Entre sécheresse et canicule, nos cultures ont la vie dure, en province de Luxembourg
En province de Luxembourg, nos cultures encaissent des périodes sèches et chaudes de plus en plus fréquentes. Y a-t-il danger en 2022 ? Quelles solutions s’offrent à nous ?
Publié le 05-08-2022 à 19h54 - Mis à jour le 05-08-2022 à 19h57
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Richard Lambert, vous êtes directeur du Centre Agri-environnemental de Michamps, qui étudie notamment l’agriculture, l’environnement, les sols et les fourrages. Comment se portent nos cultures après cette période de fortes chaleurset de sécheresse?
Cela devenait très compliqué, nous sommes heureux de voir la pluie arriver et les températures redescendre. Il faut savoir que les prairies sont les cultures principales de notre province. Et ce climat n’aide pas du tout. Heureusement, les premières coupes et les pâturages qui ont eu lieu au printemps se sont bien passés. Mais la saison n’est pas finie, et le temps sec qui a suivi a ralenti la repousse et engendré des retards ou des diminutions de production. Et cela se complique d’année en année. Il faudra attendre les dernières coupes pour pouvoir tirer le bilan; si nous avons une fin de saison moins chaude et davantage pluvieuse, cela ne devrait pas être trop catastrophique. Mais la production ne sera pas optimale, c’est sûr.
Quel est l’enjeu pour nos agriculteurs?
Il est double: une bonne pousse permet aux animaux de pâturer en suffisance durant la belle saison, et une bonne fauche de constituer des stocks en suffisance pour tenir jusqu’à l’été prochain. Selon les exploitations et les sortes de fourrages, l’enjeu est différent. Les exploitations de fourrage pour vaches laitières demandent entre 1 et 4 coupes par an. Le foin, 2. Tout dépend des besoins des animaux de l’exploitation. Une vache laitière demandera un fourrage moins riche, qui devra donc maturer moins longtemps, quand les autres bovins demanderont un fourrage plus riche, donc plus lent. Si la sécheresse et de fortes chaleurs surviennent comme on vient de le vivre en juillet, tout est retardé.
Ce qui fait diminuer la période de fauche et de pâturage…
Oui. Ce sont à la fois le cycle de pâturage et la constitution des stocks qui sont ralentis, parfois fortement. Il peut également arriver que la période de fauche soit décalée. Par exemple, dans certaines régions de la province, elle est arrivée en avance, notamment en région jurassique (Gaume, Lorraine). Avec ce temps, la maturité des végétations a pris de l’avance, ce qui n’est pas forcément une bonne chose. Et la sécheresse fait aussi beaucoup de dégâts, engendrant des retards de repousse, et donc un délai plus long entre les fauches. Et la période ne peut pas s’étendre à l’infini, une fois qu’elle est terminée, il faudra faire avec ce qu’on a. Nous en verrons les conséquences à la fin de la saison, dépendamment du climat de la fin de l’été.
Nos espèces de cultures sont-elles adaptées?
C’est une question difficile, car nous sommes à la fois en réflexion, en transition, et dans un entre-deux qui complique les solutions. Il faut tout d’abord savoir que nous sommes dans un entre-deux: les périodes de canicule et de sécheresse que nous connaissons n’arrivent plus tous les 20 ans comme à l'époque, mais n’arrivent pas encore chaque année. Passer à un type de cultures adapté à des climats plus chauds, le sorgho ou la silphie par exemple, comporte des risques. Si on a un été sec et chaud, merveilleux! Mais il suffit que l’on aille les gelées printanières ou un peu trop de pluie, et c’est la catastrophe. Mais dans le même temps, le ray-grass anglais, qui représente 80% de nos prairies, est une espèce qui non seulement ne supporte pas la chaleur et arrête de pousser au-delà de 25°, mais est également vite traumatisé par le stress hydrique engendré par de fortes pluies. Il met donc du temps à se remettre, et reprend moins bien que d’autres cultures.
D’autres cultures viennent le remplacer?
Dans une certaine mesure, oui. Mais s’y mélanger, ça, c’est devenu la norme depuis longtemps. Il faut savoir que nos prairies sont rarement des cultures pures. C’est une époque terminée, il faut s’adapter aux changements climatiques. Il y a toujours un mélange: trèfle blanc, luzerne, dactyle… On ne peut plus mettre tous ses œufs dans le même panier,
Quant à utiliser des cultures de climats plus chaud, je le disais, c’est encore risqué. Mais nous étudions la question depuis des années et des essais sont en cours dans certaines exploitations agricoles. On ne peut pas encore miser dessus totalement, même si elles ont du potentiel, c’est certain. Mais il n’y a pas que les nouvelles espèces, les traditionnelles sont bonnes aussi! La luzerne, par exemple, a fait ses preuves en saison sèche également et s’avère bien adaptée à tous ces changements! Nous continuons à étudier d’autres cultures avec attention et à travailler les mélanges à produire, les cultures traditionnelles et nouvelles adaptées à nos prairies luxembourgeoises et au climat. Nous menons de grands essais depuis des années en Wallonie, et nous avançons sur la question pour un mieux-être de nos cultures et pour aider nos agriculteurs à une transition la plus douce possible.
À Fauvillers, Sébastien Hainaux teste la silphie
Sébastien Hainaux, agriculteur à Fauvillers, a misé cette année une partie de ses terres sur la silphie, cette plante originaire d’Amérique du nord qui fait son apparition chez nous comme alternative au ray-grass anglais."J’avais envie de tester, et aussi de trouver de nouvelles cultures à exploiter. Avec la silphie, la première année on ne récolte rien; la culture fait ses racines et s’implante dans les terres. C’est une implantation délicate, qui met du temps; ici elle a l’air de s’être bien passée. Mais je ne saurais pas dire avant l’année prochaine si l’investissement en a valu la peine.J’ai planté six hectares au printemps, si tout va bien, j’aurais une demi-récolte l’an prochain. Espérons que cela prenne."Et "investissement" est un faible mot: la culture de silphie coûte environ 10 fois plus chère que celle du maïs. Alors pourquoi un pari si risqué?"Avant je mettais du maïs pour le biogaz mais c’est une culture à réimplanter chaque année, qui demande un travail conséquent et est plus polluante. La silphie est une culture pérenne qui ne demande pas d’être semée chaque année, et est aussi plus propre et plus écologique. C’est un investissement sur le long terme.".
Sébastien Hainaux a bon espoir que sa culture de silphie prenne."Je suis allé voir une culture de silphie dans la commune de Chaumont-Gistoux (Brabant wallon) le mois dernier. Elle a été plantée l’an dernier, et le résultat est impressionnant: elle fait 2 mètres de haut. J’ai bon espoir, il n’y a plus qu’à croiser les doigts."