Hotton: Pol Laffut a conduit des milliers de gens à leur dernière demeure
Pol Laffut, d’Hotton, a été croque-mort puis entrepreneur de pompes funèbres pendant 63 ans. À presque 77 ans, il vient de prendre sa retraite. Il s’est occupé de milliers de défunts en Famenne.
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Publié le 23-02-2023 à 06h00 - Mis à jour le 23-02-2023 à 11h10
Le jeune Pol Laffut n’a pas tout à fait 14 ans quand il débarque à Hotton chez son homonyme, mais pas parent, Alphonse Laffut. Ce n’était pas exactement la vie dont l’adolescent avait rêvé. Au sortir de l’école primaire, il voulait en effet devenir peintre en bâtiment et avait même réussi à décrocher un stage chez Léon Mottet, à Durbuy. Le sort en a décidé autrement. Alphonse Laffut, un copain de son père, qui était venu faire un enterrement dans son village à Petit-Han, cherchait un aidant pour une mise en bière à La Roche. Le jeune Pol y est allé et, de fil en aiguille, est devenu apprenti croque-mort, comme on disait à l’époque, en 1960: "Je me souviendrai toujours de cette première fois où je suis monté dans son corbillard. C’était macabre. J’avais l’impression que le mort me grattait ! La voiture avait encore les lanternes sur le toit et des voiles noirs aux vitres. Tout était noir. Comme l’étaient les rideaux qui servaient à habiller les chambres mortuaires chez les gens. On m’a donné un bassin et j’ai nettoyé mon premier client."
De croque-morts à pompes funèbres
Pol Laffut est plongé dans le vif du sujet si on peut dire, dès ses premiers jours de stage. Il avait visiblement le cœur bien accroché à son âge. La preuve ? Il restera au service de son homonyme de croque-mort pendant 9 ans. "C’est vrai qu’on nous appelait comme cela: des croque-morts en vertu de la légende qui voulait que pour s’assurer que les clients étaient bel et bien trépassés, ledit croque-mort mordait l’orteil du défunt. Sans réaction de celui-ci, il était considéré ad Patres. Plus tard, on a commencé à parler d’entreprises de pompes funèbres. On a eu des uniformes gris ou noirs avec chemise blanche et cravate impeccables, parfois avec un képi portant le sigle P.F."
S’il n’a jamais croqué dans un de ses clients, Pol Laffut a tout de même dû s’assurer qu’une dame avait bien trépassé: "Un jour, au moment de refermer le cercueil, une demi-heure avant qu’on l’emporte pour l’enterrement, le fils de la défunte m’a demandé de piquer sa maman à l’orteil avec une aiguille pour qu’on soit bien certain qu’elle était morte."
Le bruit de la scie de sa 1re autopsie
Preuve aussi que le jeune homme du début des années 1960 était fait pour le métier: sa première autopsie à laquelle il a dû assister du haut de ses 15 ans: "Je me rappelle cet accident qui avait coûté la vie à un ouvrier italien qui travaillait à la tour de la Famenne et qui avait chuté. Les pompes funèbres assistaient le médecin chargé de l’autopsie. J’ai été désigné pour aider le légiste à manipuler le corps de la victime. J’étais dans mes petits souliers parce que si de nos jours on utilise des moyens modernes pour découper les cadavres, à l’époque on y allait allègrement avec une scie et on coupait dans tous les sens. Je crois que ce qui m’a le plus dérangé, ce sont les odeurs."
Pol Laffut quitte son patron après neuf ans et se fait embaucher à Liège. Là c’est un autre rythme. "Une autre cadence en effet, mais aussi une autre mentalité de ville. J’étais habitué à me rendre chez les gens, à m’occuper de tout avec eux. En Famenne, on était ami avec les familles. À Liège, on n’avait pas de contact avec elles parce que c’était la Ville qui se chargeait de l’enterrement. Bref, après un an, je suis revenu chez moi ; c’était en décembre 1969."
A. Laffut jour et nuit
Qui, dans la province ne s’est pas amusé un jour en lisant dans notre rubrique nécrologique, au bas d’un avis mortuaire, la mention faisant référence au travail de l’entreprise d’Alphonse Laffut: A. Laffut ? Ce qui faisait sourire, c’était ce qui suivait: "jour et nuit". "C’était comique, d’autant plus qu’Alphonse était en plus un chasseur. Moi, c’était plutôt “ Po li djou, Po li nut ”", rigole encore Pol Laffut.
Enterrements et crémations, cela va s’inverser
Au début de sa carrière, note l’Hottonais, il y avait très peu de crémations dans nos régions: "La religion a joué un rôle dans cette répartition où les enterrements étaient massivement majoritaires. Puis, quand l’Église ne s’y est plus opposée et que pour des raisons budgétaires, mais aussi avec l’arrivée de crématoriums dans nos campagnes, cela s’est accentué. Dans une dizaine d’années, on en sera à 70% de crémations."
Crématorium, église, temple ou mosquée
Pol Laffut dit qu’il faut compter entre 3 500 et 4 000 € pour un enterrement. C’est moins cher pour une simple crémation. Il n’y a pas de monument à acheter ni de concession à prendre au cimetière. "Il faut s’adapter. On enterre ou on incinère civilement, on passe par l’église et, de nos jours, on va aussi au temple des protestants à Marloie ou à la mosquée de Marche. J’ai travaillé pour des Juifs à Liège. Là, c’est un rabbin qui s’occupe du mort. Personne n’a le droit de le toucher sauf lui."