbaye si elles le souhaitent, ou quitter l’ordre cistercien pour aller ailleurs dans un autre ordre ou une autre communauté et même de quitter la vie religieuse tout simplement. Ce sont des femmes libres de faire ce qu’elles veulent.
"Les six sœurs s’estiment victimes d’une injustice"
Sauf de rester à Cordemoy…
Elles doivent quitter physiquement Cordemoy. C’est la suite logique à la décision du Saint-Siège.
Ce qui n’est pas le cas pour six religieuses…
C’est vrai. Elles s’estiment victimes d’une injustice et veulent rester.
Pouvez-vous comprendre cette décision ?
Bien sûr, mais je n’ai pas à prendre position à titre personnel. Je connais ces sœurs pour avoir été notamment responsable de la communauté ici à Orval et donc en quelque sorte d’avoir été responsable de l’abbaye de Cordemoy, ce qu’on appelle une vigilance. Je respecte leur cheminement mais il y a des règles à respecter si on veut rester dans notre Ordre. Elles n’ont pas accepté de les respecter pour des raisons qui leur appartiennent et que je respecte, tout en comprenant que de son côté, l’Ordre n’a pas été d’accord.
Font-elles cela par défi, à votre avis ?
Non. Elles ont le sentiment d’avoir subi une injustice et que leur abbaye a été fermée au terme d’une "instruction à charge". Qu’elles sont des victimes et qu’elles sont en droit de ne pas quitter l’Ordre et de rester à l’abbaye de Cordemoy.
Et de désobéir à leur Ordre ?
Je le répète: la décision de fermer n’émane pas de l’Ordre, mais du Saint-Siège.
Que pensez-vous de cela, vous qui les connaissez ? Comprenez-vous leur choix de rester ? Il y a la loi et l’esprit de la loi ?
Oui. Du point de vue de l’esprit de la loi, elles auraient dû montrer où est réellement l’injustice. Qu’elles demandent au Saint-Siège pourquoi il a pris cette décision. Je ne connais pas le contenu de cette injustice. Le reste, c’est la suite d’une procédure classique. Mais humainement parlant, quel dommage d’en arriver là !
N’est-ce pas un déracinement pour ces sœurs âgées que de devoir partir d’un endroit où elles sont établies depuis des dizaines d’années pour certaines ?
Si. Et c’est un exemple parmi tant d’autres. L’âge n’a pas posé de problème ailleurs ; les sœurs sont restées dans l’Ordre et sont parties dans une autre communauté.
On ne peut pas reprocher aux six religieuses restantes de ne pas avoir bien fait les choses ces cinq dernières années, non ?
Les comptes de résultat ont été bons pendant deux ans après des ventes de bois. Je ne pense pas qu’avec leurs seules activités elles puissent tenir financièrement car le bâtiment date des années 1935 et est difficile à entretenir. C’est du béton et beaucoup de choses sont à refaire. Elles ont eu quelques années très bonnes financièrement, mais sur le moyen terme, ce n’est pas tenable économiquement pour les activités qu’elles font, alors qu’elles travaillent beaucoup (elles tiennent un magasin, fabriquent des viennoiseries, biscuits etc.) Elles vivent en vraies cisterciennes, mais à leur âge c’est de plus en plus difficile pour tenir l’office, le chant, etc.
Le Saint-Siège ne pourrait-il pas revenir sur sa décision sur base de ce constat que ce sont des femmes âgées ?
Le Saint-Siège a décidé et il est libre de faire ce qu’il veut. Même de revenir sur sa décision. On verra si l’appel des sœurs sera entendu.