"Il n’y a pas eu d’acharnement à l’encontre d’Alain Mathot, le premier juge a cherché une preuve impossible", selon l’avocat général
L’avocat général Véronique Truillet a estimé mardi matin lors de son réquisitoire que l’ancien député-bourgmestre de Seraing, Alain Mathot (PS), n’avait pas fait l’objet d’un acharnement de la Justice. Le ministère public appuie la thèse selon laquelle Alain Mathot a participé à la corruption et a influencé l’attribution du marché.
Publié le 18-01-2022 à 10h11
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/VXNFE4GFXREBVJD7LPDBTSSNU4.jpg)
Suspecté d’avoir commis des préventions de faits de corruption passive, de faux, de blanchiment, d’abus de biens sociaux et d’infractions aux enchères publiques ces faits dans le cadre de la construction de l’incinérateur de déchets Uvelia à Herstal, l’ex-député-bourgmestre de Seraing, Alain Mathot (PS), comparaît depuis ce lundi matin devant la cour d’appel de Liège.
Après avoir donné sa version des faits lundi et niant une quelconque implication dans ceux-ci, le socialiste assiste, depuis ce mardi matin, aux réquisitoires de l’avocat général Véronique Truillet. Cette dernière a abordé le dossier par les problèmes de procédure, avant d’évoquer le fond du dossier et les éventuelles responsabilités d’Alain Mathot.
1L’enquête pas à charge: «On ne s’est pas précipité sur M. Mathot»
Concernant la recevabilité des poursuites invoquée par la défense concernant l’enquête menée à charge par les policiers et le juge d’instruction, l’avocat général estime qu’il n’y a eu aucun dysfonctionnement. "Il n’y a pas d’acharnement à l’encontre de M. Mathot, il n’a pas été la cible unique de ce dossier", insiste Véronique Truillet.
L’enquête démarre sur base d’une dénonciation anonyme mais cette lettre évoque M. Mathot, mais aussi d’autres personnes. Une lettre qui fait l’objet d’autres vérifications pour voir si des éléments donnent du crédit à cette lettre. Ainsi, pendant un an, des vérifications sont réalisées par le ministère public, avant la mise à l’instruction de ce dossier. "Cette dénonciation anonyme a entraîné des devoirs. On ne s’est pas précipité sur M. Mathot, mais sur les autres" protagonistes présumés. "On est loin de cette caricature où on tient le nom de M. Mathot! Ce dossier est loin d’être limité à un seul type de faits concernant une seule personne." Selon l’avocat général, l’enquête a été bien plus large que simplement à charge de l’ancien député-bourgmestre de Seraing.
2«Pas de demande de récusation du juge d’instruction, les enquêteurs ont fait preuve d’esprit critique»
On s’en souvient: Alain Mathot a déposé plainte contre le juge d’instruction en charge du dossier pour violation du secret professionnel. Par un arrêt de la chambre des mises en accusation, celle-ci a considéré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre le juge d’instruction du chef de violation du secret professionnel… "M. Mathot a eu accès au dossier à différentes reprises et, à aucun moment, il n’a introduit de demande de récusation du juge. Par contre, il a eu droit partiellement à des devoirs complémentaires."
Toujours selon l’avocat général, Alain Mathot a pu contester les faits, a pu faire droit à son droit au silence, et a pu apporter des éléments complémentaires.
