Polémique des déchets nucléaires: «Remettons l’église au milieu du village»
La gestion future de nos déchets nucléaires suscite des inquiétudes, ces derniers jours. On fait le point, sur un sujet complexe.
Publié le 19-05-2020 à 08h04
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La sortie fracassante, voici une semaine, de la ministre luxembourgeoise de l’Environnement, Carole Dieschbourg, a remis le délicat sujet du stockage de nos déchets nucléaires sur le devant de la scène. Le gouvernement du Grand-Duché fustige la manière avec laquelle la Belgique mène une consultation publique sur son plan de gestion à long terme des déchets nucléaires.
Dans la foulée, de nombreux élus locaux et citoyens belges se sont inquiétés, craignant de voir ces déchets embarrassants stockés dans leur sous-sol. Le Parlement fédéral se saisira prochainement du sujet (lire ci-contre).
Entre, d'un côté, une certaine discrétion autour de la consultation publique et, de l'autre, les rumeurs qui circulent, «il faut quand même remettre l'église au milieu du village», suggère Céline Parotte, docteure en sciences politiques à l'université des Liège, qui étudie de près les politiques de gestion des déchets radioactifs.
1.Pourquoi maintenant?
La Belgique tarde à officialiser une politique de gestion des déchets les plus hautement radioactifs, alors qu'elle est tenue de prendre une décision. «Notre pays est un mauvais élève sur ce point», rappelle Céline Parotte. Il se fait d'ailleurs rappeler à l'ordre par l'Europe.
Le gouvernement fédéral est amené à prendre une décision de principe sur la solution technique choisie par la Belgique. L’Ondraf (Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies) préconise le stockage géologique. Cet organisme aimerait formuler une proposition dans ce sens en automne au gouvernement, lequel sera alors amené à poser un choix une bonne fois pour toutes. Une consultation publique sur ce plan de gestion est en cours, du 15 avril au 13 juin.
2.Quels déchets?
Il s'agit ici des déchets dont la radiotoxicité est la plus importante et/ou dont la durée de vie est la plus longue. On parle d'une échelle de plusieurs centaines de milliers d'années, voire du million d'années pour certains. «La plupart de ces déchets sont actuellement entreposés sur site, à Tihange, Doel et Dessel», précise Céline Parotte.
3.La polémique
D'aucuns, à l'instar du député fédéral écolo Samuel Cogolati, se sont inquiétés début avril du lancement d'une consultation publique sur un sujet aussi sensible en pleine crise du coronavirus. Quelques articles de presse sont parus (L'Avenir du samedi 4 avril) dans une certaine indifférence. L'Ondraf et la ministre fédérale de l'Énergie, Marie-Christine Marghem (MR), répondaient alors que la consultation ne faisait que s'inscrire dans un calendrier connu de longue date. Côté écologiste, on en appelait à un débat bien plus ouvert et participatif. Mardi dernier, le gouvernement luxembourgeois fustigeait la méthodologie de la Belgique, redoutant des impacts environnementaux de son côté de la frontière.
4.À quels endroits?
«À ce stade, on est à des années-lumière de choisir un lieu de stockage des déchets», insiste Céline Parotte. Potentiellement, tout le territoire belge est concerné, dès lors que chaque pays est tenu de prendre en charge sa propre production de déchets. Les crispations des derniers jours sont pourtant liées à une série de localisations figurant dans le rapport sur les incidences environnementales de l'Ondraf. Il s'agit de sous-sols potentiellement concernés. Une carte a même circulé, désignant une série de localisations en Wallonie. Sont cités dans le document de l'Ondraf le bassin de Mons, le bassin de Campine, le massif du Brabant, les argiles de l'Yprésien (Flandres occidentale et orientale), les régions de Namur et Dinant, le plateau de Herve, la Gaume, le, synclinal de Neufchâteau, le faciès de La Roche, les Massifs de Rocroi et de Stavelot.
Ces localisations restent bien théoriques. La consultation publique concerne uniquement une décision de principe sur la technique de stockage, pas sur le lieu. Bien des études et des consultations devront encore être menées, lorsqu’une localisation sera désignée.
5.Quand?
L'infrastructure de stockage pourrait voir le jour aux alentours de 2050, selon l'Ondraf. Dans la réalité, «ce ne sera sans doute pas avant 2100», estime Samuel Cogolati. Plusieurs décennies s'écouleront de toute façon d'ici là.
6.Quel type de stockage?
Actuellement, l'essentiel de nos déchets nucléaires est entreposé en surface, à sec ou en piscine. L'Ondraf préconise le stockage géologique, donc un enfouissement dans des galeries creusées quelques centaines de mètres sous terre. La technique se base à la fois sur la capacité de confinement de certains sous-sols et sur «l'emballage» des déchets à l'aide de l'ingénierie humaine. «Cette option n'est pas vraiment une surprise, à partir du moment où c'est celle qui est étudiée en Belgique depuis les années 70. Disons qu'elle partait avec une longueur d'avance», commente Céline Parotte, qui précise que le document de l'Ondraf propose également une ouverture sur une seconde solution: le forage profond.
D’autres techniques existent en théorie: immersion en mer (ce qu’a fait la Belgique jusqu’en 1982), envoi dans l’espace, enfouissement dans la calotte glaciaire, stockage en surface, etc. Un stockage temporaire en subsurface, qui permettra aux générations futures de participer davantage à la prise de décision, compte tenu des évolutions des sciences est une piste défendue par les écologistes.
7.Quelle quantité?
Le volume de 13 500 m3 de déchets radioactifs est régulièrement cité. «Cela représente cinq piscines olympiques remplies», illustre Samuel Cogolati.
Pour Céline Parotte, «il est difficile de donner un chiffre précis, puisqu'il faut s'entendre sur ce qu'on considère exactement comme des déchets nucléaires». Et le volume dépend d'autres paramètres, comme la production future.
8.Quel débat?
« Il s'agit d'une première étape dans une procédure qui en comporte plusieurs chaque fois associées à des consultations du public», rappelle Marie-Christine Marghem. D'autres dénoncent une consultation trop peu participative, qui met les citoyens devant le fait accompli. «On demande de s'exprimer sur un principe de stockage alors qu'on n'en connaît pas du tout les implications», estime Samuel Cogolati.
Aujourd'hui, les inquiétudes s'expriment «parce que le public est souvent très attaché à un lieu. À partir du moment où une localisation est évoquée, ça devient plus concret», remarque Céline Parotte. Au final, de son point de vue, il convient de se réjouir qu'un débat public puisse avoir lieu sur un sujet aussi sensible, en tenant compte tous les paramètres: financement, contrôle, le suivi, le type de consultations, etc. C'est aussi l'occasion de rappeler «qu'aucune solution idéale n'existe», chacune comportant son lot de risques et désagréments.