Calomnies, vendetta, chanson et menaces anarchistes: ces délits de presse qui ont marqué les cours d’assises de Liège
Le délit de presse jugé cette semaine n’est que le septième survenu à Liège depuis 1831. Entre Calomnies, vendetta et menaces anarchistes, le délit de presse est surtout le reflet de l’évolution de la société. Qui s’est régulièrement terminé par un acquittement.
Publié le 14-10-2021 à 12h20
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Auteur du livre «Encyclopédie des homicides en province de Liège» et fin connaisseur de l'histoire des cours d'assises de Liège, Bernard Wilkin n'a pas manqué d'avoir l'intérêt éveillé suite au délit de presse jugé cette semaine à Liège. Plié en 3 jours, le procès en cour d'assises a reconnu Sami Haenen coupable d'un délit de presse et de menaces envers les femmes.
Le chef des travaux aux Archives de l’État à Liège s’est penché sur les archives des cours d’assises de Liège et en sort avec un premier constat: «En province de Liège, les jugements pour délits de presse sont très très rares.» Au total, Bernard Wilkin en comptabilise 6 mais estime que deux affaires supplémentaires ont toutes les apparences d’un délit de presse sans être reprises sous cette dénomination. «Le délit de presse ressemble à un fourre-tout invraisemblable. Il n’y a pas de constance.» Et d’égrener des histoires qui peuvent paraître surprenantes aujourd’hui. «Le délit de presse a plus une valeur de symbole, c’est le reflet de l’esprit du temps. La justice s’adapte aux valeurs de la société toute comme la cour d’assises.»
1.Calomnie contre le receveur des contributions de Verviers (1851)
C’est à la suite d’un article publié dans La Réforme (ancêtre du Courrier de Verviers) que Thomas Augenot et Joseph Goffin se retrouvent face à une cour d’assises pour délit de presse. Ils sont poursuivis pour calomnie contre le receveur des contributions de Verviers. Il y a peu de détails sur l’affaire mais les deux accusés sont non-coupables et acquittés.
2.Calomnie contre la gendarmerie de Verviers (1857)
Six ans plus tard, c’est ce même Joseph Goffin qui est à nouveau poursuivi pour délit de presse suite à un article dans le Courrier de Verviers à l’encontre du «corps de la gendarmerie» de Verviers suite la conduite des gendarmes lors de troubles survenus le 29 mai 1857.
Cette fois, il sera condamné à un mois de prison et à 50 francs d’amende.
3.Vol d'un châle et faux témoins à Verviers (1891)
Le 11 juillet 1860, la police de Verviers intervient pour le vol d’un châle. Marie-Françoise Demonty, une veuve de 50 ans, ouvrière à Andrimont, est condamnée à 6 mois d’emprisonnement pour ce larcin, notamment parce que le châle est retrouvé chez elle et sur base des déclarations de plusieurs témoins, dont un garde-champêtre de Dison.
Marie-Françoise Demonty interjette appel et la Cour d’appel de Liège déclare que la prévention n’était pas suffisamment établie.
Dans la foulée, elle fait paraître une publication dans deux titres de presse locaux où elle écrit «La sousignée ayant été condamnée par le tribunal correctionel de Verviers pour rachat de châles volés, mais dont elle ignorait cette circonstance, fait savoir au public qu’ayant interjeté appel de ce jugement, elle a été, malgré les menaces de faux témoins qui avaient comparu au susdit tribunal, mise triomphalement en liberté par le tribunal d’appel de Liège.»
Une publication qui lui vaudra d’être poursuivie pour délit de presse. Elle fut finalement déclarée non-coupable et acquittée.
4.Le pharmacien critique l'échevin-accoucheur de Spa (1862)
Dans un courrier publié dans l’Écho des fontaines, le 30 novembre 1861, Henri Schaltin (pharmacien) raconte que le docteur Jules Lezaack (ont une rue de Spa porte le nom) «qui comme chacun le sait, perçoit huit cents francs de la commune pour assister aux accouchements laborieux, et qui est, en outre, le seul accoucheur de Spa et des environs, a refusé de donner ses soins à ma femme dont il était l’accoucheur, sous prétexte que je suis membre du parti apposé à l’autorité communale actuelle (ndlr: Jules Lezaack est échevin). Il a répondu qu’il ne se rendrait auprès d’elle que lorsqu’il y serait forcé.»
Poursuivis pour délit de presse, Henri Schaltin et François Wollesse (éditeur) sont finalement acquittés.
5.Le «Cri du Peuple» excite à la désobéissance et offense les gouvernements étrangers (1879)
«Organe socialiste révolutionnaire», le Cri du Peuple est sous le feu des critiques après avoir publié ce qui ressemble fort à un appel au meurtre du chancelier Bismarck.
Toussaint Malempré et Jean Massin se retrouvent ainsi accusés d’avoir offensé la personne du souverain et des chefs des gouvernements étrangers. Devenu fugitif, Toussaint Malempré sera condamné à 12 peines de 3 mois d’emprisonnement.
6.Une chanson qui incite à commettre des crimes (1896)
Publiée dans le journalanarchiste La Débâcle sociale, une chanson fait grand bruit. On y lit notamment le passage suivant: «Dans les quartiers que le luxe décore / Je mendierais le poignard à la main! / Nous avons tous droit, tous autant que nous sommes / Au pain du jour, au pain du lendemain / Eh bien! debout, si vous êtes des hommes: Nous ne l’aurons qu’un poignard à la main!»
Hubert-Joseph Sevrin (imprimeur-éditeur à Ensival) et Auguste Nicolet sont ainsi poursuivis pour incitation à commettre des meurtres. «Ce procès a finalement donné une tribune à la chanson», analyse Bernard Wilkin.
Seul Hubert-Joseph Sevrin sera condamné: deux fois sept mois de prison et 50 francs d’amende.