Avec les égoutiers de Liège: «Les excréments et les déchets, ça ne fait pas rêver»
Parce que le monde du travail n’est pas toujours rose, zoom sur ces métiers que la société préfère souvent ignorer tant ils peuvent être rebutants. « L’Avenir » donne donc la parole à ceux qui, comme le dit l’adage, font le sale boulot. Ce lundi, place à la profession d’égoutier.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/564bb5e6-3925-4e77-9c29-d7fc08e40b25.jpg)
- Publié le 18-07-2022 à 08h04
- Mis à jour le 18-07-2022 à 08h28
La taque d’égout à peine surélevée de quelques centimètres, un effluve désagréable remonte à la surface. « Et encore, ça ne sent pas si fort », sourient les ouvriers liégeois en faction ce matin-là aux abords du quai des Ardennes. Leur mission du jour? Curer une partie des conduites de la rue de Turin et de l’avenue Reine Elisabeth. « On a déjà retiré pas mal de crasses grâce aux camions mais on va quand même devoir descendre pour s’assurer que le boulot a bien été effectué. » Combinaison sur le dos, masque sur la bouche et casque vissé sur la tête, Ben plonge en premier dans les entrailles de la bête. En dix secondes, il se retrouve plusieurs mètres en contrebas, dans le noir presque total, de la boue et des eaux usées jusqu’aux genoux. « Ici, on peut encore marcher facilement, note-t-il malgré tout en avançant le dos courbé dans la canalisation de 1m50 de haut. Mais il y a des rues où c’est très compliqué de bosser. À Droixhe, par exemple, les conduites sont trop petites pour qu’on puisse se tenir accroupis: on est alors obligé d’avancer à quatre pattes dans la crasse. » Les mains posées sur des parois pleines de graisse, l’égoutier fait marche arrière après cinq minutes, suivi de près par son nouveau collègue. « On a juste trouvé une brique cette fois. Ça doit être un reste des dernières inondations », glisse-t-il juste avant de remonter à la surface où l’attendent ses collègues.
"Ça, c’est mon quotidien depuis huit ans." Pour Ben comme pour la petite quinzaine d’égoutiers de la Ville de Liège, pas une journée (ou presque) ne passe sans qu’ils doivent s’aventurer dans une portion des 600 kilomètres de conduites que compte la Cité ardente. "Au début, ce n’est pas une sensation très agréable, détaille le brigadier. S’isoler dans un endroit aussi confiné, ça n’a rien de naturel. Et puis, la boue, les excréments, les déchets, ça ne fait pas rêver. Mais on s’y fait avec le temps."
Avec la carapace solide de ceux que rien ne décourage, Ben et ses camarades en ont pourtant vu des vertes et des pas mûres là-dessous. Du plus drôle, comme cette carpe qui a donné des sueurs froides à Sébastien et son confrère lors d’une intervention dans le collecteur principal, au plus rebutant, comme ce serpent mort qui flottait dans les eaux usées.
"Entre les huiles usagées et les vieux vêtements, on voit de tout dans les conduites, lâche Joseph, "l’ancien de la bande". Excepté un cadavre humain, rien ne nous a été épargné. Le pire? Peut-être la carcasse d’un mouton mort que des habitants avaient jeté."
Dur recrutement
À la tête des trois équipes chargées de nettoyer les égouts liégeois, Marcello Lomonte le reconnaît: "Le travail de mes hommes est extrêmement pénible." Physiquement - "Au bout de plusieurs années, ça use de courber l’échine ou d’avancer à genoux, tout en respirant un air souvent nauséabond" - mais aussi moralement. "Pour l’avoir fait quelques années aussi, leur métier est très répétitif et demande énormément de courage au quotidien. Sans eux, les Liégeois rencontreraient bien plus de soucis." Et seraient, sans mauvais jeu de mots, "bien plus souvent dans la merde", comme le résume un des ouvriers de la Ville.
Car la technologie, même si elle a permis de réduire la pénibilité de leur tâche, ne remplacera jamais les égoutiers. "On est à l’affût de tout ce qui peut aider la Ville à mieux entretenir ses canalisations. Récemment, on a d’ailleurs dépensé plus de 500.000 euros pour un camion dernier cri qui aspire presque tout. Mais malheureusement, la technique ne fait pas tout. Et elle ne remplacera jamais l’œil ou la main d’un homme." Exemple dans l’avenue Reine Elisabeth où la dernière recrue des égoutiers liégeois est descendue dans une chambre pour guider le tuyau d’aspiration avant le passage d’un robot endoscope.
"Boris est le dernier à nous avoir rejoints. Il a 22 ans. On est heureux de le compter parmi nous car il va nous permettre d’améliorer encore un peu plus nos services", note Marcello Lomonte, conscient aussi de la difficulté d’attirer de nouveaux employés dans son service. "Il arrive parfois que des gens viennent chez nous, font un test et repartent dans la foulée. Soit ils se rendent directement compte que le boulot n’est pas fait pour eux, soit ils tentent le coup, descendent dans les égouts et nous font comprendre que ça n’ira pas sur le long terme."
«Un manque de reconnaissance»
Malgré un travail peut-être un peu plus épuisant encore depuis les récentes inondations - "Rue de la station à Chênée, on avait tout nettoyé. Mais après les inondations, tout était à refaire, se souvient Ben. La boue et les gravillons étaient revenus dans les collecteurs: c’était un peu déprimant." Et la pandémie de Covid, les égoutiers liégeois ne s’en plaignent finalement que très peu. Leur seul regret? "Un certain manque de reconnaissance."
"On n’est pas du genre à pleurer parce qu’on fait un boulot ingrat, mais on aimerait juste être reconnu à notre juste valeur, résume un des ouvriers communaux. On n’aura sans doute jamais l’aura de nos confrères parisiens, mais on ne mérite pas qu’on nous oublie ou qu’on nous retire nos rares avantages, comme la possibilité de terminer nos journées à 14h00."
Les dernières crasses de leur combinaison ôtées à coups de tuyau d’arrosage, les égoutiers referment la taque de la rue de Turin, la satisfaction du travail accompli. "Savoir qu’on a été utile aux citoyens nous rend fiers. Et c’est ça qui nous motive à poursuivre ce job", conclut Ben, prêt à repartir vers une autre mission.