"Il a lui-même dicté ses auditions. Dans l'analyse des déclarations et pièces du dossier, les enquêteurs ont fait l'objet de critiques objectives. Les enquêteurs ont fait preuve d'esprit critique (…). Dans le cadre de la confrontation entre M. Leroy et M. Mathot, les enquêteurs notent les déclarations discordantes entre les deux et le fait que Leroy ne peut pas apporter la preuve matérielle de la remise de l'argent à M. Mathot (ndlr: du transfert du cash). On ne peut pas dire que cette constatation soit à charge de M. Mathot. Les enquêteurs ont pu faire preuve de discernement, de distance. Tout n'est pas à charge de lui. Quand ça le sert, les enquêteurs vont dans son sens, mais quand il est contrarié, alors là c'est qu'on est partial à son égard, qu'on cherche à le charger. À cet égard, par rapport à la violation du secret de l'instruction, il y a une série de petites mains qui manipulent le dossier, comme des collègues des enquêteurs qui ont accès à certaines pièces, ou encore des codétenus qui n'ont pas les mêmes intérêts que M. Mathot. Et vous savez, combien il est difficile de pouvoir remonter une fuite dans un dossier. Il y a une certaine presse qui aime le scandale et qui fait état de ce qui est le plus racoleur et qui n'est pas toujours en faveur des personnes qui en sont la cible, mais c'est indépendant du milieu judiciaire et du milieu policier. Ici, on ne travaille pas sur base des articles de presse, mais sur base du dossier."
Et Véronique Truillet de préciser que "le prévenu a largement et librement pu contredire tous les éléments de l’enquête", il n’y a donc, selon elle, "pas de violation des droits de la défense à la lumière de l’ensemble de la procédure".
3«Le premier juge a cherché une preuve impossible»
Selon l’avocat général, "le premier juge (Ndlr: en première instance) a cherché une preuve impossible, une certitude là où il n’y avait pas la moindre trace. Volontairement, on n’a pas voulu laisser la moindre trace."
Il était bien plus facile et bien moins risqué de recevoir une enveloppe avec du cash plutôt que d’aller faire le tour des distributeurs.
L’ex-député-bourgmestre de Seraing aurait reçu des fonds de Philippe Leroy, son principal accusateur. "Il était bien plus facile et bien moins risqué de recevoir une enveloppe avec du cash plutôt que d’aller faire le tour des distributeurs", soutient l’avocat général. "S’il n’y a pas de témoin direct de cette remise de fonds, ou de la demande de M. Mathot, tous les protagonistes désignent Mathot. D’abord le père puis le fils. Tout le monde les désigne comme étant des personnes influentes quant au choix du candidat qui sera donné pour ce marché Intradel."
4«À mon sens, on est face à de la corruption passive, un pacte existe»
Alors, oui, selon le ministère public, Alain Mathot est coupable de corruption passive. "Le nombre de mandats publics dont dispose M. Mathot est important. Il suffit que Leroy soit convaincu, et c’est le cas, que Mathot ait une influence réelle ou non pour prendre la décision. Il n’a pas eu besoin de faire état à Leroy qu’il était parlementaire, car Leroy savait que c’était l’homme qui pouvait influencer ou faire trancher la balance de son côté. Ici, à mon sens, on est face à de la corruption passive, car il y a un pacte qui existe..."
L’avocat général évoque les autres préventions reprochées au prévenu, en relevant tous les éléments, mais aussi des raisonnements. Elle revient notamment sur "cette dénonciation anonyme, qui est relativement précise et elle ne provient pas de M. Leroy, car il n’en a pas intérêt", insiste Véronique Truillet.
Elle affirme qu’une succession d’éléments corroborent les déclarations détaillées de Philippe Leroy. "Il existe des présomptions graves, précises et concordantes. Peu importe d’établir le scénario exact des faits. Il y a des éléments dont on ne pourra jamais connaître la réalité. Une stratégie a été mise en place pour qu’il n’y ait pas de trace de contact. Le premier juge a voulu chercher des certitudes là où il n’y avait pas de trace. Car, volontairement, ils n’ont pas voulu laisser de trace", a soutenu l’avocat général.
Selon le parquet, la défense tente de noyer le débat en s’accrochant à démonter des détails alors qu’il existe un ensemble d’éléments qui forment un faisceau de présomptions convergentes.
Le réquisitoire se poursuit jusque fin d’après-midi. La peine requise par l’avocat général sera connue ce mardi, en fin de journée.