REPORTAGE | Les «Vîvages», un habitat collectif pour tout âge
L’habitat groupé liégeois les «Vîvages» mélange tous les âges. Une communauté de partage pour briser l’isolement.
Publié le 07-08-2021 à 07h00
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«Et si on se mettait tous autour de la table pour que cela paraisse moins comme un procès?» Dans la salle commune des «Vivâges», cinq locataires s'affairent joyeusement pour raconter leur projet. Situé dans le quartier St-Léonard de Liège, cet habitat groupé intergénérationnel a accueilli ses premiers habitants en décembre dernier. Cela tâtonne encore dans la salle principale traversée d'une grande table. «Elle est belle, hein? Heureusement qu'on ne l'a pas jetée!»
Du partage contre le repli sur soi
«Des apéros!» s'exclament-ils en riant pour aborder les moments partagés. «Et assister à des matchs de foot. On aime le regarder ensemble, projeté sur un mur à l'extérieur.»
Jean-Claude, un professeur de langues germaniques, à présent pensionné, aimerait aménager le toit. Différents espaces feront office de terrasse, une fois le gazon synthétique installé. «Paul et moi allons aménager des bacs et de la terre pour cultiver.» Proactifs, ils s'ouvrent vers l'extérieur. «Nous avons aussi trouvé un terrain en friche à quelques centaines de mètres d'ici. On sème, on bêche.» Des caves se situent sous les bâtiments. L'une sert d'espace de stockage divisée en parcelles individuelles. Récemment, les propriétaires ont fait remédier aux fuites d'eau qui l'inondaient. La seconde oscillera entre salle des fêtes et espace de méditation.
Un besoin de communauté
L'envol des enfants a été l'occasion de retourner vers la vie en communauté pour Paul qui a connu mai 1968. «Nous avons vécu en tant que jeunes étudiants dans des logements communautaires, de grandes maisons. Les pièces à vivre, notre argent, l'éducation des enfants, nous faisions tout ensemble.»
Louise, quant à elle, a grandi dans un habitat groupé «Après trois ans à vivre seule, j'y suis revenue un peu naturellement. Il m'a fallu du temps pour prendre mes marques, j'avais un enfant en bas âge. Pour refaire du lien, je me suis tournée vers ça.»
Chacun veille sur les jeunes des autres «Je peux compter sur les voisins pour les enfants (3 et 7 ans) de temps à autre. C'est bien pratique», indique Louise. Isabelle complète: «On témoigne tous du fait que les enfants regardent deux fois moins la télévision depuis que l'on est ici. Les miens et les enfants de Louise sont souvent occupés à jouer, donc ils l'oublient.»
Isabelle a quitté sa maison unifamiliale bruxelloise avec son conjoint et ses trois enfants «Nous aimons l'idée et l'esprit de vivre en voisinage de convivialité et d'entraide.» Jean-Claude et son épouse craignaient d'entrer en maison de repos. «Nous voulions être dans un lieu solidaire où l'on peut s'aider les uns les autres.» L'expérience se transmet, selon lui. «En tant que seniors, on peut aider les plus jeunes pour des devoirs ou dieu sait quoi. Eux peuvent aller à la pharmacie si on a une patte cassée.»
Un partage qui est moins évident quand chacun vit séparément. « Ce genre de choses là nous attirait: cette solidarité, cette assistance mutuelle quand c'est nécessaire, une vie à caractère communautaire tout en gardant une certaine indépendance.»
Passer ses vieux jours collectivement?
La charte commune les engage à être solidaire. Professionnelle de la santé publique, Isabelle réfléchit à voix haute: «J'ignore si à l'échelle d'un habitat groupé, nous pouvons assumer cette fonction à plusieurs.» Si une majorité est en bonne santé cela semble faisable… «Et qu'il s'agit d'une aide occasionnelle, il n'y a pas de soucis. Une fois que cela devient de la grande perte d'autonomie, il faut se concerter. C'est un pari à vérifier.»
Un pari qu'il faut évaluer dans le temps. «Cela durerait plus longtemps ici que si la personne vit seule». Une forme de réponse mais pas la grande solution aux maisons de repos.
Un habitat groupé sous forme de fondation ou d'ASBL ?
