Double féminicide: ce n’est en aucun cas un «crime passionnel»
Il existe un terme pour qualifier les meurtres de Nathalie Maillet et Ann Lawrence Durviaux: le féminicide. Et ce n’est pas qu’une histoire de mots.
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Publié le 16-08-2021 à 20h08
«Crime passionnel» ou «drame conjugal». Ce sont des termes qui ont été employés depuis dimanche pour qualifier les faits qui se sont déroulés à Gouvy, à savoir le meurtre de Nathalie Maillet, directrice du circuit de Spa-Francorchamps, et Ann Lawrence Durviaux, juriste de haut vol, par l’époux de la première. Ce dernier, Franz Dubois, s’est lui-même donné la mort ensuite, d’après les éléments connus à ce stade.
Ces termes ont passablement irrité, notamment parmi les personnes luttant contre les violences faites aux femmes. Ce crime, en effet, semble a priori correspondre à l'exacte définition du féminicide, auquel s'ajoute possiblement une dimension lesbophobe. La notion de féminicide, qui pourrait faire son entrée dans le code pénal belge (lire en page 48), désigne dans son acception commune le meurtre ou l'assassinat d'une femme parce qu'elle est une femme.
«Ce que ces faits montrent en premier lieu, c'est que le féminicide est un phénomène qui touche toutes les tranches de la population, quel que soit le milieu culturel, le milieu économique, etc. Pas uniquement les plus défavorisées», note la constitutionnaliste Stéphanie Wattier, favorable à l'introduction du féminicide dans le code pénal.
Un problème de société
Oser parler de féminicide revient à mettre un mot sur un phénomène sociétal, «faire exister un problème», considère-t-elle.
Parce que le meurtre de femmes en raison de leur genre consitue bien un problème de société, bien plus que l'addition de cas particuliers. En Belgique, «la majeure partie des féminicides se déroulent dans le cercle intime». Mais on peut y ajouter d'autres crimes « qui ne relèvent pas de la sphère intime: l'agression et le meurtre d'une joggeuse, par exemple. D'autres sont commis au nom de l'honneur, parce qu'une femme a eu des relations sexuelles en dehors du mariage par exemple. Ou pour des raisons plus culturelles», à l'instar de ce qui a pu se dérouler en Chine lors de la politique de l'enfant unique.
Quand on parle du meurtre d’une femme commis dans le cadre d’un cambriolage, ce n’est pas un féminicide.
Dans tous les cas, ce sont des vies de femmes ou de filles qui sont ôtées parce qu'elles le sont. A contrario, «quand on parle du meurtre d'une femme commis dans le cadre d'un cambriolage, ce n'est pas un féminicide», précise Sarah Schlitz (Écolo), secrétaire d'État à l'Egalité des genres. Cette dernière planche sur un plan d'action fédéral de lutte contre les violences de genre, qui devrait être adopté par le conseil des ministres au début de l'automne. Un des enjeux consistera justement à développer une «définition sociologique du phénomène du féminicide», pour mieux le cerner et le contrer.
Les victimes sont des femmes
Le débat autour des termes à employer laisse souvent apparaître une question: faut-il distinguer ces meurtres ou assassinats des autres, en raison du fait que la victime soit une femme? Bien que les statistiques manquent encore, «quand on parle d'homicides dans le contexte du couple, les femmes sont beaucoup plus souvent victimes», explique Irène Zeilinger, une des responsables de la plateforme Stop Féminicides. «On parle de chiffres gris, mais on estime généralement que les femmes sont victimes dans 95% des crimes commis au sein d'un couple ou d'un ancien couple. Et dans les 5% restants, la femme qui a commis le crime a souvent agi dans un contexte de légitime défense», poursuit Stéphanie Wattier.
«Crime passionnel» sous-entend que c’était plus fort que lui, que le mal est arrivé et qu’il n’a rien pu y faire.
«Souvent, la femme est tuée parce qu'elle a voulu partir ou qu'elle a pris sa liberté. Les rares fois où une femme commet un crime de ce type, le scénario n'est pas le même. Elle avait souvent été victime de violences auparavant», confirme Irène Zeilinger.
Dans ce contexte, l'emploi d'euphémismes comme «crime passionnel», une notion qui n'existe nulle part dans les textes jurdiques, apparaît comme une forme d'excuse et de déresponsabilisation de l'auteur. «Cela sous-entend que c'était plus fort que lui, que le mal est arrivé et qu'il n'a rien pu y faire», note Irène Zeilinger. D'un point de vue sociétal, le féminicide apparaît plutôt comme la manifestation la plus brutale du patriarcat. «Il y a cette idée que la femme est sommée d'être disponible pour l'homme ou pour les hommes. Si elle ne s'y plie pas, ça peut aller jusqu'à l'exécution. Comme si la vie d'une femme, une fois qu'elle n'appartient plus à l'homme, ne pouvait même plus appartenir à elle-même», explique encore Irène Zeilinger.
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