ASBL, fondation, colocation unifamiliale: l'habitat peut s'organiser selon les envies des parties prenantes. Thierry de Bie, de l'ASBL Habitat et Participation, confirme cette tendance grimpante à l'habitat groupé. Certains l'envisageront comme un simple foyer pour créer du lien, tandis que d'autres y ajouteront entre autres une activité pédagogique, maraichère, voire spirituelle. Le chargé de mission oppose les deux structures.
«L'ASBL est indispensable pour avoir des partenariats avec des pouvoirs publics. Cela garantie l'aspect non lucratif, d'être agrée ou subsidié.» Il ajoute que cela n'est pas un bon véhicule juridique pour gérer du bati. «Tout ce qui rentre dans l'ASBL ne peut plus en sortir, y compris du capital.» La fondation serait plus avantageuse, explique-t-il : «Ces statuts ne peuvent être changés que via une décision judiciaire. Dans une ASBL, personne ne peut s'y opposer si quelqu'un le fait. Cela peut changer totalement l'objet social initial. La fondation est une vraie garantie.»

«Je ne vois pas les personnes âgées autrement que comme des êtres humains, des adultes qui ont vécu milles choses.» Lou Colpé et son conjoint ont vécu un an de partage avec la grand-mère de celui-ci, Thérèse. Elle a raconté son histoire dans trois épisodes de Foule Continentale, sur La Première. Sa vision des seniors revendique d'envisager des alternatives dans leur mode de vie. La maison de repos reste l'option de facilité, selon elle.
Une révolution tranquille de l’intérieur
Réalisatrice et artiste intervenante en milieu d'accueil et de soin, elle mène une révolution tranquille de l'intérieur des institutions. « Je ne déteste pas ces endroits. Ils existent et ça n'a aucun sens de les proscrire. Il faut juste les changer et pour se faire il faut s'y faire une place.»
A l'entendre, ces endroits ont un potentiel: «La question à se poser c'est comment faire pour que les maisons de repos soient des lieux de vie, pas des lieux ou il y a 300 personnes qui vivent là de manière un peu anonyme.»
Cesser d’infantiliser les seniors
Pour Lou Colpé, le regard de la société sur les personnes âgées doit changer. «Ce que je trouve dingue, c'est la manière dont on a vite fait d'empiéter sur leur liberté, leurs choix. C'est une catégorie d'âge comme d'autres. Mais c'est l'une de celle qui est jugée comme incapable de décider pour elle-même à un moment donné.»
La cinéaste raconte des moments de flagrant déni de libre arbitre: «Pendant l'année de cohabitation avec Thérèse, on a bien vu que les gens s'adressent à nous plutôt qu'à elle quand on arrivait dans la pièce. Nous n'avions aucune réponse, il s'agissait de la vie de Thérèse. La façon dont elle prenait ses médicaments, nous n'en avions aucune idée. Mais tout d'un coup, on arrêtait de lui poser la question. Les gens le font sans s'en rendre compte. C'est hyper violent.»
Elle poursuit sur le fait de les sonder sur leurs années restantes: «A priori ma vision, c'est plutôt de faire confiance aux personnes âgées et en fait de leur poser la question: ''Comment est-ce que tu as envie de vieillir, de mourir? Est-ce que ça te va si on prend un peu de place dans ta maison? Est-ce que tu as envie qu'on aille visiter des maisons de repos ensemble?''»
Une présence bienveillante
Durant sa cohabitation avec Thérèse, le couple a veillé à laisser de l'espace à la dame. « Il était important d'être présent, de respecter l'ordre déjà en place.» Les services rendus se traduisaient en moments partagés, en petits services rendus. «Avant que nous emménagions avec elle, elle se plaignait de ne plus avoir le goût de se préparer le déjeuner. Là, nous le faisions spontanément pour elle.»
Cette cohabitation s'était décidée avant un départ en voyage «Bertrand s'est toujours énormément occupé de sa grand-mère. Moi, c'était vraiment quelqu'un que j'adorais et avec qui je prenais plaisir à passer du temps. On a décidé de lui proposer de partager la maison en deux, dans une grande joie.»
Rester clairvoyants
Malgré tout, le duo ne se faisait pas d'illusion. «On savait que ce serait limité dans le temps, mais on souhaitait que cela dure au moins cinq ans. Mais c'était une adaptation quotidienne, son état était changeant, par fatigue, sensibilité à la chaleur.»
Lou ne retient que la joie d’avoir accompagné Thérèse sur sa dernière année de vie.